vendredi 20 juillet 2012

GEORGIEN (sept poèmes en français et en georgien)


Athanase Vantchev de Thracy
ატანას ვანჩევ დე ტრასი



Insimulable clarté (le traducteur n'a traduit que le début du poème)
INSIMULABLE CLARTÉ

A Stoyan Bakardjiev

« Amor é uma luz que não deixa escurecer a vida »

(« L’amour est une lumière qui ne permet pas à la vie de sombrer »)

Camilo Castelo Branco

I.

Tu ne contemples plus la ville limpide,
Les cerceaux lumineux des hirondelles
Dont les nids d’une élégance sereinement attique,
Servent d’ornements somptueux
Aux ocres murs de ta toute modeste maison.

Tu n’entends plus la musique des platanes
Aux feuilles si tendres qu’elles laissent transparaître
Les épiphanies des printemps,
Ni sens les immaculées, les incorruptibles vibrations
De l’émotion et de l’antique mémoire
De l’éternel ciel thrace.

Tes bras vigoureux à la piété filiale incomparable,
Ne portent plus, tel un vase sacré de cristal plein de myrrhe,
Serré contre ton souffle,
Le corps à jamais transi de ta très vieille mère !

II.

Il est bien loin le temps où, enfant,
Tu jouais au ballon avec l’insouciance d’une mésange
Dans cette rue embellie
Par les mains rêveuses des paveurs !

Toi, Ami aimé,
Ami de mon âme que je vois penché,
Au milieu de la nuit,
Sur le livre volumineux
Que les Anges de la transparence
T’avaient prié de traduire en bulgare.

III.

Ah, mon Ami, il est si triste de savoir
Que ta chaude voix où on entendait couler
La douloureuse anxiété des nuits,
N’habite plus la maison,
Que les lilas que tu aimais tant,
Que tu avais plantés en chantant
Sont toujours là
A attendre la délicate mélodie de tes pas !

Toi, vivant au fond même du cœur de la mort !

IV.

Le soir tombe dans l’âme
Avec la douceur vertigineuse de l’été diaphane !

Ainsi descend des cimes la neige
Devenue fleuve sous la tendresse de la brise
Vers les étreintes vibrantes des vagues de la mer !

V.

Une femme vêtue de noir, seule, à genoux,
Prie à l’intention de tous les siens endormis dans la paix
Devant l’icône de la Sainte Mère de notre Dieu et Seigneur
Dans la petite chapelle où règne déjà
La prudence de l’air nocturne.
Mes mains tâchent de saisir la chaleur safranée
De ses mots, serrant fort le cierge
Dont les gouttes de cire brûlent la peau.

VI.

Quelque part une jeune voix se lève
Et appelle le chœur des étoiles.

Je sors, je marche le corps empli de larmes,
La nuit vient de naître sur mon visage !

Je sais, c’est le dernier tournant de ma vie !
Je sanglote ton nom
Devenu enfin toi-même !

J’embrasse ton visage ouvert à mon affection
Comme une saison immortelle !

Paris, le 13 octobre 2008

Stoyan Bakardjiev était le plus brillant traducteur bulgare. Il avait consacré toute sa vie à la traduction des plus grands poètes du monde. Mon ami, le poète Radko Radkov et moi lui rendions de temps en temps des visites à Pazardjik, ville magique au coeur de la Thrace située à quelque quarante kilomètres de Plovdiv. Pendant des années, cet être merveilleux, cet immense érudit, soigna avec une incroyable tendresse filiale sa vieille mère paralysée. Nos rencontres étaient des fêtes de l’âme. La dernière fois que je l’ai vu, il m’a dit, souriant, calme, serein : « Athanase, ma cigale, nous ne nous verrons plus dans ce monde. Je t’attendrai au paradis des poètes sous un pommier en fleur ! ». J’éclatai soudain en pleurs ! Tout mon corps fut pris d’un violent tremblement. J’étais frappé en plein visage par une tristesse suffocante. En chemin vers Sofia, je n’ai pas arrêté de pleurer ! Je ne l’ai plus revu. Il est mort deux mois plus tard.

Ce soir, j’ai cherché dans Internet une note sur lui. Pas un mot ! Pas un mot sur cet homme qui a donné tant de joie à des milliers de Bulgares. Mon cœur a de nouveau pleuré. Se peut-il que personne de l’Union des traducteurs bulgares n’ait pensé à publier un article sur lui ?

Ami, que ce poème te dise tout l’amour que je te portais, que je te porte, que je porterai jusqu’à la tombe.

Insimulable (adj.) : du verbe simuler, du latin simulare, « faire paraître comme réel, effectif (ce qui ne l’est pas). Qu’on ne peut pas simuler.

Camilo Castelo Branco (1825-1890) : un des plus grands poètes et écrivains classiques portugais. La vie agitée de Camilo, comme on l'appelle affectueusement, a été aussi riche en événements et aussi tragique que celle de ses personnages : fils naturel d'un père noble et d'une mère paysanne, il resta très tôt orphelin. Marié à seize ans avec Joaquina Pereira, il connut d'autres passions tumultueuses, dont l'une le mena en prison : celle pour Ana Plácido qui devait devenir sa compagne. Fait vicomte de Correia-Botelho en 1885, pensionné par le gouvernement, il connut cependant une fin de vie des plus pénibles : perclus de douleurs et devenu aveugle, il finit par se suicider.

À travers son œuvre très féconde (262 volumes), Castelo Branco s'est intéressé à presque tous les genres : poésie, théâtre, roman historique, histoire, biographie, critique littéraire, traduction. On y retrouve le tempérament et la vie de l'auteur : la passion fatale s'y lie au sarcasme, le lyrisme à l’ironie, la morale au fanatisme et au cynisme, la tendresse au blasphème.

Camilo Castelo Branco, cherchant les sources nationales, écrivit qu'il avait « déserté les drapeaux des maîtres français » pour retourner à la description des usages et coutumes portugais. Il traduisit Chateaubriant, et essaya d'écrire une version portugaise de La Comédie humaine.

Cet écrivain à l'imagination vive, au style communicatif, naturel et coloré, au vocabulaire riche et nuancé, est resté un maître incontestable de la langue portugaise. Amour de perdition, publié en 1862, est, d'après le grand Miguel de Unamuno, le plus grand roman d'amour de la Péninsule Ibérique. Écrit en 1840, lorsque Camilo était en prison pour ses amours avec une femme mariée, il relate la passion clandestine de deux jeunes gens, Simão et Teresa, passion à laquelle s'ajoute l'amour de Mariana, une fille du peuple qui s'éprend de Simão, tout en continuant à lui servir de messagère auprès de Teresa.




განუმეორებელი სინაზე

რამ ჩატია ჩემს სულში ეს ამდენი დაისი,
გამჭვირვალე ზაფხულის თავბრუდამხვევ სინაზით!
ასე მთიდან ეშვება თოვლი, მერე ქარების მსუბუქ ფერებ-ფერებით
გარდაქმნილი მდინარედ
ზღვის მთრთოლარე ტალღებთან შეყრად მიეშურება!




Muguets


A Norton Hodges

Les fines clochettes des muguets
Sur la nappe ruisselante de la table –
Un oiseau dehors embaume le jour
De son chant pénétrant.
Âme, je pense
A tous ceux qui sont chers à mon cœur !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 2 mai 2008
Glose :

Norton : prénom d’origine anglo-normande. C’est la forme anglicisée du nom normand Norville qui signifie « la Ville du Nord ». Il a été probablement pris par son porteur original du nom de son domicile et utilisé avec le préfixe de la signification "de". On le trouve dans des actes anciens sous diverses variantes :  Norville, Nortown, Nortone, Nortun et Norton.
Muguet (n.m.) : le nom latin de la plante, Convallaria majalis (du mot latin convallis, « vallée » et majalis, « lis de mai ») indique qu'elle pousse en mai dans les vallées. On l'appelle d'ailleurs parfois lys des vallées, formulation que l'on retrouve dans son nom anglais « lily of the valley ». Quant à son nom français, connu dans les textes depuis 1200 sous la forme mugue ou musguet, c'est un dérivé du mot latin muscus, « musc », en raison du parfum de la fleur.

შროშანები

გარდამოფენილს მაგიდას სუფრას
შროშანათა ზარები შვენის.
გარეთ ჩიტი დღის მდუმარებას
სულში ჩამწვდომი სიმღერით ავსებს.
სიმშვიდით ვტკბები
და ვიხსენებ ყველას,
ვინც კი მეძვირფასება.



La vie savance

La vie s’avance ! Et tu n’es plus qu’une trace de lumière,
Un mince stylet qui creuse la mémoire,
Ainsi, emporte-moi parmi tes paupières
Comme un soupir, comme une blessure dans l’ocre du soir.
Un peu de mort ! Et Hölderlin pour vivre
Quand tout se tait et les seigneurs délirent,
Quand sur les lits descend le souvenir
Et lentement le cri se change en livre.

Athanase Vantchev de Thracy


ხოლო ცხოვრება გადის

ცხოვრება გადის! მხოლოდ შენ ხარ სინათლის სხივი –
ხსოვნის მადანი გაუკაწრავს თითქოს სატევარს,
ერთსღა გთხოვ ახლა – დაბინდულის ფერებით ცივით,
მაგ შენს თვალებში, ამ ჭაღარა სევდის ჩატევას.





Versailles
LA LANGUE EBLOUISSANTE (VERSAILLES)

Nous aimions les bals, Versailles, le raffinement,
Cette langue éblouissante qui suggérait sans dire,
Les rires vêtus de soie, les transparents sourire,
La volupté cachée dans les satins du temps !

Athanase Vantchev de Thracy

ვერსალი
გვიყვარდა ვერსალი მეჯლისთა ნატიფთა,
ნართაულ ნათქვამთა ელვარე სიტყვები,
სიცილთა შრიალი, ღიმილთ სიტკბოება,
ფარჩებში ჩაფლული ვნებანი რაყიფთა!





Epigraphe
(Les lys de la vallée)
Passager, ici repose Athanase –
La rosée du matin est son linceul,
Les lys de la vallées son tombeau,
Sa vie était un poème,
Poème elle restera pour l’éternelle !


Paris, le 2 mai 2008
Glose :
Linceul (n.m.) : du latin linteolum, « petit linge », lui-même de  linteum : « toile de lin ». Synonyme : suaire (n.m.) – du latin sudarium, « linge pour essuyer la sieur ». Le plus célèbre est le Saint-Suaire, le linge dans lequel fut enveloppé le corps de notre Seigneur Jésus le Christ.


შროშანნი ღელეთა

აქ ატანასი განისვენებს. გამვლელო, შესდექ!
ღელეთ შროშანთა სამარეში დაუფლავთ იგი
დილის ცვარ-ნამის სუდარაში გამოწყობილი.
ხოლო ცხოვრება მისი იყო ერთი პოემა
და პოემად დარჩება კიდეც უკუნისამდე!







PALMYRE




Je t’aime ! Les mots sont tristes comme un immense départ           
Qui doublement sépare le cœur de l’infini !
Je t’aime avec la brise, avec le doux bruit
Des coccinelles qui marchent vers l’ombre du soir !


Je t’aime avec l’aurore qui tremble dans tes yeux,
Avec l’éternité parmi tes cils de lin !
Je t’aime avec les pleurs, avec le temps serein
Des âmes de lumière, de l’air vertigineux !


Je t’aime avec l’abîme dément de l’insomnie,
Avec les caravanes qui veillent sur mon délire,
Avec la force de l’eau et la fureur d’un cri !


Je t’aime ! Ô grande nuit, renverse sur ma Palmyre
Les océans de feu, les myriades de chants,
Les lacs de la tendresse dans l’ambre de son sang !


Glose :

Palmyre : du grec palmura, traduisant l’antique terme tadmor, « cité des
palmiers ». Oasis du désert de Syrie, capitale de la Palmyrène. Mentionnée dès le III
millénaire av. J.-C., Tadmor subit l’influence des Amorites, des Araméens, puis des
Arabes. Elle s’hellénisa après la conquête d’Alexandre le Grand, puis, au Ier siècle,
entra dans l’orbite de Rome. De 260 à 272 ap. J.-C., sous le règne d’Odenath, puis de
sa femme Septima Zenobia (Zénobie), Palmyre devint une véritable puissance. C’est
une des plus belles cités antiques ! La plupart de ses monuments sont bien conservés :
sanctuaire du dieu Bel (peut-être un ancien dieu Bôl), rue bordée d’arcades et arche
monumentale, théâtre, caveaux (hypogées) et tours funéraires.



პალმირა



მიყვარხარ! სიტყვებს სევდა ავსებს, ვით განშორება,
გულს შორეული ჭორომების ნიშანი აზის.
მიყვარხარ! შენი ნიავი და შრიალი ნაზი
ჭიჭინობელთა, საღამოს ბინდს მიეშურება.

მიყვარხარ, როცა განთიადი აანთებს თვალებს,
ააწამწამებს მათ სიღრმეში უსასრულობას.
ცრემლთა ნაკადი და ამინდის უსუსურობა,
შენი სინათლე, შენი სუნთქვა თავბრუს დამახვევს.

მიყვარხარ! ძილი დაუკარგავთ ღამის ზმანებებს,
მოგონებათა ქარავანი თავს არ მანებებს,
ლამის წამლეკა წყლის ძალით და ზახილის ძალით!

ჩემი პალმირის შენ განახვნე კარნი მარმაში,
აღმოთქვი ღამე, დიდებული მეფურის ძილით,
ცეცხლის სიმღერა ჩააქსოვე სისხლის ქარვაში.




Cette nuit, je ne peux pas dormir

CETTE NUIT JE NE PEUX PAS DORMIR

A Dalibor

« Tu es mon ivresse
De toi je n’ai point dessoûlé
Je ne puis dessoûler
Je ne veux point dessoûler »


Nazim Hikmet

Non, mon Ami, cette nuit,
Cette grande, cette pure nuit d’été
Je ne peux pas dormir !



Toutes ces étoiles, mon Ami,
Toutes ces étoiles qui enivre mon âme,
Tout ce silence,
Tout ce silence
Plein de la lumière liquide de tes yeux
Tremblent au bout de mes cils !



Cette nuit,
Cette nuit où chaque nid
Est une barque scintillante de bonheur,
Je ne peux pas dormir,
Ô mon Ami !



Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 16 janvier 2008

Glose :

Nazim Hikmet Ran (Salonique 1901 - Moscou 1963) : un des plus grands poètes turcs. Son grand-père paternel, Nâzim Pacha, était le gouverneur de Salonique, libéral et poète. Son père, Hikmet, était diplômé du lycée de Galatasaray (qui s'appelait alors Mekteb-i Sultani). Sa mère, linguiste et pédagogue, était la fille d'Enver Pacha. Elle parlait français, jouait du piano et peignait.
Marxiste, il passa quelque 13 années en prison et baptisa la poésie le plus sanglant des arts. Ses écrits sont une critique acerbe de la société. Il est le premier écrivain turc à avoir évoqué le génocide arménien. Au début des années 30, Nazim Hikmet proclama que l'artiste est l'ingénieur de l'âme humaine. Durant la guerre d'indépendance, il rejoignit Atatürk en Anatolie, et travailla ensuite comme enseignant à Bolu. Il étudia la sociologie à l'université de Moscou (1921-1928) et devint membre du parti communiste turc dans les années vingt. En 1938, il fut condamné à 28 ans et 4 mois de prison pour « activités anti-nazies et anti-franquistes ». Il passa les douze années suivantes en prison, période pendant laquelle il se maria en deuxièmes noces avec Münevver Andaç.
Nazim Hikmet reçut le Prix International de la Paix en 1955. Déchu de la nationalité turque, il termina sa vie en exil comme citoyen polonais. Il mourut d'une crise cardiaque à Moscou.



მე ამ ღამით ვერ დავიძინებ

დალიბორას

„თრობა ხარ ჩემი,
მე ვეღარასდროს გამოვფხიზლდები,
მე არ ძალმიძს გამოფხიზლება,
მე არ მინდა გამოფხიზლება.“

ნაზიმ ჰიქმეთი

არა, ძვირფასო, ამ ნათელ ღამით,
ამ თავანკარა ზაფხულის ღამით
ვერ დავიძინებ!
ეს ვარსკვლავები, ჩემო ძვირფასო,
ეს ვარსკვლავები დამათრობელი,
და ეს სიჩუმე,
ეს სიჩუმე,
შენი თვალების ელვარებით განათებული,
ჩემს წამწამებზე ჩამომსხდარან და ციმციმებენ.
ამ ნაზი ღამით,
როცა ჩიტის ყოველი ბუდე
ბედნიერებით სავსე ნავია,
მე ვერაფრით ვერ დავიძინებ,
ვერა, ძვირფასო!




Traduit par Paata Natsvlichvili

თარგმანი პაატა ნაცვლიშვილისა

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