LES METAUX RARES
A Radko Radkov
« Siqua uidebuntur casu non dicta Latine,
in qua scribebat, barbara terra fuit.
Dicite, lectores, si non graue, qua sit eundum,
quasque petam sedes hospes in urbe liber. »
(« Si par hasard quelques mots semblent n'être pas latins,
c'est qu'il écrivait chez un peuple barbare.
Dites-moi, lecteurs, si cela ne vous importune pas,
quel chemin je dois prendre, et, pauvre étranger,
vers quel asile diriger mes pas. »)
Ovide, Tristes, livre III
I.
Ô mon cher Radko, mon Ami,
Toi, Poète de génie et Prince des errants,
Amoureux de la Très Sainte Vierge Portaïssa,
Des gitans amis des routes, des amants joyeux,
Des filles aux cheveux d'or et des tavernes
Où règne sans partage
La vineuse obscurité!
Ô Radko,
Toi qui voulais vivre la mort
Et mourir de vie!
Toi qui adorais
Le soleil de la gloire
Et voguais sous la lune
Des âms anonymes !
Qu'importe à présent que tout est fini,
La Fleur de l'Amitié
Ne peut pas mourir!
Ô Ami, sache que sont puissants
Et sans nombre
Les liens
Qui nous unissent à l'éternité!
II.
Ô choses incertaines qui nous entourent de toutes parts,
Troubles consolations, délires somptueux
Et désespoirs homériques!
Et
Grâce inespérée un jour de grand deuil,
Vérité que tout le monde tient pour mensonge !
Toi, Ami,
Génie qui débordais de lui-même!
Toi qui avançais dans la vie sans masque
Pour cacher tes joies et tes larmes.
Mais telle est la vie
De ceux que les dieux ont prédestiné à leur appartenir!
Et puis...
Puis tout est bref comme une hémorragie
Ou un suicide,
Et beau
Comme une inespérée trouvaille horacienne.
Et jamais le printemps ne trompera
L'espoir des bourgeons!
III.
Ô vous, héros, saints, génies,
Témoins immortels
De l'irrémédiable amour du Ciel !
Vous, métaux précieux
Antimoine, béryllium, cobalt,
fluorine, gallium, germanium,
graphite, indium, magnésium,
niobium, platine, terres rares,
tantale et tungstène.
IV.
Ô amour, tu es trop grand pour moi seul!
Ô vous, poètes aimés qui dialoguez dans mon âme!
Candeur, spontanéité, ferveur !
Souffle, frémissement, fascination des sens !
Mélodies des pinsons,
Parfums qui nous liez
A la vie!
V.
Je ne suis pas l’enfant, Radko, mon Ami,
Je suis l’enfance
Qui marche dans les chemins des mots-étoiles,
Je suis l'ombre,
La résonance, l'écho,
Les tendresses de soie grège des
Chantres célestes!
Comment puis-je être
Si je n’existe pas en moi,
C’est-à-dire en Dieu ?
VI.
En Dieu nous nous réunisson avec nous-même,
En Dieu nous retrouvons le centre autour duquel,
En cercle magique,
Nous avons tourné toute notre vie !
Nous, soupir de lumière,
Labyrinthe de souffrances,
Nous pour qui les oiseaux chantent
Tous les matins!
VII.
Faire entrer dans le royaume de mes chants
Toute la terre,
Devenir l’humanité entière
Et cette France,
Ce pays de vigne de velours
Et de pommiers de tulle,
Cette France collée à mon coeur !
Et là, encore plus proche de la chair, la Bulgarie
Des Odrysses et des Idomiens!
Comme la rose de Jéricho
Je la plonge dans mon sang
Pour lui redonner vie,
J'ouvre mes bras
Pour saisir la plénitude
De sa présence!
L'air se meut, plie,
S'allonge,
Bat contre mes tempes
Qui cherchent les mots les plus suaves
Pour dire ma tendresse
A tous ceux que j'aime!
VIII.
Ô vous dieux à qui j’ai toujours fait appel
En toute confiance !
IX.
Ah, Radko,
Comme nous avons peur de nous-mêmes,
Nous, empires de vies superposées,
Vies de seigneurs et d’esclaves !
Comme scintille parmi les feuilles émeraude en été
La lune radieuse!
Nous anges, saltimbanques, acribate et pitres !
Ruine d'un soir,
Elévation d'un jour!
Nous qui assistons
Comme étrangers à notre vie!
Nous, hors de Dieu
Êtres irréels, posthumes, vagabonds,
Être sans être!
X.
Ami,
Je veux être la délicatesse raffinée,
La profondeur lumineuse,
La prodigieuse mémoire
Des âmes pures!
Athanase Vantchev de Thracy
Saint-Germain-en Laye, ce dimanche 15 août, Fête de l'Assomption de la Très Sainte Vierge, ma céleste Protectrice.
Radko Radkov, le Poète des Poètes, né le 31 janvier 1940, nous a quitté le 1 septembre 2009!
Glose:
La Vierge Portaïssa : La Vierge Porte du Ciel. Marie Porte du Ciel est une Hodégétria, c’est-à-dire « Celle qui montre le chemin » du salut. La première partie du mot Portaïssa est suffisamment évocatrice par elle-même, quand à la seconde, elle n’est qu’un simple suffixe souvent employé pour préciser un rapport spécifique à la personne représentée. La Mère de Dieu a une relation tout a fait spéciale à la « Porte du Ciel ». Elle est celle qui la garde, mais non pour limiter l’accès ; au contraire, sa garde se fait tout accueil, facilitant même le passage, quels que soient les obstacles qui empêcheraient l’homme de se tourner vers Dieu. Elle est celle qui fait franchir la porte, également en permettant au Verbe divin de s’incarner parmi les hommes.
Horacien, horacienne (adj.) : appartenant au génie du poète latin Horace (65 – 8 av. J.-C.)
Odrysses : une union de tribus thraces entre le Ve et le IIIe siècle av. J.-C.Cette union occupait en grande partie l'actuelle Bulgarie, le sud-est de la Roumanie, le nord-ouest de la Grèce et la partie européenne de l'actuelle Turquie. Le roi Seuthès III décida plus tard le transfert de la capitale de l'union à Seuhopolis (aujourd'hui Kazanlak, en Bulgarie). La ville natale du poète, Haskovo, se trouve à 50 km de Kazanlak.
Idomiens: tribu thrace habitant les bords du fleuve actuel de la Strouma en Bulgarie.
dimanche 15 août 2010
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