TRACES
À Georges Bernanos
« Il n'est pas d’incident si négligeable où ne s’inscrit la volonté de Dieu comme toute l’immensité du ciel dans une goutte d’eau »
Georges Bernanos,
Dialogues des Carmélites
Le vin dense du crépuscule sur la neige
Et les fines traces vierges d’un oiseau sur son velours
soyeux !
Traces qui vivent encore dans ma mémoire éblouie
Après tant d’années !
Et je pense soudain à toutes les traces
Qui ont su émouvoir mon cœur :
Le regard scintillant d’un enfant au coin d’une rue oubliée,
Les rides de ma vielle voisine morte depuis des lustres
Dans lesquelles s’était déversée son âme fracassée,
Les yeux fermés du chroniqueur carme
Sous la flamme hésitante d’une bougie mourante !
Des traces ! Que de traces dans chaque coin de mes
pensées :
L’équation inscrite sur le tableau noir par mon professeur
de mathématiques,
Un mot plein de musique au milieu d’un vers,
La mélodie inconnue que joue ma jeune cousine
Sur le piano désaccordé, la voix de ma mère,
Le silence ensoleillé de mon père.
Les traces de la peur dans ma poitrine de préadolescent
ingénu
Qu’ont laissées en moi les légendes bretonnes
Que me lisait ma tante et surtout celles qui parlent de l’Ankou,
Les poèmes suffoquant de passion des bruyantes Adonies !
Traces indélébiles, traces ineffaçables de parfums pérennes :
Cassis, fraises, olives noires, touches poivrées,
Traces des petites ruses de magicien de mon frère Michel,
Les tours d’illusionniste de mon ami Valentin,
Le visage doux de grand-mère, sainte à force
d’humilité !
Traces invisibles que les premières émotions amoureuses
Ont ciselé dans mon être et qui appartiennent
À la catégorie de la pure profondeur !
Traces anciennes, traces toujours vivantes
Des jours adulés, fêtés, célébrés…
Ô traces, empreintes, cicatrices, sillages,
Stigmates, impressions, réminiscences, vestiges, traînées…
Traces qui traversent les incendies de ma vie
Comme la salamandre sans s’y brûler.
Et pendant que beaucoup de choses disparaissent
Sans être pleurées rappelant l’assomption de l’éphémère,
Certaines traces gardent la clarté d’une lune abondante
Du mois de mai !
Traces qui disent que chaque jour nouveau
Est une promesse de clarté !
Traces de ces Pâques pleines d’une joie-mystère !
Athanase
Vantchev de Thracy
Je dédie ce poème à
l’un des auteurs cher à mon cœur !
Paris, le 31 mars, Pâques, 2013
Glose :
Georges Bernanos (1888-1948) : un des grands écrivains français
du XXe siècle. Georges Bernanos passe sa jeunesse en Artois et cette
région du Nord constituera le décor de la plupart de ses romans. Il participe à
la Première Guerre
mondiale et est plusieurs fois blessé, puis il mène une vie matérielle
difficile et instable tout en s'essayant à la littérature. Il obtient le succès
avec ses romans Sous le soleil de Satan (1926)
et Journal d’un curé de campagne (1936).
Dans ses œuvres, Georges Bernanos explore le combat spirituel du Bien et du Mal, en particulier à travers le personnage du prêtre catholique tendu vers le salut de l'âme de ses paroissiens perdus comme Mouchette.
Ankou : personnage revenant souvent dans la tradition orale et les contes bretons. Il est la personnification de la Mort. L'Ankou semble être un héritage de la mythologie celtique, et plus précisément du Dieu-père, dont la fonction est la perpétuation des cycles vitaux, comme la naissance et la mort, les saisons ou le cycle jour nuit. Bien qu'on lui attribue désormais la faux ou la pique, son arme canonique est le mell benniget, « maillet béni ». Tout indique sa proximité avec le dieu gaulois Sucellos et le dieu irlandais Eochaid Ollathair ou Dagda, qui tuent et donnent la vie avec leur arme, maillet ou massue. L'Ankou est une figure panbrittonique de cette fonction : il est appelé Anghau au Pays de Galles et Ancow en Cornouailles. Sa fonction a par la suite été réduite à la seule Mort.
Adonies : dans la mythologie grecque, Adonis (en grec ancien Ἄδωνις / Ádônis) est un mortel, amant d'Aphrodite. Il est associé à la rose et au myrte. Adonis est une divinité d'origine orientale, dont le nom est certainement sémitique : Adon signifie « notre maître ».
Les Adonies, fêtes en l'honneur d'Adonis, étaient célébrées en divers lieux, et plusieurs auteurs de l'Antiquité grecque les ont évoquées. Aphrodite tint à rendre hommage à son amant défunt et organisa en son honneur une fête funèbre célébrée chaque printemps par les femmes syriennes. Ce rituel consistait à planter des graines et à les arroser d'eau chaude de manière à accélérer leur croissance. Ces plantations, surnommées "jardins d'Adonis", mouraient également très rapidement, symbolisant la mort du jeune homme. À Athènes, dès le Ve siècle av. J.-C., les femmes rendaient à Adonis un culte vibrant dont s'est moqué Aristophane. Elles se lamentaient alors bruyamment sur le sort tragique des deux amants, gémissant et criant : « Il est mort, le bel Adonis ».
On célébrait ces fêtes avec grande pompe à Byblos, à Alexandrie, etc. Elles duraient deux jours : le 1er était consacré au deuil, le 2e à la joie.
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