La nuit, les morts viennent dans ma chambre
À Daniel Varoujan
La nuit, les morts viennent dans ma chambre,
Leurs cœurs dans le mien ne se taisent jamais,
Ils viennent, ils apportent des brins d’herbes vertes
Et des frêles rameaux d’aubépine,
S’assoient délicatement près de mon lit et chantent,
Dans la caressante fraîcheur
Qui flotte autour de leurs visages nocturnes,
Des chansons d’une douceur inimitable.
Par la fenêtre ouverte vient le vent clair,
Qui sait si bien bercer mes chagrins
Et remplir mes yeux ouverts de légendes.
Dans la cour endormie, sous le tremble,
Claquent les draps blancs sur le haut étendoir
Et sèment une vague stupeur sur le visage émacié du silence.
La lune familière, dans ses plus jeunes rayons,
Répand sur nous son antique amitié.
Puis, poussant de légers soupirs harmonieux,
Placides, aimables, dociles, mes morts s’en vont
Sur le bout des doigts.
Et il y a quelque chose de beau, d’agile et de jeune
Dans leurs mouvements mesurés
Baignés d’une lumière douce et profonde.
Alors le fleuve du sommeil coule enfin en moi
Et l’impérieuse conscience
De mes lumineux devoirs envers mes morts
M’enveloppe de sa tendresse vivante
Et m’empêche de mourir !
Athanase
Vantchev de Thracy
Glose :
Poète de génie, Daniel Varoujan demeure le symbole de cette époque. Il sait couler la violence de sa passion dans une langue raffinée. Varoujan est aussi le chantre du peuple, dont il veut que la douleur soit sans désespoir. Les Frissons, Le Cœur de la race et la Chanson du pain sont ses chefs-d'œuvre.
Il fut sauvagement assassiné par les Jeunes turcs :
« Varoujan mourut attaché à un arbre, mutilé de part en part, et ses restes furent jetés aux chiens errants. Depuis Euripide, jamais à notre connaissance poète n'avait connu une fin aussi effrayante, sinon celui dont la religion de son peuple se réclamait. Il est difficile de ne pas y penser. Le poète avait trente et un ans." (Luc-André Marcel).
Une plaque commémorative est érigée dans le hall de la
bibliothèque de l'université de Gand.
Étendoir (n.m.) : ou étente à linge est un support permettant de faire sécher le linge. De nos jours, le terme « étendoir » a supplanté celui d'« étendage » et est parfois remplacé par celui de « séchoir », bien que ce dernier désigne généralement un système mécanisé de séchage (par une source artificielle de chaleur ou d'aération).
Par ailleurs, alors qu'on utilisait autrefois plus souvent l'expression « pendre le linge », celle plus logique d' « étendre le linge » a fini par la supplanter.
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