jeudi 1 mars 2012

BISHNOÏS

Bishnoïs

À Jambeshwar Bhagavan

« Roop anoop ramu pinde brahande, ghat ghat aghat rahayo,

(« Moi, la forme de Dieu, suis présente en toute chose,
laide ou superbe, visible ou invisible,
et j'erre en ce monde au sein de la plus petite des particules… »)
Chahad 19
I.

Maître,
Tu m’as appris le respect de toute forme de vie,
Tu m’as fait aimer la pure innocence des animaux,
La superbe élégance des arbres sacrés,
La divine humilité des fleurs qui réjouissent l’âme,
La transparence douce de l’eau
Et l’ondulation bleue du ciel.

Tu m’as appris, Maître,
La saveur inimitable de la terre sacrée,
La limpide austérité des lois,
La tremblante illusion de la chair,
Les hauts mystères de la science
Par laquelle l’homme lucide
Arrive à racheter son esprit !

II.

Bénie soit la langue immaculée,
Seule capable de procurer à l’homme
Quelque bonheur,
Quelque songe d’absolu !

III.

Tu m’as fait voir l’étrange plaisir
Que peut offrir la douleur.

J’ai compris, Maître,
Qu’à l’égal de l’être humain
Sont uniques tous les éléments,
Tous les mouvements de l’univers.

IV.

Dans ma vieillesse,
Dans mon année ultime,
Si la grâce des dieux m’est accordée,
Je m’incarnerai en chinkara,
En cette gazelle belle et docile
Qui, aimée par tous les vivants,
Gambade, joyeuse et sereine, par les prairies fleuries
Et prend son calme repos au milieu
Des lourdes herbes folles.

V.

Ô Vishnou,
Praeclarum custodem ovium !

VI.

Ô, Maître,
La raison apprend à l’homme sa petitesse !

VII.

Ô soubresauts des arbres
Dans l’avalanche azuréenne
Du ciel matinal !

Vents délicats qui dépliez
Les voiles des forêts intactes
Et la soie souple et fraîche de leurs feuilles !

Mains aurorales des femmes
Qui parlent de caresses, d’offrande,
De la douceur de la nuit accueillante !

VIII.

Je me lève le matin, je salue l’air,
Je m’incline devant l’élégance des montagnes,
Puis, ayant purifié mon corps
D’eau lustrale,
Je m’assieds,
J’ouvre et lis
Le Shabda-Vânî, notre livre sacré.

Je récite, le cœur battant, prosterné ou à genoux
Ses 120 versets de lumière
Pour remplir de la suavité des dieux
Chaque instant de la dure journée qui m’attend !

IX.

Je sais, Maître,
Que ce qui rend l’homme noble,
C’est de savoir, à la lumière de sa conscience,
Le mal qu’il fait ou peut faire, et donc d’y renoncer.
Ainsi mon âme exerce la dévotion envers
Le Dieu des dieux !
Mhe sare na bheta sîkh na puchhi, nîrat surat sab jani,
« Je n'ai jamais été disciple d'une école pour demander la connaissance.
Mais j'ai su la piété en consacrant mon moi à Dieu » !
Ja ja daya na maya, ta ta vikram kya,
« Là où la compassion et l'amour ne sont pas présents,
les bonnes œuvres ne peuvent arriver ».

X.

Qu’est d’autre l’être qu’un acte ?
Les étoiles ne s’éteignent jamais
Dans le ciel transparent
Des cœurs aimants !

Ah, Maître,
Comme j’aime la relation affectueuse des syllabes
Et des mots !
Je les chéris jusqu’en mon fond !
Ordre, unité, suffisance
Qui s’associent au sens intime de la vie !

XI.

Ô poèmes, rivières secrètes
De nos mémoires !
Par vous, je ne me convertirai jamais à mes limites
Ni à ma finitude,
Car des choses non sues, impénétrables
Emouvantes pour l’esprit, persistent
À vivre au-delà de mon maigre moi,
Continuent à renflammer l’éther.

Eternité de la matière,
Magiques réminiscences de nos cœurs !
Fines, déliées, ondoyantes pensées
Qui accompagnent
Les récitations de mes lèvres !

XII.

« L'intrépidité, la purification intérieure,
la fermeté à acquérir la science, la libéralité,
la maîtrise de soi, la réalisation de sacrifice,
l'étude sacrée, l'austérité, la simplicité !
L'ahimsâ, la non-violence universelle,
la véracité, la patience, le renoncement,
le calme, la sincérité,
la compassion envers toutes les créatures,
le désintéressement, la tendresse,
la pudeur, la détermination tranquille,
la force, l'endurance, la volonté, la pureté,
l'indulgence, la modestie, tels sont, ô Bhârata,
les traits de qui est qualifié pour une destinée divine. »

Ô Bhagavad Gita !

Il n’y a pas d’imperfection là où la main de l’aurore
Se pose pour se reposer
De tant d’émotions obscures !

Dormir, oui, dormir
Avec l’âme du monde
La tête abandonnée
Sur l’oreiller du temps amical,
Loin des tempêtes des chambres solitaires !

XIII.

Et toi, femme éternelle, Amrita Dévi,
Décapitée pour avoir voulu sauver la vie sacrée d’un arbre !
Tes filles et toutes ces femmes mortes
Pour que la vie soit rendue à la vie !

XIV.

Comme tout est beau
Quand bruissent à la fenêtre les pins musiciens,
Quand, dans les pinèdes luxuriantes
Les oiseaux disent leur amour
A l’aurore et au monde !
Des grues de perle blanches
Dans le ciel de brocart bleu !

Pouvoir mystique de la blancheur,
Indéclinables mots de l’Amour!

Et toi, félicité
Des âmes touchées par la grâce,
Image qui nie et affirme
La réalité de l’univers
Dans sa plus exacte plénitude !

Antique unité des eaux des mers,
Je ne suis que tremblement,
Sollicitude,
Vénération
Et Poésie !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, février 2012

Glose :

Les Bishnoïs (ou Vishnoï) : de bish, « vingt » et noï, « neuf » en rajasthani, une forme dialectale du hindi. Ce sont les membres d'une communauté vishnouïte créée par le maître, le guru Jambeshwar Bhagavan, appelé communément Jambaji (1451-1536), surtout présente dans l'État du Rajastan. Les Bishnoïs sont des hindous vashnav qui suivent vingt-neuf principes (chahad), d'où leur nom édicté par leur gourou. Ils se caractérisent par leur végétarisme, leur strict respect de toute forme de vie, leur protection des animaux ainsi que des arbres, leur adoption d'une tenue vestimentaire particulière. Ce sont les rares hindous à enterrer leurs morts pour éviter de couper le bois.

La gazelle indienne ou chinkara (Gazella bennettii) est particulièrement vénérée par les Bishnoïs. Leur maître Jambeshwar Bhagavan leur avait déclaré qu'il se réincarnerait indéfiniment en chinkara après sa mort. Sa présence signale souvent un village ou un temple proche de la communauté où on la trouve déambulant en toute confiance entre les maisons. Il arrive souvent encore de nos jours que les femmes bishnoïes allaitent les faons orphelins de cette espèce.

Le Shabda-Vânî, ou Guru-Vani, est le livre saint de la sampradaya, une forme parmi d'autres du vishnavisme. Il contient 120 versets, récités pour le culte domestique ou au temple. On y trouve la volonté d'épargner et de protéger toutes les créatures.

Le sacrifice d'Amrita Devi et des autres Bishnois

La communauté bishnoïe a connu de graves problèmes lorsque le monde extérieur a pu mettre à mal leurs principes.

Elle garde ainsi en mémoire un événement qui se déroula en 1730 lorsque le mahârâja Ajit Singh de Jodhgpur envoya des coupeurs de bois (ses soldats) dans les villages pour couper les gros arbres, notamment les khejri, parmi les plus fameux du désert : il avait besoin de bois pour alimenter ses fours à chaux dans le cadre d'un vaste chantier de rénovation de son palais.

Ses hommes se rendirent sur les terres bishnoïes pour abattre des arbres : les Bishnoïs sortirent de leur village et leur demandèrent de ne pas dévaster les forêts, expliquant que c'était contraire à leurs préceptes religieux.

Le maharadja confirma son ordre et les soldats se mirent à couper. Une femme de la communauté, Amrita Dévi, ainsi que ses filles et d'autres femmes, s'interposèrent pour leur interdire cet abattage, entourant chacune un arbre de leurs bras.
Puis hommes, vieillards, jeunes suivirent l'exemple des femmes. Tous prirent un arbre à bras le corps et les soldats coupèrent, mutilèrent, sans distinction, les arbres et les Bishnoïs. En tout, 363 personnes furent ainsi massacrées pour avoir tenté de protéger les arbres.

Il n'existe pas d'autre exemple dans l'histoire humaine, et dans le reste du monde, où des êtres humains offrirent leur vie pour sauver la vie des arbres.
Suite au massacre, le roi de Jodhpur, ayant appris le nombre de victimes et afin d'honorer le courage des Bishnoïs, ordonna que les zones habitées par ces derniers devinssent sacrées et qu'en ces lieux nul homme étranger à leur religion ne manquât de respect à leurs 29 commandements.

Praeclarum custodem ovium : expression latine qui signifie “excellent protecteur des brebis”.

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