mardi 28 octobre 2008

AHIDOUS (izli)

AHIDOUS

(izli)

A Ali Khadaoui

« Adday teqqimt ghef iselli, tras smaht aday tekkart »

(« Si tu t’assoies sur une pierre, demande-lui pardon en te levant »)

Sagesse amazighe


Tenez-vous droit, femmes amazighes, tiges ardentes, fleurs rayonnantes de l’aurore,
Levez vos yeux vers la coupole du ciel, hommes amazighes, faucons embrasés du midi, Aigles au vol sidéral, éperviers qui ignorent le poids de l’éther,
Chanteurs de l’éternité, musiciens du temps vêtu des rameaux rouges des néfliers!
Que le cœur surprenne ce que le regard embrumé ne voit pas !

Ô soir éclatant comme la pourpre, bourre lanice à la blancheur de perce-neige,
Pierres meulières des saisons, mains à la vigueur de vagues marines,
Mots pris de tremblements imperceptibles !

Poète amant du désert, nous nous tenons élancés,
Nous nous serrons l’un contre l’autre
Comme la branche du saule se serre contre la branche du saule,
Comme le douce paupière se serre contre la douce paupière,
Et les bouquets des regards enlacent les bouquets de regards.

Ô sourires, arbres lourds de fruits mûrs, vents verts et bleus
Qui appellent les ruisselantes voiles du soir, piété que nul péril ne peut altérer,
Qu’il est doux de devancer les ordres solennels du Destin !

Abandonnons le fardeau de nos cœurs au pied rapide de la nuit,
Pour que demain le lever du jour soit plus léger et plus clair,
Et donne une vie foisonnante à chaque feuille, à chaque brin, à chaque tige d’avoine !

Peupliers au faîte d’argent clair, veilleurs taciturnes de nos routes sinueuses,
Libre est le chant du cœur pur, d’or sonore est la gorge fidèle à la patrie !
Le soc du matin s’enfonce dans la chair limpide de la terre,
Ô larme qui sait retenir le jour dans sa chaleur !

Plus souples que l’herbe sous la fureur des tempêtes,
Plus fines que les lances des guerriers amazighes
Plus élégantes que la mélodie de la brise sont les tailles de nos filles !

Et que dire de leurs visages ? Les étoiles du Cancer jalousent leur beauté,
La lune voile de taffetas sa face de cuivre poli pour ne pas affronter leur splendeur.

Le jasmin fleurit à chaque fenêtre, des papillons jouent avec le tulle des corolles,
Le soleil vient s’abreuver de l’eau transparente des prunelles vierges des enfants,
Au crépuscule lune et soleil se donnent rendez-vous !


Nos femmes sont des puits profonds de dévotion, d’allègres ruisseaux de bonté,
Elles savent essuyer nos fatigues d’un baiser d’organsin,
Elles nous enlacent dans leurs bras radieux
Comme les berges ceignent de leur verdure l’eau franche des rivières!

De bronze brun sont les corps de nos garçons, d’airain robuste leurs muscles de feu,
Plus véloce que la gazelle effarouchée est leur course à travers le désert,
Plus résistants que le roc du Rif leurs bras et leurs jambes !
Ô membres durs et odorants comme du chêne,
Dans le creux de leur main mon cœur a fait son nid !

Nos cœurs sont ardents comme la braise, transparents comme l’eau du diamant !
Nous sommes fils du soleil, l’azur laboure nos visages,
La vérité a forgé de lumière nos artères et nos veines,
Féroces deviennent les amazighes, quand l’ennemi brutal touche à leur terre !

Ô jour, envahis mon poème, emplis tympans et pupilles de beauté,
Bruits légers, sourds ou bien sonnants, mots qui absorbent l’incendie du ciel
Verte fraîcheur du soir, mots à vivre, mots à mourir,
Tissez le tapis bariolé de ces vers,
Frappez de vos marteaux de saphir la mélodie de mon chant élogieux !

Chantons les dons prodigues de nos champs, exaltons en héros notre terre généreuse,
Nous qui adorons la rude sagesse de nos ancêtres, le dur labeur de nos parents,
Ô pays notre, tout ici est à nous, à nous, pays de toujours,
Pays dont les racines poussent dans notre sang, tu appartiens à nos âmes,
Comme l’enfant appartient à sa mère, et l’amande de lait à l’amandier !

Le ciel de mon pays éclate, crépite, brûle, mais il est plus doux à nos cœurs
Que les plus suaves, les plus voluptueux mots d’amour,
Plus bleu et plus natal à nos prunelles que le murmure végétal des rivières,
Que les paroles safranées des jeunes filles!
Il est plus qu’infini le ciel de notre terre, notre ciel tissé de bleuets et de jacinthes !

En juillet, nous naissons au jour, avec des mains blanches posées sur nos visages,
Nos yeux ont tracé des lignes que nulle trahison ne peut franchir !
Le jeune frère ébahi, tend un œillet blanc à l’amie de son frère aîné.
C’est avec l’odeur de lavande que nos maisons apprennent l’art d’accueillir notre retour !

Loyal est le cœur amazigh. Au sud tout est chaleur et parfum d’affection,
Au sud, la grive ne peut mourir de solitude derrière les feuilles des vignes !
Le temps lui-même ne peut s’arrêter de chanter !
Fidèle est la caresse amazighe !
Quand le silence se tait même les morts ne peuvent mourir !

Les montagnes de notre pays jouent à cache-cache avec les nuages,
Les étoiles descendent sur nos cimes pour vêtir leur corps scintillants de neige blanche,
Pour poser sur nos lèvres l’histoire immortelle de l’éternité !

Des grains de sable luisant, des pétales de pommier
Sont les dents de nos tendres aimées,
Ondoyante est leur grâce comme le parfum des blés mûrs,
Leurs sourires sont habillés par tous les fruits de l’automne,
Ô femmes qui savent parler en vérité et en transparence !

Comme les luxuriantes couronnes des arganiers
Sont leurs chevelures abondantes ! Boucles au parfum de violette,
Femmes assises au pied des hautes commanderies des étoiles,
Paupières de corail luisant, cils de surah qui battent
Comme les ailes soyeuses des mésanges, peau d’olivier,
Taille de palmiers a l’assaut des solstices d’été !

Sincère, entière, loyale, juste et simple est la vie amazighe,
Véridique comme la parole des anges,
Limpide et immaculée comme les sources inaltérées de l’Atlas,
Solidaire, aimante et fraternelle est la loi amazighe,
Liée à sa terre en temps de joie comme en temps de peine !

Nos ancêtres sont venus nous rendre visite,
De loin ils sont venus jusqu’à nous,
Ils ont quitté le pays du silence pour venir honorer notre fête,
Cette nuit ils dormiront dans nos maisons et sous nos tentes,
Joue contre joue, épaule contre épaule, tendresse contre tendresse !
Coude contre coude ils ont dansé avec nous aujourd’hui, nos ancêtres,
Ils nous ont apporté des nouvelles de l’empire du silence !

Couvrons de branches de seringua les têtes resplendissantes de nos enfants,
Que la Paix maternelle les porte dans ses bras,
Que nos dieux familiers veillent et accompagnent leurs années !

Beau est notre pays, superbes ses montagnes, splendides ses vallées,
Munificents ses champs fertiles !
Plus cher à nos bouches est le nom de notre pays,
Plus que tout l’or de la terre, que tous les trésors des sept mers !
Dansons ce soir autour des flammes du feu sacré,
Chaque fibre de nos corps palpitant de la vivante gloire de notre pays !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 23 octobre 2008

J’ai écrit ce poème après avoir lu le message de mon ami, le poète et l’érudit Ali Khadaoui. Il a fait entrer dans mon cœur un amour lumineux pour la vaste Tamazgha, la fille préférée des génies du ciel !

Glose :

Ahidous (n.m.) : danse traditionnelle pratiquée par les tribus amazighes (berbères) du Moyen Atlas, au Maroc, dans laquelle hommes et femmes, coude à coude, épaule contre épaule, forment des rondes, souples comme le vent et ondoyant comme les hautes avoines, accompagnées de chants qu’on appelle en tamazight (la langue berbère) izli, izlan.
L'ahidous est le divertissement préféré des Amazighs du Maroc central. Il est le moyen d'expression le plus complet et le plus vivant de leur cœur. On le danse dans les villages à l'occasion de toutes les fêtes, l'été, après les moissons, presque tous les soirs.
Les danseurs se mettent en cercle, en demi-cercle, ou sur deux rangs se faisant face, hommes seuls, femmes seules, ou hommes et femmes alternés, étroitement serrés, épaule contre épaule. La danse est rythmée par le tambourin rustique (bendir) et par le battement des mains. Les mouvements sont collectifs : c'est un piétinement ardent, un fléchissement fiévreux, un tremblement du corps exalté qui se propage, entrecoupé d'ondulations larges imitant le souffle du vent sur les blés, un balancement qui rappelle la grâce des jeunes rameaux printaniers. Les mains des femmes ondulent dans l’air suivant une chorégraphie exquise et touchante par sa pudeur. Cette danse est accomplie avec une telle aisance qu’on croirait que ces hommes et femmes ont le rythme dans le sang. Une légèreté aérienne plie les corps au rythme à cinq temps, une souplesse toute féline court dans chaque fibre, l’enthousiasme gagne chaque muscle, rend les mouvements amples, vivants, harmonieux. Les voix retentissent, tremblent un instant et s’envolent vers le ciel en cris de gratitude, en onomatopées d’extase. C’est la divine démence, la folie céleste des dieux venus danser avec les hommes. Tous semblent ravis de se retrouver ensemble, fiers d’appartenir à la même race, au même peuple qui occupe toute l’Afrique du Nord, de l’Atlantique à la mer Rouge.
Le voyageur est saisi par la gravité des gestes et croit assister à des mystères d’initiation venus de la nuit des temps. Les dieux et les ancêtres semblent prendre part à cette danse qui, à n’en point douter, a une profonde signification religieuse. Les Berbères vivent en compagnie de leurs dieux et de leurs ancêtres. Leurs âmes sont répandues partout, dans chaque parcelle de terre, dans chaque pierre, dans chaque grain de sable. Aussi sont-ils respectueux de la moindre créature qui peuple un pays qu’ils adorent et pour lequel ils sont prêts à sacrifier leur vie.

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