INSIMULABLE CLARTE
A Stoyan Bakardjiev
« Amor é uma luz que não deixa escurecer a vida »
(« L’amour est une lumière qui ne permet pas à la vie de sombrer »)
Camilo Castelo Branco
I.
Tu ne contemples plus la ville limpide,
Les cerceaux lumineux des hirondelles
Dont les nids d’une élégance sereinement attique,
Servent d’ornements somptueux
Aux ocres murs de ta toute modeste maison.
Tu n’entends plus la musique des platanes
Aux feuilles si tendres qu’elles laissent transparaître
Les épiphanies des printemps,
Ni sens les immaculées, les incorruptibles vibrations
De l’émotion et de l’antique mémoire
De l’éternel ciel thrace.
Tes bras vigoureux à la piété filiale incomparable,
Ne portent plus, tel un vase sacré de cristal pleine de myrrhe,
Serré contre ton souffle,
Le corps à jamais transi de ta très vieille mère !
II.
Il est bien loin le temps où, enfant,
Tu jouais au ballon avec l’insouciance d’une mésange
Dans cette rue embellie
Par les mains rêveuses des paveurs !
Toi, Ami aimé,
Ami de mon âme, que je vois penché,
Au milieu de la nuit,
Sur le livre volumineux
Que les Anges de la transparence
T’avaient prié de traduire en bulgare.
III.
Ah, mon Ami, il est si triste de savoir
Que ta chaude voix où on entendait couler
La douloureuse anxiété des nuits,
N’habite plus la maison,
Que les lilas que tu aimais tant,
Que tu avais plantés en chantant
Sont toujours là
A attendre la délicate mélodie de tes pas !
Toi, vivant au fond même du cœur de la mort !
IV.
Le soir tombe dans l’âme
Avec la douceur vertigineuse de l’été diaphane !
Ainsi descend des cimes la neige,
Devenue fleuve sous la tendresse de la brise,
Vers les étreintes vibrantes des vagues de la mer !
V.
Une femme vêtue de noir, seule, à genoux,
Prie à l’intention de tous les siens endormis dans la paix,
Devant l’icône de la Sainte Mère de notre Dieu et Seigneur
Dans la petite chapelle où règne déjà
La prudence de l’air nocturne.
Mes mains tâche de saisir la chaleur safranée
De ses mots, serrant fort le cierge
Dont les gouttes de cire brûlent la peau.
V.
Quelque part une jeune voix se lève
Et appelle le chœur des étoiles.
Je sors, je marche le corps empli de larmes,
La nuit vient de naître sur mon visage !
Je sais, c’est le dernier tournant de ma vie !
Je sanglote ton nom
Devenu enfin toi-même !
J’embrasse ton visage ouvert à mon affection
Comme une saison immortelle !
Paris, le 13 octobre 2008
Stoyan Bakardjiev était le plus brillant traducteur bulgare. Il avait consacré toute sa vie à la traduction des plus grands poètes du monde. Mon ami, le poète Radko Radkov et moi lui rendions de temps en temps des visites à Pazardjik, ville magique au coeur de la Thrace située à quelque quarante kilomètres de Plovdiv. Pendant des années, cet être merveilleux, cet immense érudit, soigna avec une incroyable tendresse filiale sa vieille mère paralysée. Nos rencontres étaient des fêtes de l’âme. La dernière fois que je l’ai vu, il m’a dit, souriant, calme, serein : « Athanase, ma cigale, nous ne nous verrons plus dans ce monde. Je t’attendrai au paradis des poètes sous un pommier en fleur ! ». J’éclatai soudain en pleurs ! Tout mon corps fut pris d’un violent tremblement. J’étais frappé en plein visage par une tristesse suffocante. En chemin vers Sofia, je n’ai pas arrêté de pleurer ! Je ne l’ai plus revu. Il est mort deux mois plus tard.
Ce soir, j’ai cherché dans Internet une note sur lui. Pas un mot ! Pas un mot sur cet homme qui a donné tant de joie à des milliers de Bulgares. Mon cœur a de nouveau pleuré. Se peut-il que personne de l’Union des traducteurs bulgares n’ait pensé à publier un article sur lui ?
Ami, que ce poème te dise tout l’amour que je te portais, que je te porte, que je porterai jusqu’à la tombe.
Camilo Castelo Branco (1825-1890) : un des plus grands poètes et écrivains classiques portugais. La vie agitée de Camilo, comme on l'appelle affectueusement, a été aussi riche en événements et aussi tragique que celle de ses personnages : fils naturel d'un père noble et d'une mère paysanne, il resta très tôt orphelin. Marié à seize ans avec Joaquina Pereira, il connut d'autres passions tumultueuses, dont l'une le mena en prison : celle pour Ana Plácido qui devait devenir sa compagne. Fait vicomte de Correia-Botelho en 1885, pensionné par le gouvernement, il connut cependant une fin de vie des plus pénibles : perclus de douleurs et devenu aveugle, il finit par se suicider.
À travers son œuvre très féconde (262 volumes), Castelo Branco s'est intéressé à presque tous les genres : poésie, théâtre, roman, historique, histoire, biographie, critique littéraire, traduction. On y retrouve le tempérament et la vie de l'auteur : la passion fatale s'y lie au sarcasme, le lyrisme à l’ironie, la morale au fanatisme et au cynisme, la tendresse au blasphème.
Camilo Castelo Branco, cherchant les sources nationales, écrivit qu'il avait « déserté les drapeaux des maîtres français » [pour retourner à la description des usages et coutumes portugais. Il traduisit Chateaubriant, et essayera d'écrire une version portugaise de La Comédie humaine.
Cet écrivain à l'imagination vive, au style communicatif, naturel et coloré, au vocabulaire riche et nuancé, est resté un maître incontestable de la langue portugaise. Amour de perdition, publié en 1862, est, d'après le grand Miguel de Unamuno, le plus grand roman d'amour de la Péninsule Ibérique. Écrit en 1840, lorsque Camilo était en prison pour ses amours avec une femme mariée, il relate la passion clandestine de deux jeunes gens, Simão et Teresa, passion à laquelle s'ajoute l'amour de Mariana, une fille du peuple qui s'éprend de Simão, tout en continuant à lui servir de messagère auprès de Teresa.
lundi 13 octobre 2008
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