VIII.
LA JEUNE FILLE A LA PERLE
A Michael Sweerts
« Qui natura poeta est,
statim (et sine labore) sapidum poema fundat, nullo prorsus vito
laborans »
(« Qui est par nature poète, immédiatement (et sans effort)
conçoit un bon poème exempt de toute défectuosité »)
Jehudah ha-Levi,
Liber Cosri
Beauté, tu préexistes dans la Sagesse de Dieu
Qui illumine le temps et pose la forme créée,
Une grâce surnaturelle, un vœu d’extrême
clarté
Que dictent au cœur l’extase et la splendeur
aux yeux !
Seigneur de Lumière, fixe mystiquement mon âme
Dans ce portrait qui chante l’Idée suprême du
Beau,
Vision immédiate de l’invisible sceau
Qui frappe la matière du sigle de sa
flamme !
Ô art vertigineux, par quelle magie sublime,
Par quelle folie divine émane de la pensée
Le chant intérieur de ce visage hanté
Par mille secrets frivoles, par mille rêveries
intimes !
Que disent à l’infini ces lèvres entrouvertes,
Les yeux humides scrutant la vaste nuit
déserte ?
Glose :
La Jeune fille à la perle : tableau peint vers 1665. Huile sur toile, 44,5
x 39 cm,
La Haye,
Koninklijk Kabinet van Schilderjen. Signé « IVMeer ».
Michael Sweerts (Bruxelles
1624- Goa /Inde/ 1664) : c’est certainement un
des artistes les plus originaux et les plus énigmatiques du XVIIe siècle.
Profondément dévot, il était peintre, marchand, courtier et enseignant. Sweerts
est souvent décrit comme un personnage étrange, fuyant ses camarades
néerlandais vivant à Rome. Il ne se souciait guère de faire partie des artistes
pratiquant l’art officiel. Nous ne connaissons rien de ses jeunes années ni de
sa formation. Ce que nous savons, c’est qu’il vécut en Italie entre 1646 et
1656 et qu’il entra un certain temps en contact avec les Bamboccianti. Ces derniers étaient un groupe d’artistes
principalement hollandais qui avaient travaillé à Rome au milieu du XVIIe
siècle. Ils étaient des disciples de Pieter
Jacobsz van Laer (1592-1642) qu’on avait affublé du surnom de
« Bamboccio » signifiant « bébé ou grande marionnette » à
cause de son corps difforme. Comme eux, il peignit des scènes de genre, mais
son art reste profondément différent du leur à cause de la sérénité qui règne
dans ses tableaux et de cette mélancolie si caractéristique de ses figures. En
1656, Sweerts retourna à Bruxelles. En 1659, il devint membre de la Guilde Saint-Luc.
En 1660, Michael partit pour l’Asie en qualité de missionnaire. Il vécut et
peignit d’abord à Alep en Syrie, mais fut vite remercié par ses mécènes à cause
de son caractère très instable et très indiscipliné. Il embarqua alors pour Goa
en Inde, où il s’éteignit en 1664. Voici quelques œuvres de Sweerts : Tête de femme ; Le Jeune homme et
l’entremetteuse ; Le Débarquement ; Portrait d’un jeune homme ;
Jeune homme au chapeau ; Graveur dans son atelier ; Deux hommes en costumes orientaux, etc.
Yehudah ha-Levi (Tolède
1075- ? 1141) : un des plus grands érudits,
poètes et philosophes juifs espagnols. Ha-Levi était fils unique. Son père
Rabbi Chemouel l’envoya étudier chez un des plus célèbres savants de l’époque,
l’éminent Rabbi Itshak Elfassi. Dès son plus jeune âge, Yehuda montra une
disposition toute particulière pour l’éloquence. Son don fut remarqué par Rabbi
Moshé Ibn Ezra qui lui avait dit ce bel éloge : « Rabbi Yehuda
ha-Levi, toi si jeune, tu portes sur tes épaules d’énormes montagnes ».
Rabbi Moshé l’invita à venir à Grenade, l’accueillit dans sa maison et le
présenta à la communauté juive qui fut émerveillée par sa science. Yehudah
ha-Levi étudia également la médecine et vécut de cette profession. Craignant
Dieu, il aimait dire à ses patients : « Je ne me fie pas à la
médecine. Dieu est le véritable médecin ». En 1140, il écrivit son ouvrage fondamental Le Kazari (Liber Cosri), ardente défense du judaïsme. Ha-Levi
conçut son écrit comme un dialogue imaginaire entre un rabbin et un roi
légendaire des Khazars. Sa poésie, d’une très grande beauté, chante l’amour,
l’amitié, la Terre Sainte,
la dévotion religieuse, l’espérance, la splendeur du monde créé. Khazars (pluriel de Khazar, n.m.) : peuple
de race turque établi dans la région de la basse Volga. Ayant occupé la Crimée et Kiev au VIIe
siècle, les Khazars établirent un empire qui s’étendait du Boug et de Dniepr
jusqu’au fleuve Oural, et au Nord jusqu’à la moyenne Volga, à l’Oka et aux
sources de Donets. Islamisés et judaïsés dès le VIIIe siècle, ils furent
convertis au christianisme par saint Cyrille (860 ap. J.-C.). En 968,
Sviatoslav, grand-duc de Russie, conquit
leur forteresse sur le Don, Sarkel. Réduit à la Crimée (appelée alors la Khazarie),
l’empire des Khazars fut occupé en 1050
par les Byzantins, alliés de Vladimir Ier.
VIII.
Girl with a Pearl
Earring
to
Michael Sweerts
'True
poets can create good poems immediately, effortlessly and without
imperfection.'
Yehuda Halevi, Liber Cosri
Beauty exists a priori in the Wisdom of God,
which shines on Time and enables created form to take up its pose,
Beauty, your supernatural grace and your vow to show matter in the
clearest light
bring ecstasy to our hearts and the world's magnificence to our eyes!
Lord of Light, let my soul mystically penetrate
this portrait which sings the supreme Idea of the Beautiful,
a direct vision of the invisible seal of the Spirit
which presses into matter in the pithy form of fire!
O dizzying art, through what sublime magic,
through what divine madness can thought produce
the inner melody of this face haunted
by a thousand frivolous secrets, a thousand intimate reveries!
What are these half-open lips saying to infinity,
and these moist eyes peering into the vast empty night?
Notes :
c1665. Oil on
canvas, 44.5 x 39. The Hague, Koninklijk
Kabinet van Schilderjen.
Michael
Sweerts (1624-1664)
Flemish baroque painter. Affiliated to the Bamboccianti painters of
daily life. The Bamboccianti were genre
painters active in Rome from about 1625 until the end of the seventeenth century.
Most were Dutch and Flemish
artists who brought existing peasant traditions from sixteenth-century Netherlandish art
with them to Italy and
generally created small cabinet
paintings or etchings of the everyday life of the lower classes in Rome and its countryside.
Yehuda
Halevi (c1075-1141)
Spanish Jewish philosopher and poet.
VIII
ЮНКА З ПЕРЛОМ
Мікаелю Свеертсу
« Qui natura
poeta est, statim (et sine labore) sapidum poema
fundat, nullo prorsus vito laborans »
(Хто за природою своєю поет, одразу (та без найменшого
зусилля) складає поезію, до того ж, без жодної хиби).
Єгуда Халеві
Красо, ти Мудрістю Господньою жива.
В ній – осіянний час і форма
сотворенна,
Яса найвища, надприродна в ній явленна,
В екстазі серця чаром очі сповива!
Владарю Світла, глянь мені містично в душу –
В цім образі співа Ідея Блага
Найвища, хай невидима звитяга
Матерію вогненно розворушить!
Мистецтва млосний чар! Чаклунство це всевишнє,
Божественний цей шал у гадці струменять,
У співі внутрішнім обличчя це п’янять
Ці сонми любих мрій і таємниці втішні!
Що скажуть безміру воложисті ці очі
Й вуста, розкриті у пустелю ночі?
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