mardi 1 juillet 2008

LES PREMIERS POEMES

A Jean-François Klotz

« Respirer ?
C’est aspirer toutes les voix
Des cigales du soir »

Kaneko Tôta


1.

J’allais, parfois, du village de Thracy
Au monastère Sainte-Anne,
Elevé dans des temps anciens
Par mes ancêtres :

Une foi robuste comme leurs corps de silex,
Un amour pur comme leurs mœurs
Ont guidé l’effort lumineux de leurs mains.

Ô bénis, bénis ceux qui savent, qui peuvent
Encore croire, prier et pleurer !

2.

Des violettes sauvages poussaient
Des deux côtés de la route poussiéreuse,
Des iris fleurissaient entre les pierres souriantes
Des murets fatigués.

Un ruisseau vagabond, aux eaux vives et claires
Comme les prunelles vierges d’une fillette, courait,
Heureux d’errer, prompt et libre,
A travers les belles prairies peuplées
De mille tribus d’insectes agiles
Et de chantantes roselières !

Ô bénis, bénis ceux qui savent, qui peuvent
Encore quitter la chambre ardente
De la grande solitude !

3.

Ma tête éthérée était si pleine de musique !...
Des rimes, des images, des mots, des strophes
Se bousculaient allégrement
Dans mon cœur essoufflé de joie !

Les Muses, presque visible,
Presque tangibles,
Allaient, vêtues de soleil et de paroles aériennes,
A mes côtés.

Et des voix, des voix, des voix
Des voix roses, bleues, orange, mauves,
Réséda résonnaient tout alentour
De mon corps,
Emplissant l’air violet de légendes!

Ô araignées, princesse pâles et pensives,
Flottant dans la soie blanche de vos robes
Sous le l’écoulement d’un ciel bleu, bleu, bleu,
Bleu à perdre le souffle!...

4.

J’arrivais devant l’icône dorée
De la sainte mère de Marie
Une fleur à la main.
Je la posais sur sa face,
Me penchais sur la grande pâleur de sa peau,
Allumais un cierge
Et posais mes lèvres sur
Le doux rayonnement de son front !

Enhardi par son calme,
Rassuré par son délicat sourire,
Je me mettais à lui lire,
Avec une voix liturgique,
Le poème que j’avais composé,
En compagnie mélodieuse
Des aigrettes,
Sur la route !

Ah, pour chanter, nul besoin de mourir !
Il suffit d’entrer dans les semences de la vie,
Il suffit de vibrer à l’unisson
Avec les myriades d’essaims de regards
Qui scintillent partout dans l’univers !

5.

Le soir, rompu de fatigue, brûlant d’émotion,
Je m’endormais avec précipitation
A côté de mes cousins aimés
Sur le moelleux oreiller
De la Voie Lactée !

Ô nuit, nuits légère,
Nuits bercées dans les rets transparents
Des libellules,
Frissons parfumés de fraîcheur,
Voiles des brises
Voguant sur l’eau profonde des prunelles !

Ô divine chaleur que les étés de l’enfance
Ont laissé dans ma chair !
Versets d’une époque lointaine
A jamais à l’intérieur de moi !...

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 1 juillet 2008

Glose :

Kaneko Tôta (né en 1919) : un des grands maîtres japonais du haïku.

Roselière (n.f.) ou phragmitaie (n.f.) : zone en bordure de lacs, d'étangs, de marais ou de bras morts de rivière où poussent principalement des roseaux (phragmites).

Aigrette (n.f.) : du provençal aigreta, lui-même de aigron, forme régionale de héron. Oiseau du genre héron, de l’ordre des Ciconiiformes, de la famille des Ardéidés. Il existe plusieurs genres d’aigrettes : aigrette garzette (la plus répandue en France), aigrette ardoisée, aigrette bleue, aigrette de Chine, aigrette des récifs, aigrette neigeuse, aigrette roussâtre, etc.

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