LES NERFS CRAMOISI DES JOURS
A Fabrice Coupechoux
« Et si la mort n’était qu’un mot ?
René Crevel
I.
Ces voix claires
Qui se répandent, à midi, avec une élégance blanche
Sur le tapis profond du silence
Et le duvet argenté des feuilles des trembles !...
Ces voix ensorcelées qui coulent comme du sang
Sur la page où naît,
Déployant la soie des syllabes, le poème !
II.
Puis, au loin, ivre d’azur et de lumière,
Le peuple ménestrier des cigales
Lance soudain
Ses stridulations parfumés,
Jubile, fait trembler les cimes des eucalyptus,
Et bouscule le calme radieux du jour.
C’est alors que le miel épais du désir
S’empare des âmes immaculées des adolescents
Et mord le marbre luisant de leur corps !
Emu par cet hymne aux dieux omniprésents,
Le soleil ralentit son pas ardent
Pour baigner sa face
Dans les roselières dorées où,
Attentifs à chaque frisson de l’air,
Des myriades d’insectes enfiévrés
Ecoutent pousser les tiges des herbes.
Les nids des oiseaux,
Bercés par la chaleur,
S’élèvent vers le ciel
Au fur et à mesure que les arbres croissent.
III.
Ah, mon Ami,
A chaque instant, quelque chose de nous
S’écoule dans les urnes funéraires
Des heures infatigables !
Toutes ces années sans nom,
Tous ces mots,
Tous ces sourires
Sur lesquels, un soir,
Une pierre ordinaire
Posera son poids définitif !
IV.
Poème, je te supplie,
Reste à mon côté
Comme la promesse d’une tombe
Toujours fleurie et jamais oubliée !
Poème,
Dis-moi, fais-moi croire
Que la divine permanence de nos rêves
Remplira toujours de son être secret
La sereine évidence des paroles simples,
Que nous serons à jamais,
Malgré l’endormissement de la vie,
Heureux
Et tellement nous-mêmes !
Athanase Vantchev de Thracy
Paris, le 22 septembre 2008
Glose :
René Crevel (1900-1935) : écrivain et poète surréaliste français. Né dans une famille de la bourgeoisie parisienne, René Crevel suivit sa scolarité au lycée Janson-de-Sailly puis fit des études de lettres et de droit à la Sorbonne. Son père se suicida alors qu'il avait 14 ans : cet événement allait marquer profondément sa vie.
Pendant son service militaire, il s'intégra au milieu littéraire du moment. Il y rencontra Roger Vitrac (1899-1952) et Max Morise (1900-1973). En 1921, René Crevel fit la connaissance d’André Breton (1896-1966) et rejoignit les surréalistes. À la fin de 1922, il entraîna le groupe dans des expériences de sommeil hypnotique et dans des pratiques inspirées du spiritisme. Crevel impressionna réellement Breton par la qualité de son éloquence au point que celui-ci regretta longtemps que les séances n'aient pu être enregistrées : « Nous aurions eu un document inappréciable, quelque chose comme le spectre sensible de Crevel. »
Exclu du mouvement en octobre 1925, René Crevel préféra suivre Tristan Tzara (1896-1963) et le mouvement dadaïste. En 1929, l'exil de Léon Trotski (1879-1940) l'amena à renouer avec les surréalistes. Fidèle d'André Breton, il essaya de rapprocher le surréalisme et le communisme. Membre du Parti communiste français depuis 1927, il en fut exclu en 1933.
Il s'investit beaucoup dans l'organisation du Congrès international des écrivains pour la défense de la culture de 1935, dans lequel s’était inscrit le groupe surréaliste, avec Breton désigné comme porte-parole. Cependant, suite à une altercation entre Breton et l’écrivain russe Ilya Ehrenbourg (1891-1963), la délégation soviétique obtint que le poète français soit exclu du Congrès. []René Crevel, qui ne pouvait pas imaginer l'absence des surréalistes à ce Congrès, en sortit désabusé et écoeuré. De plus, il apprit qu'il souffrait d'une tuberculose rénale. La nuit suivante, il se suicida au gaz.
lundi 22 septembre 2008
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