mardi 20 janvier 2009

BRAHMACHARYA

BRAHMACHARYA

A Francisco Rodrigues Lobo

« Impossible d’étreindre cette image qui reste en moi.
Dire que pourtant tu es là, dans ma ville, en chair et en os ».

Nazim Hikmet

I.

« Quand la vie ne sera plus nous,
Je ne pourrai plus couvrir tes joues roses
Des neumes de mes baisers
Ni assister,
Assis à l’ombre des majestueux sycomores,
Aux secrets conciles des mésanges.

De là où je serai,
Je rêverai aux riches voiles violets de la nuit
Sur ton tendre corps étendus.

Supporterai-je l’emmêlement inextricable de mes pensées
Et la kénose,
Cette mort à soi-même selon l’intraitable saint Paul ? »

Ainsi, parfois, je me parle en moi-même,
Du haut de ma pauvreté
Libre, volontaire, intégrale.

La pauvreté !...
Une longue route unit en un seul poème nos pas,
Sachant tous les deux que sans les mots,
Nous sommes deux orphelins sans patrie.

Et ce poème est une mosaïque vivante de feu pur !

II.

Septembre, septembre,
La vigne est rouge, et rouges sont ses feuilles,
Parée comme une princesse avant de mourir !

Septembre, septembre,
Pourquoi cette tristesse ?

III.

Oh non ! Je veux encore vibrer, rêver, respirer,
Vivre dans mon corps la pureté des Brahmanes
Et la haute miséricorde des Jaïns !

Comme eux je veux
Saisir l’invisible beauté qui dort
Dans chaque pli du temps !

Je veux
Entendre marcher dans ma main,
Sous le halo du silence ténébreux,
Le petit insecte bleu,
Appartenant à la même branche
De vie que moi.

Je veux
Apprendre à lire tout le destin de l’univers,
Dans la chute que fait la feuille jaune
De la branche fragile
A la terre attentive à la mort !

IV.

Ah, je veux,
Comme le grain de blé nu dans la terre,
Croire que je serai bientôt
Face à face avec le printemps !
Que demain, ah demain,
Tout sera lumière,
Lumière, lumière !

Ah ! Lumière !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 20 janvier 2009

Glose :

Brahmacharya (n.m.) : mot sanskrit qui signifie « une vie qui est menée en quête de la réalisation personnelle de Brahman » ou, alternativement, « une vie exprimant Brahman dans ses actions et ses accomplissements ».

Traditionnellement, cette vie impliquait de suivre un enseignement spirituel sous l'autorité duquel le brahmacari ou chela (étudiant) pratiquait un strict célibat, une vie de restrictions morales et de dévotion à la méditation. Bien que faisant parti du mode de vie hindou, le brahmacharya est aussi le pivot des traditions shramananiques du bouddhisme. Le mot brahmacharya est constitué de deux composants:

Brahma : ce terme désigne le dieu majeur, absolu, éternel et jamais né.
Acarya : ce terme est composé de car, « aller » et a, « vers », c’est-à-dire « aller vers ». Acarya signifie également « enseignant », « guide spirituel », « maître ». Donc le mot brahmacharya indique une vie en conformité avec les principes de réalisation les plus profonds de Brahma.

Shramanique (adj.): l’histoire ancienne de l’Inde rapporte qu’il y avait trois religions majeures dans le pays : le Brahmanisme, le Bouddhisme et le Jaïnisme (Nirgranthas). Des recherches récentes et des fouilles à Mohenjodaro et à Harappa ont montré que le Jaïnisme existait déjà il y a cinq mille ans. L'apport le plus estimable des Jaïns à la culture indienne est celui concernant la langue et la littérature. On appelle cet apport shramanique.

Il est certain que, depuis la période védique, deux courants différents de pensée et de manière de vivre prévalent en Inde. Ce sont la culture brahmanique et la culture shramanique.
La culture shramanique est représentée principalement par les Jaïns et le bouddhisme. Mais ce sont les Jaïns qui ont été les premiers à la propager.

Le jaïnisme, ou jinisme, du sanskrit jina, « vainqueur », est une religion, Je dois préciser que le mot religion se traduit en Inde par dharma. Ce terme est largement polysémique et signifie autant « foi », « religion », « vertu » que « devoir », « nature propre », « bonne action », un chemin spirituel qui insiste sur les concepts d’ahimsa (non-violence) et de karma (cycle des causes et des conséquences lié à l’existence des êtres sensibles) et qui met l'accent sur l’ascétisme. Il ne commence pas, à l'image du bouddhisme, comme un mouvement de réforme à l'intérieur de l’hindouisme, car c'est une religion traditionnelle qui vient de la plus haute antiquité, peut-être précède-t-elle le brahmanisme. Le jaïnisme devient une religion d'importance au cours du VIe siècle av. J.-C. Avec seulement 4 millions de croyants, le jaïnisme est la plus petite des 10 religions principales du monde, mais en Inde, les jaïns sont surreprésentés dans les secteurs économique et politique. Les jaïns sont une force significative dans la culture de l’Inde, contribuant à la philosophie, à l'art, à l'architecture, aux sciences et aussi à la politique au travers de Gandhi, et donc à l'indépendance de l'Inde.

Le temple d’Anvers, à Wilrijk, est le plus grand temple jaïn érigé en dehors de l'Inde. Il a été entièrement financé par les riches familles indiennes jaïnes actives dans le commerce du diamant. Il existe d'autres temples jaïns en dehors de l'Inde, notamment en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.

Les caractéristiques de la littérature shramanique sont qu'elle désapprouve le système des castes et des ashrams (quatre « états de vie » de la formation du brahmane), que ses héros ne sont jamais des dieux ou des rishi (prophètes, sages, devins des temps védiques), mais des rois ou des marchands ou même des shûdra (membres de la 4e caste, la plus basse, celle des serviteurs). Dans cette littérature, les sujets de poésie ne sont pas des mythes ou des légendes brahmaniques, mais des contes populaires, des histoires féeriques, des fables et des paraboles. Elle aime à insister sur la misère et sur la souffrance du samsâra (le cycle de réincarnations). Cette littérature enseigne une morale de la compassion et de la non-violence tout à fait différente de la morale brahmanique, avec ses idéaux de grands sacrificateurs, de généraux défenseurs des prêtres, et d'adhésion stricte au système des castes.

Francisco Rodrigues Lobo (1578-1622) : un des plus grands poètes bucoliques portugais, auteur d’un ouvrage considéré comme un pur chef-d’œuvre, la Corte na Aldeia (1619), pastorale mêlée de prose et de vers. Aristocrate, étudiant en droit à l’Université de Coimbra, Lobo a été un des premiers auteurs de son temps par la pureté de sa langue. Même si son premier (1596) et son dernier ouvrage (1623) sont en espagnol, il a servi son pays en composant entièrement en portugais ses églogues et ses pastorales.

Sycomore / Acer Pseudoplatanus (n.m.) : du grec sukon/ σûκον, « figue » et du latin morus, « mûre ». C’est le nom de différences espèces d’arbres. A l'origine, le terme « sycomore » se référait uniquement au Figuier sycomore (Ficus sycomorus). Par la suite, on a aussi appelé de ce nom une espèce d'érable en raison d'une légère ressemblance de ses feuilles avec le Figuier sycomore.

Kénose (n.f.) : du verbe grec kenoô / κενόω, « se vider ». La kénose est une notion de théologie chrétienne exprimée par un mot grec provenant de l'épître de Saint Paul aux Philippiens (Ph 2,7).

« Lui (Jésus), de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux hommes. S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix!

La kénose désigne le mouvement d'abaissement par lequel Jésus-Christ «se vida» de ses attributs divins pour rejoindre notre humanité jusqu'à vivre l'obéissance de la foi nue et la mort sur la croix.

Nazım Hikmet Ran (Salonique 1901 – Moscou 1963) : un des plus grands poètes turcs de tous les temps, puis citoyen polonais, longtemps exilé à l'étranger pour avoir été membre du Parti communiste turc. Son grand-père paternel, Nâzim Pacha, était le gouverneur de Salonique, libéral et poète. Son père, Hikmet, était diplômé du lycée de Galatasaray, qui s’appelait alors Mekteb-i Sultani. Sa mère, Célile Hanim, linguiste et pédagogue, était la fille d’Enver Pacha. Elle parlait français, jouait du piano et peignait.

Neumes (n.m.) : du grec neuma / νεύμα, « signe » ou altération du terme grec pneuma / πνεύμα, « souffle ». On appelle neumes les signes de la notation musicale qui furent en usage à partir du VIIIe siècle ap. J-C. et durant tout le Moyen Âge, jusqu’à la généralisation de la portée moderne à cinq lignes. La notation neumatique carrée sur les portées à quatre lignes reste utilisée dans les éditions modernes de plain-chant, c’est-à-dire essentiellement le chant grégorien.

Le neume transcrit une formule mélodique et rythmique appliquée à une syllabe (une même syllabe pouvant recevoir plusieurs neumes, dans le chant mélismatique). Contrairement à l'approche moderne, l'élément de base pour le chant grégorien, que ce soit pour son analyse ou son interprétation, n'est pas la note de musique, mais le neume. Mélismatique (adj.) : du grec melos / μέλος, « air, mélodie, chant ».

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