samedi 7 novembre 2009

KIZERU

KIZERU

Sabishii zo hitori go-hon no yubi o hiraite miru

(Tellement seul / J'ouvre pour voir / Mes cinq doigts)

Hosai Ozaki

I.

Me voici en mesure
D’écouter le temps !

Qu’il m’est doux, Michio mon Ami,
Qu’il m’est agréable de sentir
Dans les grandes profondeurs de mon cœur
Le déclin des heures !

Qu’il est plein d’ivresse
Le goût des choses inachevées !

II.

La neige dehors,
La neige aussi soyeuse, aussi blanche
Que l’écume des ruisseaux !

Ô Michio,
Comme j’aime
La tendresse chuintante
Des flocons
Dehors !

III.

Ici, ce soir, devant moi, près de moi,
La chaude,
La voluptueuse hébétude du feu !

Je vis encore, Michio,
Je tiens dans ma main
Palpitant d’ivresse amoureuse
Ton antique kizeru en argent.

Non, Michio, non !
Ils ne sont pas morts, mon Ami,
Ces extatiques cavaliers nippons
Ciselés avec tant d’habilité,
Ces paysans vigoureux,
Ces femmes élégantes
Au pied de Kaigahira-yama.

IV.

Un lieu, Michio, une ville aimée,
Un sentier cher à nos âmes qui court
Sous le doux poids des cerisiers,
Une maison de joie, un ciel d’iris
Que la main du dieu de l’amour
A marqués à jamais
Sur la carte de nos cœurs !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 6 novembre 2009

Glose :

Kizeru (n.m.) : pipe traditionnelle japonaise. À la différence de la pipe occidentale, le kizeru a une plus petite bouche et est plus long. Il est fabriqué en majorité avec du bambou. Le kizeru est plus utilisé pour fumer de l’opium, du haschich et de la marijuana que du tabac. Le nom kizeru vient du mot ksher de la langue khmer du Cambodge, dû aux grandes cultures de chanvre dans ce pays.

Ayant des bouts métalliques, le kizeru peut aussi être utilisé comme une arme offensive, un usage qui a vu le jour où des bandits de grand chemin attaquaient leurs victimes avec ces pipes. L'art de manier le kizeru comme une arme s'appelle le kiseru-jutsu. Des kiseru spéciaux pour cet art de combat mesurent 1 mètre 20 de long.

Hosai Ozaki (1885-1926) : un des plus tendres des maîtres du haïku. La poésie semble avoir été la seule planche de salut de ce naufragé de la vie. Disciple et ami de Seisensui Ogiwara, qui préconisait un haïku libre, il tenta d'abord, pendant quelques années, de s'intégrer dans la société. Il entra dans une compagnie d'assurances en 1912, après de solides études. Il la quitta en 1920, et tenta d'aller faire fortune en Corée et en Mandchourie. Malade et ruiné, il rentra au Japon en 1923. Abandonnant famille et métier, il commença alors une vie d'errance et de vagabondage pour fuir une douleur morale qui le rongeait. Il finit son existence misérable sur la petite île Shodo de la Mer Intérieure, le 7 avril 1926.

Michio : prénom japonais qui signifie « l’homme qui possède la force de trois mille personnes ».

Kaigahira-yama : le point le plus élevé de la ville de Nara. Nara fut pendant le VIIIe siècle la capitale du Japon sous le nom de Heijô-kyô ou Heizei-kyô, depuis sa fondation en 710 ap. J.-C., lors de l'accès au trône de l'impératrice Genmei, jusqu'en 784, c'est à dire durant l’époque Nara. Elle représenta la première véritable capitale fixe du pays. Avant 710, les capitales se déplaçaient de royaume en royaume. En effet, selon les anciennes conceptions du shintoïsme, la mort constituait l'impureté la plus grave. Lorsqu'il s'agissait de la mort du souverain, alors l'impureté frappait la capitale ; il fallait donc détruire les palais et les reconstruire ailleurs. Au début du VIIIe siècle, on comprit qu'il fallait créer un centre plus durable pour le gouvernement et l'administration de l'État.

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