lundi 11 novembre 2013

Ismail Kadare (français / anglais)



Ismail Kadare

« Tu demandes pourquoi j’ai tant de rage au cœur
Et sur un col flexible une tête indomptée ;
C’est que je suis issu de la race d’Antée,
Je retourne les dards contre le dieu vainqueur. »

            Gérard de Nerval

Mais nous, Ismail, nous sommes
Des généreuses, des vigoureuses pousses
De l’antique, du puissant
Cépage de la blanche Savoie
La suave et résineuse Vitis Allobrogica.

Vous, le glorieux fils de l’étincelante Albanie,
Vous qui transformez votre terre ancienne,
L’ordinaire douleur du peuple, ses gestes usuels
En odes et musique, en parfum de fleurs des champs,
En mots somptueux, libres, clairs et sublimes
Comme les chants des petits ruisseaux,
Comme le vol des aigles au-dessus des montagnes,
Comme la calligraphie des mouettes
Sur les bleus rivages de l’Adriatique !

Vous dont le sang souriant
Coule dans les veines de votre peuple fier !
Sang où naviguent, petits bateaux de soleil,
Les pages de toute l’histoire de l’humanité,
L’amour et la beauté des siècles !         

Nous aimons l’eau par laquelle
Les Grecs mesuraient le cours du temps
Et les colonnes par lesquelles
Ils déchiffraient le sens sacerdotal de l’ombre !

Ô lumière impondérable des heures,
Lent écoulement des fleuves de la vie,
Fil inépuisable des dits des philosophes,
Légendes et vieux effrois des rois !

Lumière des livres épidictiques,
Paroles magistrales
Dans la nuit interminable
Où voguent nos rêves de bonheur !

        Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 10 novembre 2013


Glose :

Ismail Kadare (ou Kadaré en français) est un écrivain albanais né le 28 janvier 1936 à Gjirokastër, dans le sud de l'Albanie. Il a étudié les lettres à l'Université de Tirana, puis à l'Institut Gorki de Moscou. En 1960, la rupture avec l'Union soviétique l'obligea à revenir en Albanie, où il entama une carrière de journaliste. Il a commencé à écrire très jeune, dès le milieu des années 1950, mais n'a d'abord publié que quelques poésies.

En 1963, la publication de son premier roman, Le Général de l'armée morte, lui apporta une renommée mondiale. Son œuvre a été traduite dans plus de trente langues. Il a reçu le Prix International Man Booker en 2005 et le Prix Prince des Asturies de littérature en 2009.

Gérard de Nerval pseudonyme de Gérard Labrunie (1808-1855) : un des plus grands poètes et écrivains français. Il est essentiellement connu pour ses splendides sonnets Les Chimères et ses nouvelles Les Filles de feu.

Antée ou Antæus : personnage de la mythologie grecque, géant, fils de Poséidon et de Gaïa, il massacrait tous les passants pour élever un temple à son père avec leurs crânes. Héraclès le terrassa trois fois, mais en vain, car Gaïa, sa mère, ranimait ses forces chaque fois qu’il la touchait. Héraclès s’en aperçut, le souleva en l’air, et l’étouffa dans ses bras.

Vitis Allobrogica : le plus ancien cépage reconnu en Savoie : la Vitis Allobrogica que les Romains avaient trouvé à leur arrivée en 120 av. J.C. Ce raisin rouge à la maturité tardive, cité par Pline l'Ancien et l’agronome romain Columelle, était adapté à l'altitude et au climat local. Le médecin Celse la recommandait pour certaines affections de l'estomac. Pline pensait que le goût de résine qui caractérisait le vin des Allobroges (peuple gaulois) était dû aux forêts de sapins qui entouraient le vignoble.

Columelle qui avait étudié la fabrication du vin ne fit pas cette erreur et décrivit les procédés employés à l'époque pour aromatiser les vins avec de la résine (corticata). Ces vins poissés étaient très recherchés à Rome, où on les transportait dans des outres enduites d'huile ou de cire, et ils étaient réservés aux banquets et notables. Les vins de l'Allobrogie sont appréciés par le plus célèbre des gourmets romains, Lucullus le Raffiné.

Épidictique (adj.) : emprunté au latin epidicticus, lui-même du grec ancien. Terme qui signifie « qui sert à montrer ». Discours qui, dans un panégyrique ou une oraison funèbre, consiste à montrer les vertus d’un personnage vivant ou défunt et à distribuer le blâme à ses détracteurs.

ENGLISH :

Ismael Kadare

‘You ask why I have so much rage in my heart
And why my neck is pliant and my head untamed;
It is because I am descended from the race of Antæus
And I am turning a conquering god’s darts back upon him.’

             Gérard de Nerval


But we, Ismael, we are the
Generous, vigorous shoots
Of antiquity, potent
Grapes from white Savoy
The sweet and resinous Vitis Allobrogica.

You, the glorious son of glittering Albania,
You who transform your ancient land,
The ordinary suffering of the people, their everyday gestures
Into odes and music, into the fragrance of the flowers of the fields,
Into sumptuous words, free, bright and sublime
Like the singing of small streams,
Like the flight of eagles over the mountains,
Like the calligraphy of seagulls
Upon the blue shores of the Adriatic!

You, whose smiling blood
Runs in the veins of your proud people!
Blood navigated, like small boats of sunlight,
By the pages of the entire history of humankind,
Love and the beauty of the centuries!

We love the water by which
The Greeks measured the flow of time
And the columns by which
They deciphered the sacerdotal meaning of the shadows!

O imponderable light of the hours,
Slow flowing out of life’s rivers,
Inexhaustible thread of philosophers’ making their case,
Legends and the ancient terrors of kings!

The light from epideictic books,
Magisterial words
In the interminable night
Upon which our dreams of happiness are sailing!


Translated from the French of Athanase Vantchev de Thracy by Norton Hodges



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