GRAMMATA
(τα γράμματα)
A Vinko Kalinić
“A green and silent spot, amid the hills,
A small and silent dell !”
(« Un endroit vert et silencieux, au milieu des collines,
Un petit vallon calme ! »)
Samuel Taylor Coleridge
Fears In Solitude / Crainte dans la solitude
I.
Vinko, mon Ami,
Morphée donne à chacun son surplus de rêve,
A chacun, la nuit bienveillante offre les mots
Qui tiennent les hommes serrés les uns contre les autres.
Nous aimons la tristesse
Dans le regard souriant
De ceux qui nous sont chers, très chers,
Et pleurons quand le jour veut s’effondrer
Et mourir.
Amis de la bonté chrétienne,
Nous n’aimons pas voir
L’échec le disputer au désespoir.
Vinko, comme il est bon de savoir
Que les anges lisent les pensées
De tous les esprits qui peuplent l’immense univers,
Celles des âmes sensitives et mortelles,
Celles des âmes rationnelles et immortelles.
Nous admirons la fidélité indéfectible,
La fidélité indépassable,
Celle du chien du roi Lysimaque
Qui voulut partager le destin funeste de son maître
Se jetant dans les flammes
Alors qu’il aurait pu si facilement
Se sauver.
II.
Pourquoi, Ami, les verba restent-ils si inadéquats
Pour exprimer un être aussi sublime que Dieu ?
Même la surabondante démesure
De la langue hallucinée de Pseudo-Denis
N’a pas été capables de Le nommer !
Être pur, donner rang d’essence
A tout ce qui vit, à tout ce qui est vrai !
Comment nommer l’innommable,
Comment voir l’invisible
Et ce qui échappe à toute saisie de nos sens ?
III.
Telles sont mes pensées ce soir, mon Ami,
Je somnole près du feu ensorcelant de l’âtre
Dans cette maison qui respire le bonheur
Simple et quotidien
Et j’écoute, comme dans les clairières d’un rêve lointain,
Les neiges chantantes
Et le léger craquellement
Des mosaïques du gel sur les vitres
Tournées vers le blanc, le pantelant linceul du ciel.
IV.
Substance,
Temps,
Perpétuité,
Nombre,
Ordre,
Grandeur !
Ferveur hallucinatoire,
Vibrante simplicité des objets,
Lignes épurées du décor,
Frémissement de la clarté intérieure !
Le fascinant récit des étincelles
Dans l’antique foyer
Et cette vivifiante odeur de coings
Qu’on a mis dans les vieilles armoires
Pour sauvegarder la fraîcheur des draps
Tissés par grand-mère !
V.
L’esprit rêve de beauté
Comme rêve ardemment de la faible lueur d’une lampe
Oubliée à une fenêtre
Celui qui va par l’ombre.
Et l’âme, évitant le flot flamboyant des pensées
Et les écueils des mots fatigués par le mensonge,
Aspire à la transparente légèreté du ciel.
VI.
Ô ténèbres plus lumineuse que la lumière
Ô ineffabilité de la vision divine,
Fais-moi don d’un chant
Qui ébranlerait les arbres,
Emouvrait le cœur des pierres
Et rendrait mansuète
L’opiniâtre férocité des hommes !
VII.
Un chant, mon Ami
Qui répèterait
A nos cœurs toujours éveillés
Dans la douleur qui sait polir
Les aspérités des sanglots :
Savoir, c’est aimer,
Aimer, c’est savoir !
Athanase Vantchev de Thracy
Glose :
τα γράμματα : mot grec (neutre pluriel) qui signifie « belles lettres ».
Samuel Taylor Coleridge (1772-1834) : poète et critique britannique. Il est le plus jeune des treize enfants du pasteur John Coleridge, qui exerce également à Ottery Saint Mary la fonction de maître d'école. Il fait ses premières études à l'école que dirige son père, mais il n'a pas encore dix ans que celui-ci décède, laissant sa famille dans une situation très précaire. Il est alors hébergé quelques semaines à Londres chez un oncle, puis est admis à Christ's Hospital, pension de bienfaisance de Londres où il se lie d’une fervente amitié avec Charles Lamb.
En 1791, âgé de 18 ans, il obtient, venant de Christ's Hospital, une place gratuite à Jesus College, à l'université de Cambridge. Il y fait la connaissance de mouvements politiques et religieux radicaux, et commence à abuser de l'alcool et du laudanum pour calmer ses troubles psychiques. Toutefois, en 1792, il obtient une médaille d'or (Browne Gold Medal) en prix de la meilleure ode grecque. Mais malgré son intérêt pour l'antiquité en général, et la langue grecque en particulier, son tempérament enthousiaste l'entraîne vers d'autres voies. C'est la grande époque de la Révolution française, et il est conquis par la mystique révolutionnaire.
Dans le courant de 1794, il fait connaissance avec le poète Robert Southey, et sent s'éveiller en lui la vocation de poète. Les deux jeunes gens deviennent amis, et, en septembre 1794, décident d'écrire en collaboration un drame historique intitulé la Chute de Robespierre, qui restera inachevé.
En 1796, il publie son premier recueil de poèmes Poems on various subjects. Il se met aussi à écrire des Adresses au peuple, discours qui font assez de bruit; puis il rédige le Watchman (la Sentinelle), recueil hebdomadaire qui cesse de paraître dès le 10ème numéro. Abandonnant alors la politique pour la poésie, il fait paraître sa tragédie Osorio, composée sur les conseils de Sheridan, et rebaptisée plus tard Le Remords.La même année, il rencontre William Wordsworth, avec qui il se lie d'une amitié telle que, lorsqu'il s'installe à Nether Stowey, dans le comté de Somerset, Wordsworth et sa sœur Dorothy viennent habiter près de lui, à Axfolden. La compagnie de Wordsworth, les promenades quotidiennes et les longues conversations de deux amis sont pour Coleridge un stimulant précieux, et c'est sans doute la période la plus féconde de sa vie. En 1798, ils publient un recueil commun, Lyrical Ballads (Ballades lyriques), manifeste de la poésie romantique, qui contient la première version du célèbre poème Rime of the Ancient mariner (La Complainte du vieux marin). Vers cette époque, il se met à l'opium, toujours pour calmer la douleur de ses maladies et de ses troubles psychiques. C'est après un rêve dû à l'opium qu'il écrit le poème Kubla Khan. C'est également durant ces années qu'il commence son grand poème médiéval, Christabel, et rédige Frost at Midnight (Gel à minuit) et The Nightingale (Le rossignol).
Deux admirateurs, les frères Josiah et Thomas Wedgewood, lui offrent une subvention de 150 livres par an, qu'il accepte et qui lui permet d'aller en Allemagne avec Wordsworth à l'automne 1798. Là, pendant 14 mois, il s'intéresse à la pensée de Kant, de Schlegel, de Lessing et de Schelling. Il puise dans les chants des Minnesänger et dans les légendes locales les sujets de nouvelles œuvres. Il apprend l'allemand en autodidacte et traduit le poème Wallenstein de Schiller à son retour en Grande-Bretagne, en 1800. Il va s'installer alors à Greta Hall, dans le Pays des Lacs (Lake District of Cumberland), pour être près de Grasmere, où vit Wordsworth. C'est cette circonstance qui leur vaut, avec Southey, d'être appelés les Poètes des Lacs (the Lake Poets) ou les Lakistes. C'est aussi à cette époque qu'il rencontre Sara Hutchinson, sœur de la future femme de William Wordsworth, qui sera le grand amour de sa vie sans que cette passion se concrétise, les sentiments de Sara Hutchinson à l'égard de Coleridge demeurant ambigus. Coleridge lui consacrera de nombreux poèmes, dont le plus célèbre est Love.
Depuis son retour d'Allemagne, ses opinions ont changé de façon surprenante ; en politique, de jacobin, il est devenu royaliste ; en religion, de rationaliste, il est devenu un fervent croyant du mystère de la Trinité. Aussi, il combat avec violence la Révolution française qu'il avait d'abord exaltée. Pour vivre, il accepte la direction du Morning-Post, dans les colonnes duquel il soutient la politique du gouvernement. Il en est récompensé par le titre de poète de la Cour et par une riche pension. Il passe neuf mois à Malte en tant que secrétaire du gouverneur, sir Alexander Ball, puis il visite l'Italie avant de revenir à Londres et à Bristol reprendre le métier d'homme de lettres et de conférencier.
En 1816, alors que sa dépendance à l'opium a encore augmenté, il devient pensionnaire du médecin James Gillman, à Highgate dans la banlieue nord de Londres. C'est là qu'il achèvera sa grande œuvre de prose, la Biographia Literaria, mi-biographie, mi-recueil de critique littéraire. Il y meurt en 1834.
Lysimaque (en grec ancien Λυσιμάχος / Lysimákhos), né vers 361 av. J.-C., mort à la bataille de Couroupédion en 281, est un général macédonien et l'un des diadoques d'Alexandre le Grand. Satrape puis roi de Thrace à partir de 304, il est aussi roi de Macédoine de 285 à 281.
Pseudo-Denis Le Pseudo-Denys l'Aréopagite (Ve siècle ap. J.-C.) : auteur de traités chrétiens de théologie mystique, en grec. Il est l'une des sources majeures de la spiritualité chrétienne. C'était probablement un moine syrien. D'inspiration néo-platonicienne, il est influencé par les écrits de Proclos, auxquels il fait de larges emprunts ; il a aussi été influencé par l'école chrétienne d'Alexandrie (Origène, Clément d'Alexandrie) et par Grégoire de Nysse.
Ne pas confondre avec Denys l'Aréopagite (Ier siècle ap. J.-C.), un athénien faisant partie des philosophes qui ont écouté la prédication de saint Paul.
Mansuète (adj.) : qui fait preuve de mansuétude. Mansuétude (n.f.) : du latin mansuetudo, lui-même de mansuetus, participe parfait passif de mansuesco, « j’apprivoise », terme composé de manus, « main » et suesco, « devenir habitué ».
mardi 8 mars 2011
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