mercredi 2 octobre 2013

Naïm Frashëri (français / anglais)



NAÏM FRASHËRI

« Respire …
Des livres et des mots viennent les chimères,
et parfois, des chimères naît l’union ».


Djalâl ad-Dîn Muḥammad Rûmî

Douce Albanie,
Voici l’automne enseveli
Sous les fruits d’un été abondant !

Le vent porte les blessures du pays
Au-delà des prairies jaunissantes
Et la lune fait son nid douillet
Dans les chevelures
Des jeunes filles shqiptare !

Naïm, mon Frère, mon Ami,
Tes mots, comme des étincelantes
Gouttes de pluie
Se couchent sur mes lèvres
Qui rêvent de liberté et d’amour !

Des tempêtes habitent
Tes bras délicats
Et fracassent les rocs de la haine
Sur nos bouches !

La blanche Albanie et toi,
Deux splendeurs dans une seule âme,
Deux vertiges dans un seul cœur !

Ta pensée aérienne
A bu toute l’eau des mers chaudes,
Toute la beauté des promontoires
Et les taciturnes secrets
De l’insondable profondeur de Dieu !

Ô merveilleuse circonférence
Des choses illimitées,
Colombe qui trace de ses ailes
Le suave alphabet de l’amour !

Ami de mes nuits austères,
Ta voix guérit la douleur
Des cœurs  qui pleurent
Ceux qui s’en sont allés loin
De nos baisers !

Je lis ton livre, ces lignes d’azur
Que je tiens à présent contre ma face,
Lignes ardentes
Écrites jadis  par ta main appliquée
Sous la flamboyante dictée
De l’Ange du divin savoir !  

Albanie, es-tu triste
De voir s’épancher sur ta candide tunique
Le chantre prodigieux des terres illyriennes ?

Souris, mon Frère au royaume de la Beauté,
N’aie pas peur, Frashëri, mon Compagnon
Dans la lumière de la Foi,
Nous mourons dans la vie,
Mais la vie est toujours vivante
Et l’incessante tendresse de ton peuple
Couvre de roses ta mémoire
Et veille sur l’incommensurable trésor
De tes poèmes !

Paris, le 30 septembre 2013

Glose :

Naïm Frashëri (1846-1900) : un des plus grands poètes et écrivains albanais. Défenseur acharné de l'indépendance, qui ne fut déclarée qu'en 1912, il composa un célèbre poème épique sur l'Épopée du Bektachisme : Qerbelaja (1898). Il publia de nombreux poèmes lyriques, dont Les fleurs de l'été, et une épopée historique : Histoire de Skanderbeg.

Fils d'un bey de l'actuel district de Përmet, le jeune homme fait ses études au lycée grec Zosimea d'Ioannina. Mais comme sa famille, bien qu'appauvrie, conserve toutes ses hautes relations, il obtient très facilement un poste de fonctionnaire tout d'abord à Sanrandë, ensuite à Berat et enfin à Ioannina. A trente-six ans enfin, il se rend à Istambul où il entre au service du ministère de la Culture.

En parallèle, il prend une part active à la Renaissance nationale albanaise et, pour ne pas se compromettre, signe souvent ses oeuvres de ses seules initiales. Dans son pays natal, ses livres circulent sous le manteau.

Ses premiers textes sont des poèmes dont les plus anciens sont écrits en persan. Les poèmes et les chants patriotiques, en tous cas les tout premiers, subissent l'influence très sensible de la littérature persane. Par la suite, c'est celle de la poésie française qui apparaît. Frashëri a d'ailleurs traduit plusieurs fables de La Fontaine. Il est également le traducteur de l’Iliade. Son œuvre se fonde sur vingt-deux textes majeurs : quatre en persan, deux en grec et quinze en albanais.

On signalera tout particulièrement le poème "Troupeaux et Labours" qui, par l'évocation des bergers et des cultivateurs, permet à l'auteur d'exprimer ses réflexions personnelles sur la beauté des paysages albanais ainsi que son amour pour sa patrie. Son poème épique "Histoire de Skanderbeg", comme son nom l'indique, raconte les hauts faits du héros national

Naïm Frashëri, considéré de nos jours comme l'un des chefs de file du "Rilindja Kombëtare" (Réveil national) albanais et comme le grand poète du pays, est mort le 20 octobre 1900, à Kadiköy, non loin d'Istambul.

Shqiptare (adj.) : albanaises
Bektachisme (n.m.) :  (en turc : Bektaşilik ; en albanais : Bektashizmi ou Bektashizëm) est un ordre religieux ésotérique (batinite), issu de la mouvance soufie de l’islam, à l'origine même de nombreux autres ordres batinites (ghulat) et considéré comme une branche du chiisme par les Turcs, car ses adeptes montrent un intérêt particulier pour l'Imam ‘Alî ibn Abî Tâlib. Beaucoup de ses rites sont spécifiques au bektachisme.
Sayyid Hünkar Hadji Bektaş Veli (1209-1271) : descendant du Prophète par Ali ar-Rida. Son vrai nom est Muhammed Bektas. Au cours de sa vie, il a pris les titres hunkar, hadji et veli, le mot hunkar signifie « celui qui crée le miracle », le mot hadji « il sera vu à la Mecque » et veli « celui qui porte la sagesse » : c'est l'un des noms qui est porté par l'imam Ali. Son nom est cité dans les cérémonies religieuses, donc dans le samâ.
Considéré comme un saint homme et un mystique philosophe de l'alévisme et du bektachisme implanté en milieu turcophone, il est le fondateur éponyme de la confrérie des bektachis. Originaire d'une famille du Khorassan, il a émigré en Anatolie parmi des populations turkmènes sur lesquelles il a eu une influence fondamentale, notamment du fait qu'il prêchait dans sa langue maternelle.
Selon l'UNESCO, Haci Bektas Veli, avec les mots du XIIIe siècle, véhicule des idées qui sept  siècles plus tard coïncident avec la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948). Haci Bektas Veli a eu une grande influence sur la turquisation de l'Anatolie et la création de l'Empire ottoman. Il est également connu et respecté en Bulgarie, Grèce, Macédoine, Bosnie-Herzégovine, Albanie, Hongrie et Roumanie.
Le « Vilayetname », « Livre de la sainteté », raconte ses faits et légendes. Ses enseignements sont rassemblés dans plusieurs recueils, dont notamment le « Makalat » (écrit à l'origine en arabe) et le « Fevaid » (écrit à l'origine en persan)
Le sama ou semahs, cérémonie religieuse des alevis bektachis, est classé au patrimoine culturel immatériel de l'humanité par l'UNESCO.
Djalâl ad-Dîn Muḥammad Rûmî ou Roumi (1207-1273) : mystique persan musulman qui a profondément influencé le soufisme. Il existe une demi-douzaine de transcriptions du prénom Djalâl-ed-dîn, « majesté de la religion » (de djalâl, « majesté », et dîn, « religion, mémoire, culte ». Il reçut très tôt le surnom de Mawlânâ, qui signifie « notre maître ». Son nom est intimement lié à l'ordre des « derviches tourneurs »  ou mevlevis, une des principales confréries soufies de l’islam, qu'il fonda dans la ville de Konya en Turquie. Il écrivait tout ses poèmes en persan (farsi).
La plupart de ses écrits lui ont été inspirés par son meilleur ami, Shams ed-Dîn Tabrîzî dont le nom peut être traduit par « soleil de la religion » - originaire de Tabriz, ville d'Iran.
Rûmî a également repris à son compte les fables d'Ésope dans son principal ouvrage le « Masnavî » (« Mathnawî », « Mesnevi »), ces mêmes fables d'Ésope que La Fontaine reprendra en français sans en cacher l'origine. Reconnu de son vivant comme un saint, féru de spiritualité, il aimait à fréquenter les chrétiens et les juifs tout autant que ses coreligionnaires.

Naïm Frashëri


‘Breathe…
From books and words come chimeras
And sometimes from chimeras union is born.’

Djalâl ad-Dîn Muḥammad Rûmî

Sweet Albania,
Here is autumn buried
Beneath the fruits of a bountiful summer.

The wind bears the country’s wounds
Over the yellowing meadows
And the moon makes its soft nest
In the hair
Of the young shqiptare girls!

Naïm, my Brother, my Friend,
Your words, like sparkling
Raindrops
Lie and rest upon these lips of mine
Dreaming of liberty and love!

Storms dwell in
Your delicate arms
And shatter the rocks of hatred
On our lips!

White Albania and you,
Two splendours in one soul,
Two maelstroms in one heart!

Your lofty thought
Has swallowed all the water of the warm seas,
All the beauty of the headlands
And the taciturn secrets
Of God’s fathomless depths!

O miraculous circumference
Of limitless things,
Dove tracing with its wings
The sweet alphabet of love!

Friend of my austere nights,
Your voice heals the sorrow
Of hearts which cry
For those who have travelled far
From our kisses!

I read your book, these azure lines
I now hold close to my face,
Passionate lines
Written long ago by your diligent hand
Under the flaming dictation
Of the Angel of divine knowledge!
Albania, are you sad
To see the prodigious singer of the Illyrian lands
Pour out his song upon your artless tunic?

Smile, my Brother in the kingdom of Beauty,
Don’t be afraid, Frashëri, my Companion
In the light of Faith,
We die in life,
But life still goes on living
And the unceasing love of your people
Covers your memory with roses
And keeps watch over the incommensurable treasure
Of your verse!


Translated from the French of Athanase Vantchev de Thracy by Norton Hodges

Aucun commentaire: