ODE À ALI AZAYKOU
Mousse et radeaux
s’ornent de jade ;
Les oisillons, bleus
et menus,
Sur les rameaux
perchent ensemble »
Kiang K’ouei
I.
Ne pleure pas, Igran n Tuinight,
Ne pleure pas, ma frêle colombe
Craintivement blottie
Dans le rose sourire du ciel amazigh !
Garde tes larmes de diamants amères
Pour le diadème d’or et de perce-neige
De ton fils immortel, de la bouture bénie
Jaillie de ta ferme poitrine.
Garde ton sourire de rubis
Pour ton enfant glorieux,
L’aigle au regard de dague
Que, généreuse, tu as nourri
Du lait herbeux de ton sein rutilant !
II.
Filles rayonnantes de l’Atlas,
Joyeuses hirondelles en robes d’azur,
Et vous, jeunes gens resplendissants,
Beaux faucons à la fierté impériale,
Chantez en ce jour de deuil vénérable,
En cette heure sombre d’adieu poignant
Les poèmes prophétiques d’Ali Azaykou,
Le chantre superbe de votre race héroïque !
Dites ses mots
Et ils allumeront de hauts brasiers de feu
Dans vos gorges pures, répétez-les encore et encore
Pendant que l’automne de jade amazigh
Se glisse dans le cercle intime de vos âmes.
III.
Ali Azaykou,
Il y a dans chaque syllabe de tes vers
Des bouquets sauvages de menthe folle,
Des odorants rameaux de pin gracieux,
Le murmure vagabond des ruisseaux verts
Et le sourire éclatant des grêles marguerites
Blanches des montagnes.
Il y a, Ali Azaykou,
Une musique claire dans les petites gouttes bleues
Des pluies remplies de lumière de tes mots.
Tes mots de silex qui ignorent
Les griffes cruelles de la peur !
Libres comme le chant des sables,
Ils ouvrent leurs puissantes ailes blanches
Et montent vers les nids mousseux
Des aigles, amis des montagnes,
Et les cœurs aimants de ton peuple limpide.
IV.
Toi qui as su rester ferme comme l’acier,
Toi qui as crié haut et fort les tourments de ton ceur
Et lever dans le ciel bleu du Maroc
Les bannières victorieuses de ta race immortelle,
Ecrasée depuis des siècles par le poids de plomb
Du silence honteux des siècles !
Toi, la pure dignité, la tranchante hauteur,
La franche, la candide parole des Berbères !
Toi, timitar et izmuln,
Signe divin et cicatrice saignant et profonde
De l’insondable histoire amazighe !
Tournant ta face vers la beauté des poèmes
De tous les imdiazn de
la vaste Tamazgha
Compagnon amène des chants crus et naïfs des rways,
Chaque fois avant d’élever ta voix de titan
Pour dire ton amour infini, tu as regardé
Les cimes cérémonieuses de l’Atlas
Qui percent le sein des cieux
Et les villages envoûtants de ton haut pays !
Tu as lavé, Ali Azaykou, tu as lavé
L’âme de ton peuple du sang antique des blessures,
Tu as nettoyé le visage des tiens
Avec la neige bleue de ton courage,
Tu lui as rendu sa clarté,
Frottant son silence avec des grains rouges de ta colère
Tremblant comme les grappes du sorbier
Sous les tempêtes ravageuses de l’histoire !
V.
Ô terre amazighe, terre confuse, terre grave !
Tu es savoureuse comme un vieux vin féodal
Qui sent le lys blanc
Et l’or liquide de l’aurore !
Ô terre amazighe, terre si noble,
Terre si belle dans la lumière de ton orgueil
Et l’effroi de ta magique pureté !
Terre étincelante,
J’aime l’odeur féerique du temps
Qui sourd de tes herbes enivrantes,
Le temps adolescent
Qui fleurit entre les cils de lin de tes magnifiques
enfants,
Le temps qui coule sur les lèvres des femmes amazighes,
Parfaites comme un poème de Pétrarque!
VI.
Non, non, non,
Tu n’es pas seul à présent Ali Azaykou d’Igran n Tuinight,
Toi, le berger des nuages qui, parti une jour à l’aube
De la riante province de Taroudant,
As parcouru les continents
De tous les cœurs du Maroc
Et du monde !
Par toi, Poète,
Prince de la lucidité amoureuse,
Poussent aujourd’hui dans chaque corps amazigh
Les arbres de la féroce liberté !
Ali du ciel d’azur de Tamazgha,
Ali de toutes les blessures,
Ali de la luxuriante victoire de la vie
Sur les ténèbres,
Dors à présent dans le chaud giron des montagnes
Qui ont porté jadis le doux poids
De tes petits pieds nus
D’enfant élu des dieux !
VII.
Toi, mon Frère du royaume du Verbe,
Tu es devenu pour toujours
La voix immarcescible des coeurs farouches,
Le souffle halluciné, l’haleine rédemptrice des âmes vraies !
Dors à présent, tendre Amant, Chevalier indomptable
De la fascinante langue berbère.
Dorénavant,
Tu parleras avec les pierres de granit,
Tu écouteras les chuchotis du peuple joyeux des esprits !
Douce sera à leurs oreilles ta voix harmonieusement rude
Et, éveillée à la cristalline mélodie de tes poèmes,
Toute la
Nature te suppliera ainsi :
« Chante-nous
encore, poète des libres espaces,
Chante-nous toujours
tes poèmes qui exaltent la beauté,
Donne-nous de ta
chaleur inimitable,
Couvre-nous de clairs baisers
de tes strophes !
VIII.
Ô mon Ami Ali,
Dès que les ombres sveltes se coucheront sur ta tombe,
La divine nuit amazighe,
Amoureuse des vigoureux battements
De ton cœur immortel, versera sur la terre où tu gis
Tous les boisseaux de son âme abondante pleine
d’étoiles !
Les fées des forêts berbères, vêtues de rameaux de jasmin
blanc,
Viendront danser autour de toi
Et remplir l’air vivifiant du Haut-Atlas
De leurs mélopées si belles
Que tous les êtres oublieront de respirer !
Et les dieux millénaires de ta terre éternelle
Conteront aux splendides enfants de ton pays
Blottis dans les bras de leurs mères
Les merveilleuses légendes où vivent à jamais
Tous les glorieux héros de leur vaste patrie !
Athanase
Vantchev de Thracy
Paris, le 9 décembre 2012
Glose :
Ali Sidqi Azaykou
(1942 - 2004) : il a été appelé
également Dda Ali. Écrivain,
poète, historien et intellectuel berbère marocain. Un des militants les
plus éminents de l’ « amazighité ». Il a grandement influencé
les mouvements culturels berbères.
Ali Sidqi Azaykou
naît en 1942 au village de Igran n Tuinght dans le Haut Atlas, province de Taroudant dans le Souss au Maroc. Il
commence ses études primaires près de son village natal à Tafingoult et les
termine à Marrakech, où il entame ses études secondaires pour entrer ensuite à
l’Ecole Nationale des Maîtres (instituteurs).
Son baccalauréat en
poche, il enseigne pendant deux ans au collège de Imi n Tanout. En 1968, il
passe sa licence d’histoire à l’Université de Rabat et obtient un diplôme
d’enseignement secondaire de l’Ecole Normale Supérieure. De 1968 à 1970, Ali
Azaykou est professeur d’histoire à l’Institut du Grand Maghreb. En parallèle,
de 1969 à 1970, il participe avec Ahmed Boukous et Brahim Akhiat à un programme
bénévole de soutien éducatif pour des étudiants berbérophones. Mais ces cours
sont rapidement interdits.
En 1970, il
s’installe à Paris et fréquente l’Ecole pratique des hautes études et les cours
de berbère de Lionel Galand à l’INALCO. Il commence à travailler sur sa thèse
de doctorat sous la direction de Jacques Berque. En 1967, Ali Sdiqi Azaykou
participe à la création de la première association berbère au Maroc, l’Association
marocaine de recherche et d’échange culturel (AMREC). Après avoir obtenu son
doctorat à la Sorbonne,
il rejoint, en 1972, l’Université de Rabat en qualité de chercheur et
professeur d’histoire du Maroc. En 1973 et en 1975 naissent sa fille et son
fils qu’ils prénomment Tililia et Ziri, deux prénoms berbères anciens.
Avec Mohamed Chafik et
Abdelhamid Zemmouri il fonde, en 1979, l’Association Amazigh. En 1981, la revue Amazigh
publie un article devenu célèbre de Ali Azaykou. Il y défend l’importance
du fait berbère dans l’histoire du
Maroc. Devenant le premier intellectuel à remettre en cause l'historiographie
officielle marocaine, il est arrêté et condamné, en 1982, pour « atteinte
à la sûreté de l’État », à un an de prison ferme. Libéré, il reprend ses
recherches universitaires et obtient, en 1988, son diplôme d’étude approfondie
(DEA) en histoire avec mention très bien.
Il écrit ensuite de
nombreux poèmes en tamazight (« berbère ») transcrit en arabe
qu’il regroupe en un premier recueil publié en 1988 sous le titre de Timitar
(« Les signes »), et un
deuxième livre de poésies intitulé Izmuln (« Les cicatrices »), publié en 1995. Ali Azaykou publie également
une série d’ouvrages sur la place de l’identité berbère dans l’histoire et la
culture de l’Afrique du Nord. En 2003, il devient membre du Conseil
administratif de l’IRCAM et Professeur au Centre des Études historiques et
environnementales. Ali Sidqi Azaykou décède le 10 septembre 2004 à Rabat des
suites d'une longue maladie. Il repose dans son village natal d’Igran n
Tuinght.
Kiang K’ouei (1115-1235) :
musicien et poète chinois.
Imdiazn :
pluriel de amdiaz. Ce terme signifie
« poète » en langue amazighe.
Rways :
pluriel de l’arabe rais. Rais signifie « président »
et, par extension de sens, « poète » sans grande envergure.
Timitar : « Les
signes » (titre amazigh du premier recueil du poète).
Izmuln : « Les cicatrices » (titre
amazigh du deuxième recueil du poète)
La langue amazighe ou
la langue berbère ou le
tamazight. L’écriture du tamazight est
le tifinagh.
Tamazgha : l’Afrique
du Nord et une partie de l’Afrique du Sahel peuplée de Berbères (Iamazighen en tamazight ou langue
berbère)
Amazigh, e
(adj.) : qui concerne les Berbères : culture amazighe, langue
amazighe (langue berbère ou tamazight).
Amazighité (n.f.) : spécificité
berbère.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire