jeudi 13 janvier 2011

ANALOGIE

ANALOGIE

I.

Ô analogie,
Toi, belle inconnue, assise au confluent
De trois grands fleuves
Aux noms qui forcent l’esprit à penser :

Sémantique,
Métaphysique,
Théologie !

Toi, qui veux appliquer un même nom
À des réalités si diverses :
Chien, libellule, coccinelle !
Logique, théorie du langage,
(Mots, significations des mots
Connaissance de l’ens,
Connaissance de Dieu !

Tout semble suspendu
Au fil transparent d’une toile d’araignée,
Le temps, le pont-levis, les douves,
La fureur féodale des contes !

Languide et fugitive après-midi
Tendrement endormie
Sur les feuilles luisantes
Des trembles !

II.

Et tes trois modes d’existence
En vertu du concept,
En vertu de la chose,
Et par transfert de sens
(Ex transumptione)
Au milieu de tout ce qui frissonne, chante,
Se meut et s’écoule
Sous la verte clarté des pensives étoiles !

Âme, puisses-tu être
Le visage quotidien de la lumière !

III.

Analogie d’attribution
Etroitement liée à la métaphysique,
Toi qui ne concernes pas les mots écrits,

Analogie de proportionnalité
(Egalité entre deux proportions) !...

Ô nature hiérarchique de la réalité,
Grand Chêne de l’Être,
Pneumatique, cosmographie,
Uranométrie, mnémonique,
Latence, oubli !... Réminiscence !...
Vie sans lieu, lieu sans vie !

IV.

Analogie, ma sœur,
Comme mon esprit heureux s’égare
Dans les inextricables fourrés des livres savants :

Aristote, Porphyre, Varron, Diogène Laërce,
Raymond de Lulle, Augustin, Averroès, Thomas d’Aquin,
Francis Bacon, Vincent de Beauvais, Albert le Grand,
Gilles de Rome, Jacques de Venise, Hermann l’Allemand,
Georges Valla…
Et…
Le divin, l’insurpassable Pseudo-Denis !

Ô ciel aux oies sauvages,
Grandes eaux libres des fleuves,
Arbres en fleurs dignes et beaux !

V.

Et toi, mon âme qui te plies comme une phrase
Qui espère les lèvres d’Ovide,
Comme un peuplier
Qui attend une réponse exhaustive des vents !

Sous les capucines des anciennes tombes
Chante l’eau vive, l’eau libre du ruisseau,
Morts, entendez-vous sa suave mélodie ?

Dis-moi, Muse,
Où, sur quelle page, dans quelle strophe
Dois-je écrire le nom de Dieu ?

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 11 janvier 2011




Glose :

Ens (l’étant) : terme philosophique, un des six transcendantaux définis par les philosophes du Moyen Âge. L’invention des transcendantaux date du XIIIe et XIVe siècles. Des auteurs aussi divers que Philippe le Chancelier, Albert le Grand, Thomas d’Aquin, Henri de Gand ou Duns Scot ont dénombré six termes – res et aliquid ayant rejoint plus tardivement unum, ens, verum et bonum – nommés transcendantaux parce qu’ils transcendent les catégories aristotéliciennes. La caractéristique de ces termes étant leur convertibilité.

La question de l'étant se présente à nous sous une forme telle que sa réponse est d'emblée indiquée : l'étant, c'est ce qui est, en tant qu'il est. Il semble donc bien que le savoir sur l'étant soit aussi évident qu'on le pense de prime abord, et qu'en le définissant comme ce qui est on ait épuisé le problème. Mais cette définition, pour évidente qu'elle soit, renvoie pourtant à un problème qui la dépasse, et qui n'est rien moins que le problème de l'être, puisque précisément l'étant est ce qui est, comme tel. La définition qui s'impose d'emblée est donc loin d'être satisfaisante : à quoi bon savoir que l'étant est cela qui est, si nous ne savons pas ce que c'est que l’être ? Assurément, c'est la définition de l'être qui conditionne celle de l'étant. Mais l'être n'est lui-même rien d'autre que l'être de l'étant, par quoi celui-ci est justement un étant. Il serait donc absurde de vouloir problématiser l'un des deux termes sans problématiser l'autre, puisque chacun se définit exclusivement en fonction de l'autre : si l'étant est ce qui est en tant qu'il est, on ne saurait définir l'être autrement que comme l'acte de l'étant en tant qu'étant (et non pas son état, dont la mention rendrait inintelligible le changement).


Aristote, Porphyre, Varron, Diogène Laërce, Raymond de Lulle, saint Augustin, Averroès, saint Thomas d’Aquin, Francis Bacon, Vincent de Beauvais, saint Albert le Grand, Gilles de Rome, Jacques de Venise, Hermann l’Allemand, Georges Valla et Pseudo-Denis : des philosophes et des penseurs qui se sont penchés sur les problèmes que pose la langue.

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