mardi 26 février 2013

JOSQUIN DES PREZ



JOSQUIN DES PREZ

À Apolinaria

Lèvres incapables de prononcer en vain des formules !...
Peut-être, ce soir, je ne prierai pas, Seigneur,
Mais il y aura dans tout mon être un tel abandon
Mon âme sera abîmée en d’ineffables pensées
Et mon cœur aura pour les pénombres
Des prévenances suprêmes.

Sous les greniers abondants et généreux de la nuit,
J’écouterai la sublime musique mystique de Josquin des Prez !

Et mon corps, qui n’a jamais su peser la gravité
Du sang qui bat dans mes veines,
Sera si léger quand les joyeuses sylphides des notes le porteront
Vers ce je-ne-sais-quoi d’irréversible, de raffiné, d’involontaire, de divin
Sous le soyeux balancement des voiles nocturnes des senteurs.

            Athanase Vantchev de Thracy


Paris, le 26 février 2013

Glose :

Josquin Lebloitte dit Josquin des Prés ou des Prez né peut-être à Beaurevoir en Picardie vers 1450 et mort à Condé-sur-l’Escaut le 27 août 1521, souvent désigné simplement sous le nom de Josquin, est un compositeur franco-flamand de la Renaissance. Il est le compositeur européen le plus célèbre entre Guillaume Dufay et Palestrina. Josquin est largement considéré par les spécialistes comme le premier grand maître dans le domaine de la polyphonie vocale,  style qui allait poursuivre son développement au cours de sa vie.

Pendant le XVIe siècle, Josquin a graduellement acquis la réputation de plus grand compositeur de l'époque. La maîtrise de sa technique et de son expression étaient universellement admirées et imitées. Des auteurs aussi divers que Baldassare Castiglione ou Martin Luther ont écrit au sujet de sa réputation et de sa renommée. Des théoriciens comme Glaréan et Gioseffo Zarlino ont jugé son style comme le meilleur représentant de la perfection.

Il était tellement admiré que beaucoup de compositions anonymes lui ont été attribuées par des copistes, probablement pour augmenter leurs ventes. Au moins 374 œuvres lui sont imparties ; c'est seulement à l'arrivée des méthodes modernes d'analyse que certaines de ces attributions erronées ont pu être révélées, sur la base de la comparaison avec les caractéristiques de son écriture. Le seul autographe qui nous soit parvenu est son nom, gravé à la main sur le mur de la chapelle Sixtine et nous ne connaissons qu'une mention relative à son caractère dans une lettre à Hercule Ier d’Este, duc de Ferrare. La vie de douzaines de compositeurs mineurs de la Renaissance est mieux documentée que celle de Josquin.

Il a écrit de la musique sacrée et profane dans toutes les formes vocales propres à l'époque. Elle comprend des messes, des motets, des chansons et des frottoles d’origine italienne. À l'époque moderne, les spécialistes ont cherché à compléter sa biographie.  

Apolinaria : du dieu grec Apollon. Prénom d’origine espagnole qui évoque le pouvoir de la lumière solaire.

Sylphe (masculin), sylphide (féminin) : créatures imaginaires issues de la tradition occidentale. Le terme vient du latin sylphus qui signifie « génie ». Les sylphes proviennent des mythologies gauloise, celte et germanique.

Dans le monde anglo-saxon, les sylphes évoquent le poème épique d'Alexandre Pope,  The Rape of the Lock (La Boucle de cheveux enlevée), où ils constituent des sortes d'anges gardiens chargés de protéger les jeunes filles.




lundi 25 février 2013

VERTIGINEUSE MUSIQUE



 VERTIGINEUSE MUSIQUE

À Albine

Nous vivions ravis sous les accords baroques
De l’Italie rêveuse vêtue d’azur léger,
Galuppi, Tartini, doux songes printaniers,
Versaient dans nos prunelles l’éclat de leur époque.

            Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 25 février 2013

Glose :

Albine : ce beau prénom peut faire allusion soit à la couleur blanche, du latin albus, « blanc », soit, plutôt, à une origine géographique, Alba, la première cité latine. Albinus était le nom d'une grande famille romaine dont un représentant fut quelques mois empereur, en 193. Albina était, à la fin du IIIe siècle, une jeune fille appartenant à l'illustre lignée des Albinus. Elle se convertit en secret à la religion chrétienne. Lorsqu'on découvrit qu'elle trahissait les dieux de ses pères, elle refusa d'abjurer et fut décapitée. Son histoire donna lieu à de nombreuses légendes.

Baldassare Galuppi (1706-1785) : compositeur vénitien de l’époque baroque.

Giuseppe Tartini (1692-1770) : violoniste et compositeur vénitien de l'époque baroque.

lundi 18 février 2013

AH, TOUT VIENT SI SUBITEMENT



AH, TOUT VIENT SI SUBITEMENT

À Robert Walser

La nuit est douce comme une caresse languide !
Les fleurs du vase, remplies d’humilité,
Accueillent avec frisson son infinie beauté
Et disent au bleu silence leur gratitude candide !

Et tout est paix légère, et tout est harmonie
Dans la vieille maison où l’âme à l’âme s’unit !
Dehors, un cœur en peine s’en va dans les allées
Cherchant en vain une main brûlante d’amitié !

            Athanase Vantchev de Thracy

Glose :

Robert Walser (1878-1956) : écrivain et poète suisse de langue allemande. Issu d'une famille de huit enfants, Walser quitte l'école à quatorze ans et le domicile familial à dix-sept. Il voyage beaucoup et s'essaie sans succès au théâtre. Son existence au début de sa vie d'adulte lui fait alterner emplois alimentaires et création poétique : Walser exerce de nombreux métiers (domestique, secrétaire, employé de banque) qui lui inspireront certains de ses plus grands textes.

Il commence à publier des poèmes et des nouvelles dès 1898. Son premier texte en prose, Les Rédactions de Fritz Kocher, paraît en 1904. Mais le succès, ou du moins la possibilité de vivre de sa plume, se fait attendre. Il loge à Berlin chez son frère, le peintre Karl Walser, dont il dressera un portrait doux-amer dans la nouvelle Une vie de peintre. Entre 1907 et 1909, il rédige et publie trois romans : Les Enfants Tanner (Geschwister Tanner), Le Commis (Der Gehülfe) et L'Institut Benjamenta. Un recueil des poèmes de jeunesse paraît également en 1909.

Il obtient un vif succès dans le milieu littéraire berlinois et recueille l'admiration des plus grands écrivains de l'époque, dont Robert Musil. À Prague, le jeune Kafka se dit fasciné et marqué par son talent. Cependant, Walser fuit Berlin pour s'installer à Bienne en 1913. Les raisons de son retour en Suisse sont mystérieuses. Il l'explique par son besoin de calme et de sérénité pour écrire. En réalité, il semble avoir traversé une période de dépression. Pendant les sept années biennoises, Walser publie 9 livres, essentiellement des recueils de proses brèves ou de nouvelles - Histoires (Geschichten) en 1914, Vie de poète (Poetenleben) en 1917, La Promenade (Der Spaziergang) en 1920. En 1921, Robert Walser s'installe à Berne. Même s'il vit en marge de la société, les années 1924 à 1933 comptent parmi les plus fécondes de l'écrivain. De Berlin à Prague et Zurich, des centaines de ses petites proses, poèmes et scènes dialoguées paraissent dans la plupart des grands journaux du monde germanophone. Un dernier recueil de proses, La Rose (Die Rose), paraît en 1925. La grande masse des textes de Walser reste éparpillée et ne sera rassemblée qu'après la mort de l'écrivain.

En 1929, Walser entre dans la clinique psychiatrique de la Waldau, à Berne, où il poursuit son travail de "feuilletoniste". Il cessera d'écrire en 1933 après avoir été transféré contre son gré dans la clinique psychiatrique d'Herisau, où il séjournera jusqu'au jour de Noël 1956. Quittant la clinique pour une promenade dans la neige, il marchera jusqu'à l'épuisement et la mort. Son ami Carl Seelig a rendu compte des conversations menées avec l'écrivain pendant ces années de silence dans ses Promenades avec Robert Walser.

vendredi 15 février 2013

DE DUBIIS NOMINIBUS



DE DUBIIS NOMINIBUS

« Amabilissimus nodus amicitiae »

(« Le lien le plus aimable de l’amitié »)

            Ciceron

Des noms, des noms que j’aime,
Des noms en latin sur les plaques
Des vieilles églises !

Des noms qui sentent la lavande enchanteresse,
La rose sauvage, la mélisse douce et l’envoûtant serpolet,

Des noms à l’élégance impertinente de vin rosé
À la robe étincelante rehaussée d’une délicate broderie florale,

Des noms qui cachent des yeux d’azur et des sonorités candides
Errant dans la liquide clarté de l’air vif,

Des noms où dort une ancienne nostalgie de tendresses évanouies,
Des noms qui reflètent le monde tel qu’il ne va pas,

Des noms qui disent l’amour du toujours à toujours,
Des noms qui révèlent l’immersion de chaque être en son baptême,

Des noms à la joie d’alouette sous les paupières des lettres
Qui forment leur unité première,
Des noms qui sentent le désastre causé par un aimable baiser
D’une nuit de mai,

Des noms où palpite encore une brusque illumination,
Des noms qui indiquent des époques périmées
Et ceux rompus à tous les gros travaux des moissons !

Des noms marqués par le mauve poids du chagrin,  
Des noms où brille un ciel pur,
Où des horizons immenses s’ouvrent comme des ailes de lumière,
Des noms où l’on entend la radieuse beauté de l’eau
Qui court sur la face heureuse des galets de granite,

Des noms où flottent des chevelures plus blondes que les champs de blé,
Des noms d’où émanent une musique
Et une taquine félicité qui monte avec le jour,
Des noms où l’on respire le souffle
De gerbes vives de hautes herbes fauchées.

Ô noms, noms, noms…
Dans quelle maison abandonnée,
Dans quelle chambre aux volets fermés à jamais,
Avez-vous laissé les poèmes de vos sublimes secrets ?

Dis-moi, auteur anonyme, graveur délicieux de noms magiques,
Me fais-tu don généreux de tant d’êtres sublimes ?

Glose :


De Dubiis Nominibus ou Dubiis Nominibus est un document du VIIe siècle, peut-être de Bordeaux, écrit par un auteur anonyme. Il s'agit d'une liste alphabétique de mots dont le genre, la forme plurielle ou de l'orthographe était remise en question par l'auteur qui a tenté de résoudre les questions par des citations d'auteurs classiques et chrétiens avec des notes à côté de chaque mot. Du latin dubiu, « balançant d’un côté et d’un autre, incertain, indécis, hésitant » et nomen / nomonis, « nom, dénomination ». On peut traduire cette expression par « De la signification incertaine des noms ».

lundi 11 février 2013

La nuit, les morts viennent dans ma chambre



La nuit, les morts viennent dans ma chambre

À Daniel Varoujan

La nuit, les morts viennent dans ma chambre,
Leurs cœurs dans le mien ne se taisent jamais,
Ils viennent, ils apportent des brins d’herbes vertes
Et des frêles rameaux d’aubépine,
S’assoient délicatement près de mon lit et chantent,
Dans la caressante fraîcheur
Qui flotte autour de leurs visages nocturnes,
Des chansons d’une douceur inimitable.

Par la fenêtre ouverte vient le vent clair,
Qui sait si bien bercer mes chagrins
Et remplir mes yeux ouverts de légendes.

Dans la cour endormie, sous le tremble,
Claquent les draps blancs sur le haut étendoir
Et sèment une vague stupeur sur le visage émacié du silence.

La lune familière, dans ses plus jeunes rayons,
Répand sur nous son antique amitié.

Puis, poussant de légers soupirs harmonieux,
Placides, aimables, dociles, mes morts s’en vont
Sur le bout des doigts.

Et il y a quelque chose de beau, d’agile et de jeune
Dans leurs mouvements mesurés
Baignés d’une lumière douce et profonde.

Alors le fleuve du sommeil coule enfin en moi
Et l’impérieuse conscience
De mes lumineux devoirs envers mes morts
M’enveloppe de sa tendresse vivante
Et m’empêche de mourir !

            Athanase Vantchev de Thracy

Glose :

Daniel Tcheboukkyarian dit Varoujan (en arménien Դանիէլ Վարուժան ) – (1884-1915) : un des plus grands poètes et écrivains arméniens. Né le 20 avril 1884 à Brgnik (Perkenig) dans l'Empire ottoman, à quelques kilomètres de Sivas (Sébaste). Fuyant les massacres hamidiens, sa famille va s’installer à Istanbul où il devient l’élève des frères Mekhitaristes. Ces derniers l’envoient au Collège Moorad-Rafaélian de Venise et de là en 1905, à l’Université de Gand, en Belgique, où il suit des cours de littérature. En 1909, il retourne comme instituteur à son village, où il enseigne 3 ans. Après son mariage en 1912, il devient le directeur de l’École Saint Grégoire l’Illuminateur d’Istanbul. Il a fondé en 1914 le groupe littéraire Mehian (Temple) visant à la renaissance de l'esprit arménien.

Poète de génie, Daniel Varoujan demeure le symbole de cette époque. Il sait couler la violence de sa passion dans une langue raffinée. Varoujan est aussi le chantre du peuple, dont il veut que la douleur soit sans désespoir. Les Frissons, Le Cœur de la race et la Chanson du pain sont ses chefs-d'œuvre.
Il fut sauvagement assassiné par les Jeunes turcs :

« Varoujan mourut attaché à un arbre, mutilé de part en part, et ses restes furent jetés aux chiens errants. Depuis Euripide, jamais à notre connaissance poète n'avait connu une fin aussi effrayante, sinon celui dont la religion de son peuple se réclamait. Il est difficile de ne pas y penser. Le poète avait trente et un ans." (Luc-André Marcel).

Une plaque commémorative est érigée dans le hall de la bibliothèque de l'université de Gand.

Étendoir (n.m.) : ou étente à linge est un support permettant de faire sécher le linge. De nos jours, le terme « étendoir » a supplanté celui d'« étendage » et est parfois remplacé par celui de « séchoir », bien que ce dernier désigne généralement un système mécanisé de séchage (par une source artificielle de chaleur ou d'aération).

Par ailleurs, alors qu'on utilisait autrefois plus souvent l'expression « pendre le linge », celle plus logique d' « étendre le linge » a fini par la supplanter.

samedi 9 février 2013

Aimé Césaire



Aimé Césaire

 

I.

 

Tu nous es venu de la mer millénaire des Kali’nas,

Toi, Aimé de nos cœurs, enfant de la clarté vierge du ciel,

Toi qui nous as donné des songes

Qui nous rendent égaux aux dieux !

 

Toi, deux yeux de feu

Qui emplissent de leur flammes immortelles

L’espace de ce jour heureux,

D’indéchiffrables joies, la rive percluse,

De confusion et de tendresse, ma mémoire filiale !

 

Toi, l’apocrisiaire des vagues joueuses

Qui livre ton âme à nos âmes éblouies

Avec la neuve élégance délibérée de tes mots

Et le courage souriant et allègre

De cette île bienheureuse !

 

II.

 

Une âme complice aux fastes mélodieux des eaux impériales,

Douée de cette gaîté verte, légère et facile

Que portent en elles les âmes généreuses

Des peuples fascinants des Caraïbes !

 

Mer sublime, émail rayonnant sur fond bleu,

Mer hymnique, objet de tant de dévotion fervente,

Emblème éternelle de la liberté pure,

Ornée de guirlandes fleuries de bateaux et de voiles !

 

III.

 

Dans ta maison lettrée, les ruisseaux du haut savoir

Rehaussaient la fraîche beauté de la pénombre

Et le mauve silence qui vibrait d’une présence amoureuse !

 

Dans les rues pudiques,

Le chant moelleux et poivré de l’air s’assortissait

Aux mélopées insouciantes de la brise.

Ainsi du fin fond de l’anxiété amicale de ta vie

Ont surgi la radieuse espérance

Et les rêves ourlés de lumière !

 

Toi, l’enfant curieux à cerceau et filet à papillons

Qui se livrait avec passion, pudeur et délicatesse

Aux jeux de ta terre marine !

 

Autour de toi pâlissaient, s’émouvaient, s’attendrissaient

Les arbres malicieux des forêts

Et les sentiers d’or dans les vallées !

Et tes soirs, vases de cristal grenat, tissaient en toi

Les bandelettes bleues,

Les oriflammes rouges de tes pensées généreuses !

 

IV.

 

Ô toi île des iguanes, Jouanacaëra,

Matinino, Madinina, île aux fleurs, ô Matinite des fées,

Martinique - Matinik des âmes pures,

Martinique – Matinik du peuple à la beauté de guépard

Quand il s’élance comme un éclair à travers la savane !

 

Toi Aimée Césaire

Qui as uni en un bouquet de poèmes odorants

Tous les moments héroïques d’une vie majestueuse !

Toi, île à la face rayonnante, dont la virtuose fugacité

Abolit sur tes lèvres, foyer de chaleur, les vertiges du temps !

Toi, gaîté incomparable,

Sœur hâlée de la consonance limpide

Entre les hommes !

 

Notre amour, Aimé,

Si grand pour nos cœurs,

Nous dépasse !

 

Aussi, restons-nous dans la pénombre mate

De la chaude tendresse de nos ancêtres !

 

Tu vis, tu respires, tu danses, Martinique,

Tu bats, tu vibres, tu chantes dans notre chair,

Resplendissante Martinique, toi,

Terre des hautes montagnes,

Montagne émeraude dans la mer d’ambre !

Toi, perle rêveuse des grandes Antilles,

Terre moelleuse d’un peuple d’aigles

À la fierté indomptable !

Toi, île, caillot de sang et de songe !

 

Que dire de plus ? Je ne sais !

Vient la tempête qui s’institue

Vengeur au nom du silence !

Va, pars, ne regarde pas en arrière,

N’écoute pas les effroyables oracles,

Ah, je désire si ardemment ce soir

La chaude présence des miens !

 

V.

 

Aimé, ami du soleil, toi qui chérissais tant

Cette Créolie tienne, toi qui l’aimais jusqu’aux larmes,

Tu as fait fondre le chagrin gelé dans ses veines,

Tu as ramené l’aube dans ses prunelles,

Son sourire tour à tour violent et hospitalier,

Sa force sacrée et victorieuse !

 

Tu as ressuscité la grâce et la miséricorde créoles,

Sa puissante ferveur, sa bonté et sa confiance !

La voilà désormais libre, agile, bouillonnante,

Gourmande de tes mots de diamants,

D’algues vertes et de saphirs,

De tes poèmes de silex étincelants et hallucinés,

De la lueur calme de ton antique sagesse.

 

Ô précoce jubilation de l’été,

Printemps exaltés par le chant de mille milliers d’oiseaux !

 

Où que tu fusses, tu portais, Aimé, dans tes soupirs
Les montagnes escarpées de ta patrie,
Amène endroits où murmurent, limpides de félicité,
Des sources vigoureuses et des ruisseaux alertes,
Nourriciers de fleurs champêtres et des rameaux vierges,
Eaux vives où, la nuit, sous le jardin fleuri des grandes étoiles,
Courent à travers les bois naïades, nymphes et dryades !

VI.

Partout te suivaient,
Dans tes adolescentes insomnies, les cantiques
Des plaines rieuses de la joyeuse Martinique
Et les hymnes solennels des fleuves
Aux eaux d’ambre vive et d’améthyste.

Et ta gorge se serrait de noueuse tristesse
Dans les rues populeuses de Paris
Quand tu entendais, dans ton âme adolescente,
Les voix frémissantes de ton pays 
Au nord :
La haute Montagne Pelée, le Morne Macouba,
Le Piton du Carbet,
Le Morne Piquet, le Piton Marcel
Au sud :
La Montagne du Vauclin, le Morne Larcher,
Le Morne Bigot,
Le Morne Gardier…

VII.

Ô sentiers détrempés par la pluie,
Voix exaltées dans la grande nuit,
Rêves immobiles, rêves inassouvis,
Rêves accrochés aux modestes fenêtres des humbles maisons,
Coquillages luxuriants de la mer profonde,
Grand-mères lumineuses, accablées par trop de chagrin,
Elles, dont la vie est passée comme une barque
Qui volent des clairs de lunes
Pour inonder de tendresse les petits lits des enfants
Recouverts de couverture en coton ajouré,
Elles qui connaissaient les nœuds des astres
Sur la corde de l’Axe céleste !

Grands-pères qui gardaient le sommeil des petits
Comme un phare veille et préserve les bateaux
De la dévorante obscurité des mers !

Ô fleurs, ô herbes, ô villes pleines de nocturne chaleur !

Mères, protégez vos enfants
En les gardant dans le timbre rose de vos voix,
Emportez leurs douleurs
Dans vos sanglots.

VIII.

Tu entends la fureur des pluies apportées par les alizés,
La douceur des plaines au centre de l’île et en bordure côtière,
Et cette côte au vent caressée par l’océan Atlantique,
La presqu’île de la Caravelle,
Le chant des pêcheurs sur leurs embarcations de fortune,
Les hymnes des cayes, ces loups bordelais, loups ministres,
Les murmures accorts de la côte caraïbe,
Les chuchotis de la plage de sable noir de l’anse Céron !

Mer des Caraïbes, mer cérémonieuse, mer incantatoire,
Comme le Poète aimait la clameur soyeuse de tes eaux,
Comme il adorait errer dans les denses bosquets des astres
Qui veillaient sur les innombrables tribus des poissons !

Toi Aimé, qui connaissais l’universalité du vrai,
La souple prolixité des langues dans leur juste mouvance,
Toi qui délivrais les mots de la poussière du temps
Et des laves encore brûlantes de l’histoire !
Toi, le cœur attentif aux filiations des hommes
Et aux transfigurations des êtres.

IX.

Et comme Aristote, tu te plaisais à dire que
« Le commencement de toutes les sciences,
C’est l’étonnement
De ce que les choses sont ce qu’elles sont ».

Je suis fier de toi, peuple ouvrier,
Peuple qui a su bâtir, au milieu
Des plus cruelles adversités,
Des empires de joie et d’amour !

Comme j’aime le parfum
Du jour nouveau qui s’annonce.
Ô temps, nos morts sont partout
Où nous les aimons !

Femmes aux prunelles toujours ardentes,
Cœurs qui battent sans déchirure,
Pagnes de l’aurore sur vos flancs fertiles,
Vos rires et la pluie seuls ensemencent de vie la terre !


X.

Mer divine où raisonneront à jamais
Les sublimes héros de la voluptueuse négritude :
Léon Gontran Damas, Guy Tirolien,
Léopold Sédar Senghor et Birago Diop !
Tu sais, ô mer perpétuellement émue,
Que toute poésie commence
Ex abrupto
À la première page !

Comme nous aimons ta respiration contre nos joues !
Comme chacun de nous veut dormir et rêver
Dans l’alcôve somptueuse de ton giron, ô mer !

Mer, tes murmures
Qui boivent nos yeux avec une joie extrême
Font pousser et se multiplier les mots d’amour
Dans nos corps ardents !

Ô voix d’Hésiode, voix des Muses,
Voix qui passeront à un jeune poète de génie
Que nous ne connaîtrons jamais !

Ô soirées dithyrambiques,
Nuits épaisses, saisons et lunes douloureuse !
Arcs-en-ciel des étreintes !
Ô humanité inaliénable au cœur de chaque être !

Mer, comme nous chérissons ta douceur, la plus fine de toutes,
Comme nous aimons tes frissons de velours convulsifs, 
Les senteurs de tes courants qui entêtent !
Nous, poètes, perpétuellement furieux,
Nous sommes dévorés par le sel de la tendresse !

XI.

Ami Poète, Césaire de nos cœurs tourmentés,
Toi qui aimais dormir avec la Voie Lactée dans ton lit blanc
Avec la brise heureuse dans tes articulations limpides
Et ton oreiller plein d’arômes de menthe et de soleil,
Toi qui savais couvrir de baisers lilas
Les seins généreux d’une femme belle comme l’Afrique,
Pendant que la lune jouait dehors
Avec les ancres étincelantes dans les baies radieuses.

Oui, tu aimais ces nuits calmes comme le pain frais
Avec des images éblouissantes de Candido Portinari sous tes paupières
Et le bleu azur irréel des songes : vie, distance, jeu perpétuel des sphères,
Toi qui aimais la marche des coccinelles guidée par les constellations,
La tendre et frêle perfection des existences discrètes,
Le translucide et aérien sourire des grands innocents.

Toi, Aimé Césaire !

XII.

Toi, Aimé Césaire des tempêtes,
Toi qui regardais avec une amitié christique
Et avec une reconnaissance dévouée
Chaque chose et chaque être de la Terre !

Heureux du crissement des grillons sur les collines
Qui ne quittent jamais notre admiration enfantine
Qu’une fois les convenances funéraires observées.

Tu adorais, Aimé, les amitiés vives
Les attachements spontanés,
Tournais le dos aux indiscrétions indélébiles
Et aux futilités pernicieuses !

Ô Homme qui dit :

« Je suis !
J’attends !
C’est long pour un cœur !... »

Le soleil était à ton doigt un anneau d’amour !

Ô Épiclèse, ô Eucharistie, ô Messe chrismale !

XIII.

Maintenant, partons,
Le sommeil lumineux nous attend,
On y sera bien !

Purs, intacts, glorieux,
Nous n’avons pas besoins des rites chamaniques
Pour apaiser nos esprits endormis dans le céleste espoir !

C’est dans la paix des âmes aimantes
Que nous saurons ce que l’air et la feuille se disent
Et pourquoi leur chant est exactement vrai !

Ami Aimé, dormons sous les saules en fleurs,
Compagnons des êtres morts ou vivants !

XIV.

Toi, Aimé, trace errante d’un chemin lumineux,
L’inquiétude fébrile ne viendra plus tarauder nos cœurs
Quand la paix descendra sur la riante campagne de Martinique
Et installera sur la douce ondulation de ses herbes
La perpétuation de l’extase.

Nous écouterons la fraîche rumeur des eaux nouvelles
Gambadant sous les ronciers taquins
Pour enchanter les mielleuses nuances de nos peaux brunes !

Ô toi, Ami des humbles, qui pardonnais aisément
La légèreté faite d’ignorance
Et haïssais les lâches tolérances !

Ami Césaire,
Ton souvenir me revient comme un cadeau précieux de la vie,
Comme une haleine délicieusement émouvante !
Une pensée amène une autre
Comme une ride de l’eau amène une autre ride !

Non, ils ne s’en vont jamais tout à fait
Ceux qui s’en vont :
Ils laissent toujours, si misérables, si petits soient-ils,
Une cicatrice profonde
Sur le corps concupiscent du temps !

Ô bannières des acacias,
Flottez comme des songes
Sous le souffle vivifiant de la brise,
Que par les baisers de ceux qui s’aiment
Les feuilles des arbres deviennent un avec le soir,
Que l’air heureux entoure son corps gracieux
D’une ceinture de jeunes figuiers !

Ô vie, ô mystérieuse musique
Des sentiers et des routes !

            Athanase Vantchev de Thracy

Paris, janvier 2013

Glose :

Aimé Césaire (1913-2008) : poète et homme politique martiniquais. Aimé Césaire faisait partie d'une famille de sept enfants ; son père était administrateur et sa mère couturière. Son grand-père fut le premier instituteur noir en Martinique et sa grand-mère, contrairement à beaucoup de femmes de sa génération, savait lire et écrire, aptitudes qu'elle enseigna très tôt à ses petits-enfants. De 1919 à 1924, Aimé Césaire fréquente l'école primaire de Basse-Pointe, commune dont son père est contrôleur des contributions, puis obtient une bourse pour le lycée Victor-Schoelcher à Saint-Pierre (lycée qui a été déplacé à Fort-de-France après l'éruption de la Montagne Pelée en 1902. En septembre 1931, il arrive à Paris en tant que boursier pour entrer en classe d’hypokhâgne au lycée Louis-le-Grand, où il rencontre l’écrivain et homme politique sénégalais Osmane Socé Diop et Léopold Sédar Senghor, avec qui il noue une amitié qui durera pendant plusieurs années.

Émergence du concept de négritude

Au contact des jeunes Africains étudiant à Paris, notamment lors des rencontres au salon littéraire de la femme de lettres et journaliste martiniquaise Paulette Nardal, Aimé Césaire et son ami guyanais Léon Gontran Damas, qu’il connaît depuis la Martinique, découvrent progressivement une part refoulée de leur identité, la composante africaine, victime de l'aliénation culturelle caractérisant les sociétés coloniales de Martinique et de Guyane.
En septembre 1934, Césaire fonde, avec d’autres étudiants antillo-guyanais et africains (parmi lesquels Léon Gontran Damas, le Guadeloupéen Guy Tirolien, les Sénégalais Léopold Sédar Senghor et Birago Diop), le journal L’Etudiant noir. C’est dans les pages de cette revue qu’apparaîtra pour la première fois le terme de « Négritude ».
Ayant réussi en 1935 le concours d'entrée à l'Ecole normale supérieure, Césaire passe l'été en Dalmatie chez son ami, le linguiste croate Petar Guberina, et commence à y écrire le Cahier d’un retour au pays natal,qu'il achèvera en 1938. Il épouse en 1937 une étudiante martiniquaise, Suzanne Roussi. Aimé Césaire rentre en Martinique en 1939 pour enseigner, tout comme son épouse, au lycée Schœlcher.
En 1945, Aimé Césaire, coopté par les élites communistes qui voient en lui le symbole d'un renouveau, est élu maire de Fort-de-France. Dans la foulée, il est également élu député, mandat qu'il conservera sans interruption jusqu'en 1993.
En 1947, Césaire crée avec Alioune Diop la revue Présence africaine. En 1948  paraît l'Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache, préfacée par Jean-Paul Sartre, qui consacre le mouvement de la « négritude ».
S'opposant au Parti communiste français sur la question de la déstalinisation, Aimé Césaire quitte le PC en 1956 et fonde le Parti progressiste martiniquais, au sein duquel il va revendiquer l'autonomie de la Martinique.
En 1966, Césaire est le vice-président du Festival mondial des Arts nègres à Dakar.  
Aimé Césaire s'est retiré de la vie politique (et notamment de la mairie de Fort-de-France) en 2001 au profit de Serge Letchimy, mais reste un personnage incontournable de l'histoire martiniquaise jusqu'à sa mort.
Le 9 avril 2008, il est hospitalisé au CHU Pierre Zobda Quitman de Fort-de-France pour des problèmes cardiaques. Son état de santé s'y aggrave et il décède le 17 avril 2008 au matin.
Une plaque en son honneur a été dévoilée au Panthéon le 6 avril 2011.
Kali'nas, anciennement Galibis ou Karib, sont une ethnie amérindienne que l'on retrouve dans plusieurs pays de la côte caraïbe d'Amérique du Sud.
Apocrisiaire (n.m.) : du grec ancien Ἀποκρισιάριος / Apokrisiários, en latin responsalis. L’apocrisiaire est, dans l'Empure byzantin, soit un ambassadeur impérial (on le désigne alors aussi sous le terme de πρέσϐειϛ / présbeis), soit, de façon plus spécifique, un messager ou un représentant ecclésiastique.
Dans cette seconde acception, l'apocrisiaire est le représentant d'une autorité ecclésiastique locale ou régionale, comme les évêques et les higoumènes, au siège du ressort supérieur dont elle dépend, métropole ou patriarcat. Cette institution apparaît dès le Ve siècle  avant d'être généralisée par Justinien. Les patriarcats, archevêchés et sièges métropolitains les plus importants envoient à leur tour des apocrisiaires à la cour impériale, à Constantinople. Quelques personnages ecclésiastiques célèbres ont exercé la fonction d'apocrisiaire, tel le pape Grégoire le Grand qui représenta l'Église de Rome à la cour de Constantinople vers 578-586. 
Mélopée (n.f.) : du latin melopoeia, « composition musicale », lui-même du grec ancien μελοποία /melopoia, terme composé de μέλος / mélos, « chant, air » et de ποιέο / poëô, « faire ».
Dryade (n.f.) : du grec ancien  δρϋϛ / drus, « chêne ». Nymphes protectrices des forêts dans la mythologie grecque.
Ex abrupto : locution adverbiale latine qui signifie brusquement, sans préparation, sans préambule.


Candido Torquato Portinari (1903-1962) : éminent peintre brésilien. Portinari a peint près de 5000 œuvres, qui vont de petites esquisses à de vastes peintures murales. Il fut l'un des plus importants artistes dans le courant du néo-réalisme. L’œuvre de Candido Portinari est consacrée à la représentation de l’être humain. Peintre d’un profond engagement politique.
Caye (n.f.) : banc de roches ou de sable sous l’eau, à peu de distance des côtes.  
Épiclèse (n.f.) : dans la religion chrétienne, l’épiclèse est une invocation au Saint-Esprit sur l’Eucharistie.

Les rites chamaniques : le chamanisme ou shamanisme est une pratique centrée sur la médiation entre les êtres humains et les esprits de la surnature (les âmes du gibier, les morts du clan, les âmes des enfants à naître, les âmes des malades à ramener à la vie, etc.). C'est le chaman qui incarne cette fonction dans le cadre d'une interdépendance étroite avec la communauté qui le reconnaît comme tel.

Le chamanisme, au sens strict (chaman vient étymologiquement de la langue toungouse), prend sa source dans les sociétés traditionnelles sibériennes. Partie de la Sibérie, la pensée chamanique a essaimé de la Baltique à l'Extrême-Orient et a sans doute franchi le détroit de Béring avec les premiers Amérindiens. On observe des pratiques analogues chez de nombreux peuples, à commencer par les Mongols, qui seraient tous originaires de Sibérie, mais aussi au Népal, en Chine, en Corée, au Japon, chez les Amérindiens, en Afrique, en Australie.

jeudi 7 février 2013

Pluie en août



Pluie en août

« La poésie est la mesure de l’homme »

            Athanase Vantchev de Thracy

À Baptiste

Il pleut en août, ô gouttes voyageuses,
Venez dormir dans les calices des fleurs,
Et que, légère, votre hâtive fraîcheur
Caresse leur âme d’une main voluptueuse.

            Athanase Vantchev de Thracy


Paris, le 6 février 2013

dimanche 3 février 2013

Poèmes d'Athanase en ukrainien

POEMES


d’Athanase Vantchev de Thracy traduits en ukrainien par Dmytro Tchystiak





Зі збірки – Du recueil


«І море оберталося на спів»

(2007)


« Et la mer devenait chant »

(2007)
ХОКУ

Світла ранкова тінь,
Лагідний шерех душ
Серце гоять од ран.


ТИ У ДВЕРІ ПОСТУКАЄШ

Ти у двері постукаєш і увійдеш,
І всміхнешся, на віях тремтітиме пил,
Виспіви сонячні – на вустах.

А тоді із ніжністю чуйною,
Із веселкою в теплих очах
Покладеш ти руки натомлені
Та й на скроні мужу ранковому.

Опаде невимовна лагода, ніби музика,
Чутна серцеві лиш закоханому та чистому,
У затишнім кімнатнім світику,
Де, буває, лише
З'являються тихомирні, але кривавляться
Чи з байдужості чи то з розпалу із любовного
Мертві, Янголи та Господь.

І душа при душі, послухаймо:
Днини червня пречистої
Час у шати пресвітлі вбирається
В дивовижі неозоримій!
Париж, 30. червня 2004 р.























ALLOPHRONEONTA

Блукання духу смутного

Тебе немає, Принце, і повітря – воскове,
Знеможене від суму аквілегій ніжних,
Зів'яла думки цвіть і кров оспала віршна:
Цей нескінченний вірш душа не проживе!





































СОН

«…лиш ми вглядаємось та бачимо суть краси».
Чарльз Олзон

Скільки місяця у вітровінні,
Скільки свіжості у праглибинах нічних,
Під вершечками пальм!
І пісок рідне серце розкрив:
Об'явився широкий окіл
Чистим голосом!

Ти ходи, кохання моє,
Доєднайся до співу,
Хай мелодія змінна
Заблукає на стані
Дозрілому винному.

Хай цей віршовий легіт
Зацілує
Струмки
Кров'яні,
О кохання моє,
Мовчазна чистота
Діаманта!

Париж, 24 січня 2006 р.


ЧУДОВНИЙ ДРУЖЕ МІЙ…

Чудовний друже мій, ти – часу тріпотінь
Ув осередді дум та у душі знання,
З кохання вечір так листки перепиня –
Цілунками вкрива божиста шелестінь.