mardi 30 septembre 2008

ADMIRATION

ADMIRATION

(θαύμα)

A Kevin

« Le corps n’est jamais triste »

Eugénio de Andrade

A cru sur ton cheval, tu traversais l’espace
Comme les rayons de l’aube traversent les feuilles des frênes,
Transi par ta beauté, pure, vaste, aérienne
Je recouvrai en rêve de roses vierges ta face.

Toi, mon Prince des routes, enfant de la rosée,
Adolescent au corps, sculpté dans la clarté !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 30 septembre 2008

Glose :

Eugénio de Andrade (1923-2005) : pète, écrivain et éminent traducteur portugais. Son vrai nom était José Fontinhas. Issu d’une famille de paysan, il fit une carrière de fonctionnaire au Ministère de la Santé. Eugénio de Andrade a écrit des romans, des poèmes, organisé des anthologies. Il est l'un des poètes les plus importants et les plus originaux de l'après-guerre au Portugal. Son œuvre est traduite en une douzaine de langues. Elle est publiée en France aux Editions de La Différence. Eugénio de Andrade reçut le prix Camões en 2001.

Parmi ses publications en français figurent : Les Lieux du feu ; Matière solaire ; Le Poids de l’ombre ; À l’approche des eaux ; Le Sel de la langue ; Office de la patience ; L’autre nom de la terre ; Versants du regard et autres poèmes en prose ; Femmes en noir ; Écrits de la terre.

« Eugénio de Andrade – écrit Claude Michel Cluny – n'appartient à aucune filiation sinon, par affinité, aux Italiens Sandro Penna ou Pier Paolo Pasolini. Mais le Pasolini, chantre virgilien moderne… des saisons et du parfum de l'heure, de l'éclat de la jeunesse agreste joueuse et pourtant mélancolique. C'est cela qu'Andrade partage, et la tiédeur sensuelle d'un soleil antique. »

jeudi 25 septembre 2008

CHALOIR

CHALOIR

A Álvaro Mutis

« Ne li chalt, sire, de quel mort nus murions »

La Chanson de Roland

La hiératique église de la Dormition,
Veillée par l’armée antique des cyprès grecs
Répand dans le silence d’or de l’après-midi forcené
Le chant tourbillonnant et pur de ses cloches.

Devant l’autel aux icônes chargées d’or et de pierres précieuses,
Plongées dans les volutes bleues de l’encens,
Baignées par les torrents de lumière des cierges odorants,
Résonne la douce nudité des paroles sincères de l’archimandrite,
La poignante et sereine évidenceDe la rayonnante foi chrétienne.

Le temps, comme une animal blessé, cogne
Contre les battants lourds des portes du monastère.

Les lamentations navrantes des femmes, toutes vêtues de noir,
Rayent le plafond orné de somptueuses fresques !
Ô visages innombrables de la douleur !
Calme substance de toute solitude !

Au-dessous des émaux champlevés et cloisonnés
Aux couleurs éclatantes,
La main visiblement émue de l’artiste
A ciselé le verbe chaloir.

Rien de plus ! Pas même son nom !

Ô Seigneur éternel
Sans lequel il n’y a pas d’éternité,
Seigneur de la beauté radicale,
Maître de la poignante splendeur !
Je suis d’accord avec le printemps,
Avec ce jour à la chevelure fraîche
Parée de mille fleurs chamarrées de mai,
D’accord avec cette clarté fugace du matin !

Chaloir !

Mais que signifie ce verbe ciselé par la main
D’un Français dans ce haut lieu
De l’autoritaire orthodoxie byzantine ?
Est-il une confessio fidei,
Une confessio laudis,
Une indifférence aux choses du monde ?
Voulais-tu dire :

Peu me chaut,
Il ne m’en chaut
Il ne m’en chaut guère ?

Toi, dont la main généreuse comme un jour de juillet
A tracé avec une délicatesse fiévreuse,
A l’aide de ténus fils d’argent
Et de fines lamelles de métal
Ces innombrables dessins éblouissants ?

Toi qui as posé avec une minutie vertigineuse
La gomme adragante ?
Toi, âme anonyme,
Qui as gravé avec enchantement
La surface du métal
Et ménagé les fines cavités
Pour les remplir d’heureuses coulées d’émail,

Dis-moi, révèle à ma bienveillante curiosité
Ce qu’il ne t’importait pas :
Etaient-ce ta sueur salée, l’âcre salive de tes lèvres,
Tes peines torrides dissimulées dans le puits de ta mémoire,
Tes souvenirs au goût d’absinthe sauvage ?

Le brasier dévorant de ton travail acharné,
Les métalliques insomnies pendant les nuits
Où règne la fureur des larmes et sévit l’incendie
Des sentiments d’abandon et d’oubli ?

Ton amour secret pour une femme bien charnelle,
Les sinueux sentiers de l’émotion
Qui te ramenaient chaque fois
Au calme désert de ta dévotieuse solitude ?

Âme,
Je voudrais tant m’enfoncer dans le temps de ta vie,
Au-delà des hauts murs sourds et muets des jours,
Au-delà des cataractes déchaînées des heures mortes
Pour placer une rose blanche entre ton cœur et le mien,
Pour confondre mon chant,
Réminiscence céleste de mon âme
D’un royaume antérieur au temps,
Avec l’éclat suréminent de ton art,

Pour entendre, âme, le visage lavé par de larmes de rédemption,
Le désir ardent de la mélodie de ta voix
Remplie de nuit primordiale !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 24 septembre 2008

Glose :

Chaloir (verbe défectueux) : du latin calere, « être chaud », « désirer ». Le verbe entre dans la langue française au Xe siècle dans la Cantilène de sainte Eulalie. Au siècle suivant, on le retrouve dans la Chanson de Roland au siècle suivant : « Ne li chalt, sire, de quel mort nus murions ». En ancien français il avait le sens de « avoir chaud », « préoccuper ».

Ce verbe défectueux a, aujourd’hui, le sens de « importer » : Peu me chaut (Peu m’importe) ; Il ne m’en chaut ou Il ne m’en chaut guère (Il ne m’importe).

Il existe aujourd’hui quelques rares cas d'emplois modernes à d'autres temps ou modes selon le grand grammairien belge Maurice Grevisse. Au subjonctif : « Pour peu qu'il vous en chaille » (Anatole France), « J'en suis d'avis, non pourtant qu'il m'en chaille » (La Fontaine). Au conditionnel : « Or il ne me chaudrait .... Qu'ils fissent à leurs frais messieurs les intendants » (Mathurin Régnier). On peut écrire suivant Littré : chaudra (futur simple), chaudrait (conditionnel présent). Barbey d'Aurevilly emploie l'imparfait : « Peu me chalait de voir tomber la nuit. » (« L’Ensorcelée).

Le participe présent était chaillant : « Mais peu se chaillant d'eux » (Ronsard). Il était formé comme saillant, vaillant, faillant. Le changement de terminaison suit l'influence des substantifs issus de participes comme ferrand, tisserand, marchand. Le substantif chaland, « ami protecteur », voire « amoureux », puis « client » au XIIe siècle, est issu du participe présent. Il s'est d'abord écrit chalant, chaulant, chalan, caulant. Le sens s'est fixé au XVIe siècle sur la personne qui achète chez un même marchand. Au départ, il s'agissait de la personne qui a un intérêt à quelque chose, pour qui quelque chose lui chaut ou importe. Furetière évoque le pain chaland : « Gros pain que vendent les boulangers de la ville et qu'ils font porter dans les maisons des bourgeois, qui sont leurs clients ordinaires ».

Quant à l'homonyme pour le bateau plat (1080), il provient du grec byzantin khelandion.

Le substantif servira à construire le verbe achalander (1549) et l'adjectif achalandé (1383), qui ne signifient pas « être pourvu en marchandises », mais « fréquenté par la clientèle ». La confusion apparaît à la fin du XIXe siècle lorsque le lieu qui a une bonne clientèle devient le lieu à la vogue et donc le lieu bien approvisionné. Le substantif achalandage (1820) suit la même dérive sémantique du fait de la faible fréquence de chaland.

L'infinitif nonchaloir (1160) et surtout le nom rendu familier par Baudelaire sont issus du verbe chaloir. La beauté « nonchalante » (1278) suit cette même démarche. En fait, le verbe était rare : nonchalu « méprisé » ou vous nonchalez (1428), « vous négligez ». L'expression mettre en nonchaloir ou mettre à l'abandon, délaisser était seule usuelle en ancien français : « Por l'ame de moi miex [mieux] valoir Ai mis mon cors en nonchaloir » (Rutebeuf). Le sens de la nonchalance s'est déplacé du manque d'énergie ou d'intérêt à une sorte de désinvolture gracieuse ou affectée. Ce nouveau sens a redonné un peu de vitalité à l'infinitif substantivé vers le XVIIIe siècle pour montrer une sorte d'indifférence, de paresse, d'inaction.

Álvaro Mutis (né en 1926) : poète colombien natif de Bogota. Fils d’un diplomate, il passe son enfance en Belgique jusqu’à la mort de son père. Il retourne vivre en Colombie où achève ses études et publie en 1948 son premier recueil de poèmes, La Balanza, en collaboration avec Carlos Patiño Roselli. En 1950, il se lie d’amitié avec Gabriel García Marquez. Si Álvaro Mutis s’affirme comme romancier à partir de 1968, c’est dans sa poésie que les errances de celui qui est à la fois son frère, son double et le personnage principal de son œuvre romanesque, Maqroll el Gaviero, ont commencé. Il a reçu le prix littéraire national de Colombie en 1974, en France le prix Médicis étranger pour La neige de l’Amiral en 1989 et en Espagne le Prix Cervantes 2001. Álvaro Mutis vit à Mexico depuis 1956.

Archimandrite (ἀρχιμανδρίτης) (n.m.) : titre dont le sens étymologique signifie « gardien de la bergerie ») apparu en Syrie dès le IVe siècle, en concurrence avec celui d'higoumène, pour désigner le supérieur d'un monastère. À partir du VIe siècle, l'archimandrite devient le chef d'un ensemble de monastères. Puis, de plus en plus souvent dans l'Église byzantine, ce titre prend la valeur d'une distinction honorifique, et il est aujourd'hui donné à presque tous les membres du clergé régulier, exception faite des moines vivant dans les communautés. Dans l'Église russe, ce titre est apparu à la fin du XIIe siècle pour désigner les supérieurs des principaux monastères. Avec l'essor du monachisme au XIVe siècle, les archimandrites de certaines communautés, en particulier du monastère de la Trinité-Saint-Serge près de Moscou, jouent un rôle de premier plan dans la vie religieuse, politique et économique du pays.

Email (n.m.) : du francique °smalt. Vernis constitué par un produit vitreux, incolore, coloré par des oxydes métalliques et qui, porté à la température convenable et fondu, se solidifie et devient inaltérable. L’émail a fait son apparition dans l’Egypte antique. Les Egyptiens connaissaient les procédés de l'émaillerie. On peut penser qu'ils auraient utilisé cette technique peu onéreuse pour des figurines, symboles et objets de culte usuels, de même que pour les statues, si souvent ornées de pierres, de bronze et d'ivoire.

L’essor de l’émail vient vraiment de Byzance. L'émail est fondu sur du métal précieux et les cloisonnés restent généralement de faibles dimensions. Les musées et les églises conservent un nombre considérable d'émaux byzantins, ottoniens et carolingiens. L'émail connaît un essor important en Europe au cours des deux derniers siècles av. J.-C. Il est alors employé dans l'ornement des bijoux et des fibules. Mais c’est surtout à la fin du XVe siècle, grâce à une nouvelle technique que l’émail a refait son apparition en France. La méthode de l’émail en France est celle des émaux peints. L'origine de ce procédé est sans doute italienne, mais le centre de production le plus réputé devient Limoges. L'émail a occupé une place importante dans l'histoire de l'art. Il est aujourd'hui en voie de disparition. L’émaillerie artisanale tente de survivre avec la minutie et la patience qu'elle exige.

Les différentes techniques de l’émaillerie :
L'émail cloisonné : comme l'indique leur nom, les cloisonnés consistent à séparer le support émaillé en segments de différentes grandeurs en traçant des dessins à l'aide de fil d'argent ou de lamelles de métal. Une fois le dessin reproduit, on les fixe avec une colle dénommée « gomme adragante » qui disparaîtra avec la cuisson. Les cloisons délimitent ainsi un certain nombre de cuvettes, correspondant aux différentes zones de couleurs : il suffit ensuite de déposer l'émail dans chacune des cuvettes, et de cuire l'objet émaillé.
L'émail champlevé : l'émaillage champlevé est réalisé en gravant une surface métallique de manière à ménager de petites cavités. Ces creux sont remplis d'émail qui est ensuite chauffé. Après cuisson, l'émail vitrifié se solidarise avec son support. Le ponçage égalise la surface, la dorure masque l'apparence du métal.
L’émail niellé : c’est ainsi qu’on appelle l’émail noir.
L'émail peint : la technique de l'émail peint consiste à recouvrir une plaque de métal d'une couche d'émail blanc cuite. Le dessin est ensuite appliqué sur le fond blanc. Chacune des couleurs doit être chauffée séparément parce qu'elles n'entrent pas en fusion à la même température.
Traditionnellement, on applique les couleurs au pinceau, mais on utilise également la pulvérisation ou la peinture à la bruine.
L'émail sur basse-taille : Le procédé de la basse-taille, dérivé du champlevé, est appliqué à l'argent ou à l'or. Le métal est gravé ou martelé à diverses profondeurs, en fonction du dessin. Les dépressions sont ensuite remplies d'émail transparent, à travers lequel on peut voir le dessin situé en dessous.

Confessio fidei, une profession de foi ; confessio laudis, une louange faite à Dieu.

Adragant, adragante (adj.) : altération du mot tragacanthe, du grec tragacantha / τραγάκανθα, arbrisseau épineux qui donne la gomme adragante. On dit gomme adragant ou gomme adragante une gomme qui sort spontanément, en filets ou en bandelettes tortillées, des tiges et des rameaux de plusieurs arbrisseaux du genre des astragales. On a dit aussi gomme d'adragant.

mardi 23 septembre 2008

VIERGE

VIERGE

A Simon Le Pavec


Mère,
Donne-moi un peu de cette lumière
Qui coule du printemps de tes doigts !

De cette eau pure
Qui jaillit du ciel de tes yeux
Pour transformer mes yeux
En sources sacrées.

Accorde-moi, Mère,
Un de tes regards
Brûlant de tendresse
Afin que mon cœur
Se change
En poème !

Toi, Mère,
Qui seule sait arrêter
Les aiguilles du temps
Sur le cadran bleu
D’une aube éternelle !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, ce mardi 23 septembre, Anno Domini MMVIII

J’ai écrit ce poème en pensant aux deux fameuses icônes de la Vierge, celle de Vladimir (ville en Russie centrale) et celle des Blachernes (un quartier centrale de l’antique Constantinople).

La Vierge de Vladimir ou Notre Dame de Vladimir est certainement la plus célèbre de toutes les icônes byzantines. Le modèle de l'icône est du type Eleousa (Vierge de la Tendresse), On l’appelle ainsi parce que la joue du l'Enfant Jésus est serrée contre la joue de sa Mère dans un geste de grande affection..

La Vierge des Blachernes : la plus miraculeuse des icône byzantines de type Orante (la Vierge qui prie). Elle a été depuis longtemps détruite et il n’en reste que des copies. La première église des Blachernes avait été fondée par l'impératrice Pulchérie entre 450 et 453. Lorsque l'habit (maphorion) de la Mère de Dieu fut apporté de Palestine, en 473, l'empereur Léon III y fit construire une chapelle de forme circulaire pour l'abriter, et il donna au sanctuaire tout son éclat. Par la suite, l’église Notre-Dame-des-Blachernes resta l'un des sanctuaires les plus prestigieux de la capitale et fut le théâtre de bien des événements majeurs de son histoire. Le palais des Blachernes était la résidence des empereurs byzantins à la fin de l’empire. Il se trouvait à l’intérieur de l’enceinte de Constantinople, du côté de la fameuse Corne d’Or. Non loin de là se trouvait, et se trouve encore, la fontaine de purification où, entre autres, les empereurs eux-mêmes venaient se laver de leurs crimes.

lundi 22 septembre 2008

LES NERFS CRAMOISI DES JOURS

LES NERFS CRAMOISI DES JOURS

A Fabrice Coupechoux

« Et si la mort n’était qu’un mot ?
René Crevel

I.

Ces voix claires
Qui se répandent, à midi, avec une élégance blanche
Sur le tapis profond du silence
Et le duvet argenté des feuilles des trembles !...

Ces voix ensorcelées qui coulent comme du sang
Sur la page où naît,
Déployant la soie des syllabes, le poème !

II.

Puis, au loin, ivre d’azur et de lumière,
Le peuple ménestrier des cigales
Lance soudain
Ses stridulations parfumés,
Jubile, fait trembler les cimes des eucalyptus,
Et bouscule le calme radieux du jour.

C’est alors que le miel épais du désir
S’empare des âmes immaculées des adolescents
Et mord le marbre luisant de leur corps !

Emu par cet hymne aux dieux omniprésents,
Le soleil ralentit son pas ardent
Pour baigner sa face
Dans les roselières dorées où,
Attentifs à chaque frisson de l’air,
Des myriades d’insectes enfiévrés
Ecoutent pousser les tiges des herbes.

Les nids des oiseaux,
Bercés par la chaleur,
S’élèvent vers le ciel
Au fur et à mesure que les arbres croissent.

III.

Ah, mon Ami,
A chaque instant, quelque chose de nous
S’écoule dans les urnes funéraires
Des heures infatigables !

Toutes ces années sans nom,
Tous ces mots,
Tous ces sourires
Sur lesquels, un soir,
Une pierre ordinaire
Posera son poids définitif !

IV.

Poème, je te supplie,
Reste à mon côté
Comme la promesse d’une tombe
Toujours fleurie et jamais oubliée !

Poème,
Dis-moi, fais-moi croire
Que la divine permanence de nos rêves
Remplira toujours de son être secret
La sereine évidence des paroles simples,
Que nous serons à jamais,
Malgré l’endormissement de la vie,
Heureux
Et tellement nous-mêmes !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 22 septembre 2008


Glose :

René Crevel (1900-1935) : écrivain et poète surréaliste français. Né dans une famille de la bourgeoisie parisienne, René Crevel suivit sa scolarité au lycée Janson-de-Sailly puis fit des études de lettres et de droit à la Sorbonne. Son père se suicida alors qu'il avait 14 ans : cet événement allait marquer profondément sa vie.

Pendant son service militaire, il s'intégra au milieu littéraire du moment. Il y rencontra Roger Vitrac (1899-1952) et Max Morise (1900-1973). En 1921, René Crevel fit la connaissance d’André Breton (1896-1966) et rejoignit les surréalistes. À la fin de 1922, il entraîna le groupe dans des expériences de sommeil hypnotique et dans des pratiques inspirées du spiritisme. Crevel impressionna réellement Breton par la qualité de son éloquence au point que celui-ci regretta longtemps que les séances n'aient pu être enregistrées : « Nous aurions eu un document inappréciable, quelque chose comme le spectre sensible de Crevel. »

Exclu du mouvement en octobre 1925, René Crevel préféra suivre Tristan Tzara (1896-1963) et le mouvement dadaïste. En 1929, l'exil de Léon Trotski (1879-1940) l'amena à renouer avec les surréalistes. Fidèle d'André Breton, il essaya de rapprocher le surréalisme et le communisme. Membre du Parti communiste français depuis 1927, il en fut exclu en 1933.

Il s'investit beaucoup dans l'organisation du Congrès international des écrivains pour la défense de la culture de 1935, dans lequel s’était inscrit le groupe surréaliste, avec Breton désigné comme porte-parole. Cependant, suite à une altercation entre Breton et l’écrivain russe Ilya Ehrenbourg (1891-1963), la délégation soviétique obtint que le poète français soit exclu du Congrès. []René Crevel, qui ne pouvait pas imaginer l'absence des surréalistes à ce Congrès, en sortit désabusé et écoeuré. De plus, il apprit qu'il souffrait d'une tuberculose rénale. La nuit suivante, il se suicida au gaz.

vendredi 19 septembre 2008

Poème de Fabrice Coupechoux

Poème de Fabrice Coupechoux

A Athanase et Skiz, amis poètes.

N'as-tu pas vu
les feuilles du peuplier frémir dans le flux de la brise,
le ciel immense, bleu et dégagé de tout nuage?

N'as-tu pas vu
la poésie se révéler dans la valse des deux sphères?
Les éléments socratiques détachant ma vue de l'âme,
Ne les as-tu pas vus ?

Je ne sais.
A présent je vois des yeux
qui brillent d'avoir trop regardé le soleil
qui s'égarent dans le réflexe poétique
Obscurcissant tout.

Fabrice Coupechoux

CHIALISME

CHIALISME

« Fais surgir la mélodie !
Ecris le chant précieux de la délivrance !
Ainsi tu te souviendras de ton futur »

Rabbi Nahman de Braslaw

L’oubli éloigne sans bruit de nos lèvres
Le parfum des baisers.

Je me penche sur
Le lit du torrent
Où scintille encore
Quelques pépites
De nos caresses.

Mémoire, ôte
De mon cœur
Le linceul glacial de l’hiver,
Restitue-moi les mots
Familiers comme des frères,
Les flacons d’eau folle de l’été.

Laisse-moi tourner les pages
De l’alphabétaire
Comme on écarte, d’une main
Adoucie par la lumière du soir
Les feuilles silencieuses
Du vieux mûrier !

Comme les choses muettes
Sont éloquentes !

Seigneur, dois-je écrire mes livres
En lettres de feu ?

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, ce jeudi 18 septembre, Anno Christi MMVIII.

Aujourd’hui je commémore le seizième anniversaire de la mort de mon frère bien-aimé Michel. Il s’en est allé le 18 septembre 1992. Son corps repose au cimetière de Haskovo (Bulgarie), ma ville natale.

Seigneur de la Miséricorde, accorde la paix à son âme.

Glose :

Chialisme ou millénarisme (n.m.) : du grec chilias / ή χίλιας, le nombre « mille ». Croyance soutenant soutient l'idée d'un règne terrestre du Messie, après que celui-ci aura chassé l’Antéchrist et préalablement au Jugement dernier. Cette pensée est présente dans certains courants du judaïsme, dans l’Apocalypse de saint Jean, dans les écrits des Pères apostoliques et dans l’islam sunnite et shiite. Depuis la fin du XIXe siècle, on assiste à une résurgence du millénarisme à travers plusieurs sectes d'influence chrétienne comme les Témoins de Jéhovah ou les Adventistes du 7e jour.

Rabbi Nahman de Braslaw (1772-1811) : un des grands mystiques du hassidisme. Il fut à l’origine du mouvement Braslaw. Les membres de ce mouvement, écrit Philippe Haddad dans sa conférence En méditant la paracha Béaalotékha 5766, « se distinguent par le chapeau noir (comme les Bretons), par leurs papillotes (comme les Anglaises), par leurs redingotes sombres (comme l’aristocratie polonaise du XVIIIe siècle). Pour beaucoup de Juifs aujourd’hui, ce monde semble étranger, voire étrange, même extrémiste ».

Paracha (n.f.) : pluriel parachot ou parachiyyot, signifie en hébreu « partie ». C’est une section du Tanakh (la Bible hébraïque), appelé encore Miqra qui est composé de trois parties :

- La Torah (la Loi, en cinq livres – Pentateuque)
- Les Nevi’im (les Prophètes)
- Les Ketouvim (les Ecrits ou Hagiographes)
-
Behaalotecha, Beha’alotekha, Beha’alothkha ou Behaaloskha selon la prononciation ashkénase signifie littéralement « lorsque tu feras monter ». Dieu prescrit à Aaron par la bouche de Moïse la façon de faire monter les lumières de la menorah (le chandelier à sept branches qui imite l’arbre sacré) du Tabernacle.

Hassidisme (n.m.) : le judaïsme hassidique ou hassidisme de l’hébreu ’Hassidout, « piété » ou « intégrité », est un mouvement religieux fondé au XVIIIe siècle en Europe de l’Est. Les hassidim insistent particulièrement sur la communion joyeuse avec Dieu par le chant et la danse. Le rebbe, dirigeant une communauté hassidique, accède à son poste par voie héréditaire, et porte fréquemment le titre d'Admor « notre seigneur, maître et rabbin ».

LE PONT (poème de F. Coupechoux)

Fabrice Coupechoux a eu la bonté de me dédier son poème "Le Pont"

À Athanase Vantchev De Thracy

LE PONT

Bâti par la rigueur d'un artisan d'élite,
Le pont, fin et début des humaines chaussées,
Est l'ultime soupir des pistes émoussées
Et primordial départ des routes qu'il génite.

Surplombant, de son arc, les eaux de la rigole,
Il essaie, témoin des variations du temps,
De résister aux attaques des ans, ces taons
Qui boutonnent d'humus le pavé qui s'étiole.

A l'image du pont, l'œuvre du penseur
Mélange en son corpus, de pierre et de béton,
L'amalgame fumant d'antan et d'ultérieur;

A l'image du pont vivant un long trépas,
Subit, devenue ruine, un immense renom
Qui masque le génie et fait sonner son glas.

Fabrice Coupechoux

mercredi 17 septembre 2008

QUELQUE PART, UNE MAISON

QUELQUE PART, UNE MAISON

A Adolphe Monticelli

« Nos fautes sont comme des grains de sable en face de la grande montagne des miséricordes de Dieu »

Le curé d’Ars

Revenir dans cette maison
Où l’essence du temps ne change jamais,
Où dans les plis de son mouvement éternel
Reste, impalpable et toujours égale à elle-même,
La divine permanence des choses immortelles !

Monter doucement, très doucement,
Avec des précautions de papillon,
Une après l’autre, les marches usées
Du vieux perron à encorbellemen,
Silencieux sous la lumière violette du soir.

Avancer comme un promeneur tremblant
De la fraîcheur des fleurs,
Comme un homme au cœur plein de souvenirs
Qui tourne son regard vers un endroit
Où il n’y a plus rien à voir,
Où le jardin lentement se fane
Et s’évanouit comme déjà chassé
Hors du monde !

Et qui se demande, transi de douceur, si quelqu’un
Peut dire encore l’essence des êtres
Et la suavité que procure à l’âme
La lumineuse apparition
Des visages aimés dans le sommeil.

Mais qui,
Qui peut dessiner la face infigurable de l’amour pur,
Le cadastre imprécis de la mémoire fatiguée ?

Une maison, quelque part au bout du monde
Lointaine et inexorablement proche ?
Avec des chambres calmes et bien rangées
Comme les fleurs d’un antique herbier,
avec des rideaux anciens en fines dentelles blanches
A chaque fenêtre !

Et des oiseaux, des oiseaux agiles
Auxquels une main tremblant d’émotion
Jettent des graines et des rêves,
Beaucoup de rêves
Venus des plus lointains horizons !

Des oiseaux qui, à l’aube,
Appelleront de leur voix d’eau
La lumière du matin
Avant de devenir maîtres absolus du ciel !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, ce mardi 16 septembre, Anno Christi MMVIII


Glose :

Adolphe Monticelli (1824-1886 : peintre français auquel je voue une très grande admiration. L'œuvre de Monticelli surprend par sa grande diversité. Le personnage, très discret, est éclectique : il fut ami du peintre français Narcisse Virgilio Diaz, appelé aussi Díaz de la Peña (1807-1876), admira Rubens (1577-1640), Véronèse (1528-1588) et Watteau (1684-1721), fut lié à Cézanne (1839-1906). Monticelli était admiré par Van Gogh (1853-1890). On retrouve dans toutes ses peintures des affinités plus ou moins grandes avec ces artistes. Les tons de ses toiles sont très beaux, très chauds. Il s’en dégage une atmosphère pleine de tendresse et de poésie.

Jean-Marie Vianney, le curé d’Ars (1786-1859) : saint français, né dans une famille de cultivateurs originaires de Dardilly, dans la région lyonnaise.

En 1806, le curé d’Écully, M. Balley, ouvrit un petit séminaire où Jean-Marie fut envoyé. C’était un élève médiocre, surtout parce qu'il avait commencé à étudier très tard. Il éprouvait de grandes difficultés, et ses connaissances se limitaient à un peu d’arithmétique, un peu d’histoire et de géographie. L’étude du latin était pour lui un supplice bien qu’il fût aidé par son condisciple Mathias Loras, devenu le premier évêque de Dubuque (Iowa, Etats-Unis). Il fut ordonné prêtre en 1815 et envoyé comme vicaire de M. Balley, puis, après la mort de celui-ci, comme curé à Ars, village de la région lyonnaise qui comptait environ 200 habitants à l'époque.

En 1824, il ouvrit une école de filles dite "Maison de la Providence". Il fit de Catherine Lassagne, humble femme et sa fidèle servante, responsable de son école après l'avoir catéchisée. Il l'appelait "la plus belle fleur de mon jardin" car il avait perçu chez elle le don de comprendre l'amour de Dieu. Dès 1830 commença l’afflux des pèlerins à Ars. En1849, il fonda l'école des garçons, confiée aux Frères de la Sainte Famille de Belley.

Le curé d'Ars était déjà considéré comme un saint de son vivant tant il était dévoué à l'œuvre de Dieu. Il disposait de grâces étonnantes notamment comme confesseur. Sa charité était par ailleurs sans limite : il mangeait peu, passait des heures entières en adoration du Saint-Sacrement. Il dormait peu, surtout à la fin de sa vie, passant jusqu'à seize heures par jour à confesser et à redistribuer tout ce qu'on lui donnait, n'hésitant pas à se démunir encore pour subvenir aux besoins de plus pauvre que lui. Il mourut complètement épuisé.

Encorbellement (n.m.) : de en et corbeau, lui-même du latin corvus. Position d’une construction (balcon, corniche, tourelle) en saillie sur un mur, soutenu par des corbeaux, des consoles.

jeudi 11 septembre 2008

LES LETTRES PORTUGAISES

Les lettres portugaises

« Ah ! qu'elles me coûtent cher, et que j'aurais été heureuse,
si vous eussiez voulu souffrir que je vous eusse toujours aimé. »

Guilleragues,
Les lettres portugaises

I.

Oui, je tremperai mes paroles inflexibles
Dans l’air devenu soudain si doux !
Comme la vérité rend libre
Celui qui a le courage de penser à contre-courant !

La brise descendue du ciel nocturne
Enivre de sa suavité tout mon corps !

Tous ces visages diaphanes
A la symétrie apaisée,
Au bord de l’effacement !

II.

Tous les atomes dansent
Jubilent et se transforment
En bréviaires étoilés,
En eau transparente, en or, en orangers !...

Veulent-ils exprimer par leur mouvement
Les inépuisables,
Les innombrables facettes des êtres
En métamorphoses perpétuelles ?

Non, dans l’éternité des éternités
La mélodie du cœur
Ne cesse jamais.

III.

Chevalier, ne suis-je pas toujours
Le jardin printanier
Dans lequel ton regard désire se promener ?
L’eau calme des étangs
Où tes yeux ardents admirent les reflets du ciel ?

Ce silence plein de roses, palpitant,
Ample, translucide, lumineux !

Comme les mots qui se taisent
Sont éloquents !

III.

Je dois accomplir mon voyage en Dieu,
Garder intacte l’alliance,
Tenir debout mon âme
En quête muette de perfection !

Mon âme, demeure taciturne de mon Dieu,
Pays où vont et viennent
Les voies mystiques de la grâce !

IV.

N’ai-je pas voulu avoir un cœur inimitable,
Être la face radieuse du Seigneur en toutes choses,
Me revêtir de son Nom ?

Que ferais-je de ces quelques faveurs éphémères,
D’une nuit de murmures, des ruisseaux de soupirs furtifs,
Des feux follets dansant entre les tiges des herbes folles ?

V.

Eloignez-vous de cette fenêtre si vous m’aimez,
Epargnez le frêle verger de mes nerfs,
Le poids des ombres, la voix changeante des saisons,
Les syllabes grelottées de la passion,
Les lamentations de la chorale fatiguée des secondes !

Non, je ne serai jamais captive des mots !
Je suis acte, acte je resterai !

Adieu, chevalier, allez,
Suivez le sentier scintillant de la lune
Sur la surface des étangs !

L’enfer, c’est d’être
Séparée de Dieu !

Allez, il est tard !

Tout est derrière nous
Et nous n’avons plus le temps
Pour tourner nos faces
Vers le chagrin !

VI.

Je veux, le visage embué de lueur,
Garder purs les hauts desseins de mon cœur,
Mes lèvres enfiévrées par les fleurs limpides des prières,
Mes mains en suspension sur les textes ardues de l’humilité !

Je veux, comme les neuf hiérarchies d’anges,
Comme les vagues qui ne savent
Ni d’où elles viennent ni où elle vont,
Frémir en sentant courir dans mon sang
L’inexprimable fraîcheur de l’innocence !

Je veux remplir ma vie de vie,
Je veux ajouter de la lumière
A ma lumière !

Paris, ce mercredi 10 septembre, Anno Domini MMVIII


Glose :

Gabriel Joseph de Lavergne, comte de Guilleragues (1628-1685) : journaliste, diplomate et écrivain français.
Guilleragues était premier président de la cour des aides de Bordeaux, lorsqu’il s’attacha au prince de Conti. Après avoir successivement rempli les fonctions de secrétaire des commandements de ce prince, puis celles de secrétaire de la chambre et du cabinet du roi, il fut nommé, en 1677, ambassadeur à la cour ottomane. Cette charge lui fut donnée, pour refaire sa fortune qui avait décliné, à la prière de Françoise de Maintenon, qu’il avait connue du vivant de Scaron, son ancien mari, et dont il fut toujours l’admirateur passionné.
En 1669, Guilleragues publia les célèbres Lettres portugaises en les présentant comme la traduction de cinq lettres d’une religieuse portugaise à un officier français entrées en sa possession et dont l’« original portugais » s’était, disait-il, perdu. Leur description sincère et saisissante de la passion amoureuse et le fait qu’on les supposait authentiques créèrent, dès leur parution, une sensation dans le monde littéraire. Un nom d’officier circula vite dans les milieux mondains, celui du chevalier de Chamilly, qui s’était rendu au Portugal pour des raisons de service. Le nom de la nonne ne fut connu qu'au début du XIXe siècle : Mariana Alcoforada (1640-1723) qui vécut dans le sud du Portugal au monastère de Beja, où on montrait même la fenêtre où elle se serait entretenue avec l'officier français. Mais il fut définitivement établi vers 1950 que les lettres avaient bien été écrites par Guilleragues. Son esprit, sa politesse exquise et la délicatesse de son goût le faisaient rechercher de la cour et des meilleures sociétés. Le comte mourut à Constantinople.

mercredi 10 septembre 2008

LA NAISSANCE ANTIQUE

Ce poème, écrit en français, est l'oeuvre du poète américain Vito Quattrocchi.

LA NAISSANCE ANTIQUE

Non, ne brûlez pas mon corps,
Ne le réduisez pas en cendre
Selon les saintes coutumes de votre pays !
Enterrez-moi,
Enterrez-moi dans un lieu qui regarde le ciel,
Dans une clairière entourée d’arbres robustes !

Enveloppez ma dépouille mortuaire
Dans un linceul noir comme la nuit,
Mon corps et celui de mon enfant,
Qu’ensemble nous retournions au sein chaud de la terre
Comme un seul être, comme une seule âme !

Ne dédaignez pas le petit corps de mon fils,
Ce corps frêle que j’ai porté depuis sa naissance !
Qu’il retourne dans la glaise avec moi !
Comme moi, il appartient à la terre !
Comme moi, il est terre !

Rendez aussi mon nom à la poussière de ma patrie,
Mon nom, tel qu’il était
Dans la langue sonore de mon peuple !
Rendez-moi aux prairies de ma verte contrée,
Moi et le tendre fruit de mes entrailles !

Je viens du Rhin, je suis né dans ses forêts turquoise,
Oui, renvoyez moi et mon nom
Aux fleuve bleu et aux champs
Appartenant à la race germanique!

Accomplissez vos rites divins, ô Romains,
Mais ne brûlez pas mon corps
Selon l’habitude de vos ancêtres !

Permettez à mon corps
Et au corps de mon fils
De dormir à jamais
Dans la terre de ma patrie !

Vito Quattrocchi

LE GAULOIS MOURANT

Le grand poète américain Vito Quattrocchi a écrit ce beau poème en français. Il a eu la bonté de me le dédier. Qu'il en soit remercié.


A Athanase Vantchev de Thracy


Peux-tu parler encore la langue de nos ancêtres ?
Mon frère, je les entends toujours dans les marges du sommeil.
Je suis un homme nouveau.
Je suis le Gaulois qui va mourir
Réveillé par les cris des buveurs d'hydromel,
Les incantations des prêtresses,
Les pleurs des ennemis, l'odeur de chair brûlée.

Je suis le fils et l'héritier de Vercingétorix.
Je ne saurais dire qui est cet homme qui me hante,
Mais je sais tout de lui.
Tu me parles à travers les âges,
Ta voix me touche comme des doigts
Qui me caressent et puis s'évanouissent.


Vito Quattrocchi
Poète américain

mardi 9 septembre 2008

AKATALEPTON

AKATALEPTON
(’ακατάληπτον)

A Stephen

La fiévreuse clarté, la passion du temps,
Le jour dans l’eau des yeux perdus dans la rêverie,
Le vent vêtu de fleurs sur ton épaule qui plie
Sous le poids léger de ta beauté d’enfant !

Et tout est poésie d’une infinie ampleur,
La ligne parfaite du songe, la claire figure du cœur !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 9 septembre 2008

Glose :

Akatalepton (adj.) : du grec ancien ’ακατάληπτος, ος, ον, « chose incompréhensible ». C’est ce qu’on ne peut pas prendre, qu’on ne peut pas toucher, qu’on ne peut pas comprendre. Il s’agit de cette indéfinissable tendresse qui se saisit de l’être dressé en face de la Beauté.

My translation into English :

AKATALEPTON

for Stephen

The feverish brightness, the passion of the time
The day in the water of your eyes lost in the musing,
The wind dressed in flowers on your shoulder which bends
Over the light weight of your child's beauty!

And everything is poetry of an infinite ampleness,
The perfect line of the dream, the clear face of the heart!

Athanase Vantchev de Thracy

Note:

Akatalepton (adjectif) : from ancient Greek ’ακατάληπτος, ος, ον, word meaning ”an incomprehensible matter”. It is what we cannot take, cannot touch, cannot understand. It is this indefinable tenderness which seizes our being in front of the Beauty.

lundi 8 septembre 2008

MOIROLOGEMA (English)

Le poète américain Vito Quattrocchi a traduit en anglais le poème que je lui ai dédié. Qu'il en soit remercié!


MOIROLOGEMA
(Song of Destiny)

For Vito Quattrocchi

Who knows still that I was a stragegist,
Prince, emperor, who?

Now I lie without breath on the flagstones of the church
Surrounded by some poor hired mourners.

Oh Greek women,
Girded by turquoise belts,
Who knows still
That a silk thread of azure,
Separates the Good and the Evil, who?

Cry to me, Greek women,
Woman of my noble race,
You, forgiving peasants
With faces eroded by the tears!
You who carry in your untied hair
The maternal scents
Of native mountains!

You who can speak with wild grasses
And with flowers without names, with songbirds
And with bewitching serpents,
You who surround all of your love
Simple and pure as the morning!

That your sobs led me by the hand
To a land immemorial as time,
Eternal as the desire of gods!

You who are unaware of the subtle schisms,
Of Constantinople,
The sacred city of the Virgin,
Its plays complex with intrigue,

You who know nothing of fine tragedy
Of your emperor Romanos Diogenes,
Blinded and abandoned by his own,

You who never understood anything
Of the brutality with which
The basileus of Byzantium Nicephoros Botaniates
Was dethroned by Alexios Comnenos!...

Regard all as finished,
As if all is simple and well-ordered!

I will rest here,
In my land, my land, yes,
Forgotten by all,
Covered by insane weeds and brambles,
My name faded and carried by the winds
As a blade of grass.

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, this Sunday, September 7th, Year of Our Lord 2008

Translated into english by Vito Quattrocchi

dimanche 7 septembre 2008

MOIROLOGEMA

MOIROLOGEMA
(chant du destin)

A Vito Quatrocchi

Qui sait encore que jadis j’ai été stratège,
Prince, empereur, qui ?

A présent je gis sans souffle sur les dalles de l’église
Entouré par quelques pauvres pleureuses.

Ô femmes grecques,
Ceintes d’une ceinture turquoise,
Qui sait encore
Qu’un fil de soie d’azur,
Sépare le Bien et le Mal, qui ?

Pleurez-moi, femmes grecques,
Femme de ma noble race,
Vous, paysannes miséricordieuses
Aux visages érodés par les larmes !
Vous qui portez dans vos cheveux dénoués
Les senteurs maternelles
Des montagnes natales !

Vous qui savez parler aux herbes sauvages
Et aux fleurs sans noms, aux oiseaux chanteurs
Et aux serpents envoûteurs,
Vous qui entourez tout de votre amour
Simple et pur comme le matin!

Que vos sanglots me conduisent par la main
A la terre immémoriale comme le temps,
Eternelle comme le désir de dieux !

Vous qui ignorez les schismes subtils,
De Constantinople,
Cité sainte de la Vierge,
Ses jeux compliqués de l’intrigue,

Vous qui ne savez rien de la fin tragique
De votre empereur Romain Diogène,
Aveuglé et abandonné par les siens,

Vous qui n’avez jamais rien entendu
De la brutalité avec laquelle
Le basileus de Byzance Nicéphore Botaniate
Fut détrôné par Alexis Comnène !...

Regardez comme tout se termine,
Comme tout est simple et bien ordonné !

Je reposerai ici,
Dans ma terre, ma terre, oui,
Oublié par tous,
Recouvert d’herbes folles et de ronces,
Mon nom effacé et emporté par les vents
Comme une brindille de graminée.

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, ce dimanche 7 septembre, Anno Domini MMVIII

Glose :

Moirologema (n.f.) : mot grec dont la forme moderne est mirolóyi, de moira, « destin ». Des thrènes ou chants tristes improvisés par les femmes en deuil autour d’un mort. Mirologie (n.f.) : chants funèbres traditionnels exécutés par les femmes, restées seules dans l’église après la célébration de la Crucifixion le Jeudi Saint.

Romain Diogène (1032-1072) : empereur byzantin sous le nom de Romain IV. À la mort de Constantin X, en 1067, sa femme Eudoxie devint impératrice. Elle épousa peu de temps après Romain Diogène, né en 1032, qui fut couronné empereur sous le nom de Romain IV le 1er janvier 1068. Sous son règne, les Normands s'installèrent en Sicile et dans la région de Naples, finissant par en chasser les Byzantins en 1071. Romain dut mener de nombreuses campagnes dans l'est de l'Empire à cause de la présence des Turcs Seldjukides qui finirent par le vaincre lors de la bataille de Manzikert ou Malazgerd, près du lac de Van en Arménie, le 19 août 1071. Capturé par leur chef Alp Arslan, il fut traité avec tous les honneurs dus à son rang et libéré. Pendant son absence, le trône fut occupé par Michel VII Doukas (empereur de 1071 à 1078), qui fit exiler sa femme Eudoxie et fit crever les yeux de son prédécesseur. Romain IV mourut l'année suivante.

Histoire :

Sous le commandement de Toghrul-beg ou Toğrül-beg (vers 990-1063, les Turcs de la tribu des Seldjoukides, devenus musulmans, prirent le pouvoir à Bagdad en 1055. Puis, Alp Arslan (1065-1072), neveu et successeur de Toghrul-beg, s'empara en 1064 de l'Arménie chrétienne, aux frontières de l'empire byzantin...

L'empereur Romain IV Diogène, prenant tardivement conscience du danger, se porta à sa rencontre avec plus de cent mille hommes, essentiellement des mercenaires, dont beaucoup d'aventuriers normands. Le sultan turc n'avait que 50.000 hommes à lui opposer. L'affrontement eut lieu au pied de la forteresse de Malazgerd.
Trahi par ses mercenaires turcs et certains de ses lieutenants, notamment le Normand Roussel de Bailleul, le basileus Romain Diogène fut défait et même capturé.

Nicéphore III Botaniate (1078-1081) : une nouvelle révolution donna la couronne à Nicéphore Botaniate (1078-1081). Durant les courts règnes de Romain IV, Michel VII Doukas et Nicéphore Botaniate l’anarchie ne fit que s’accroître et la crise, extérieure et intérieure, dont souffrait l’empire, ne fit que s’aggraver. Alexis Ier Comnène (1081-1118) renversa Nicéphore, en 1081.

jeudi 4 septembre 2008

If You Are Alone

Mon ami, le poète américain Vito Quattrocchi, a traduit mon poème "Si tu es seul" en anglais. Qu'il en soit remercié.


If You Are Alone

To Max de Carvalho

"Extinct, the lamp
Speak still about light"

Flor Campino
Perle de Verre


If you are alone, very alone,
Remain so a long time,
Remain so always!

My friend,
The best companion
That is given you,
Isn't this yourself?

If you are alone, very alone,
Close your eyes
And breathe the perfume
Of your soul!

If you are alone,
More and more alone,
Support your heart,
Against the heart
Of your solitude
And smile!

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, this Thursday, September 4th,
Anno Domini MMVIII

I dedicate this poem to the great poet and friend
Max de Carvalho

Translated into English by the American poet Vito Quattrocchi

SI TU ES SEUL

A Max de Carvalho

« Extinta, a lâmpada
Fala ainda de luz. »

(« Eteinte, la lampe
Parle encore de lumière »)

Flor Campino,
Perle de verre

Si tu es seul, très seul,
Reste-le longtemps,
Reste-le toujours !

Ami,
La meilleure compagnie
Qu’il te soit donnée
N’est-ce pas toi-même ?

Si tu es seul, très seul,
Ferme les yeux
Et respire le parfum
De ton âme !

Si tu es seul,
De plus en plus seul,
Appuie ton cœur
Contre le cœur
De ta solitude
Et souris !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, ce jeudi 4 septembre, Anno Domini MMVIII

Je dédie ce poème au grand poète et ami Max de Carvalho.

Glose :

Flor Campino (née en 1934, à Tomar, au Portugal) : peintre et poète portugaise. Elle fit ses études à l’École des Beaux-Arts de Porto. Flor Campino fut longtemps résidente en France. Epouse d’un des plus grands poètes portugais, Fernando Echevarría, elle partage actuellement son temps entre Paris et Porto. En 2000, elle publie son recueil de poèmes “A aresta das folhas” (L’arête des feuilles) ; en 2006, O Crivo dos dedos (Le crible des doigts) ; en 2008, Pérolas de vidro (Perles de verre), traduit en français par la poète et publié en bilingue par les éditions Afrontamento (Porto).

mardi 2 septembre 2008

SPLENDEUR

(λαμπρότης)

A JonMark DeSys

« λαμπρότητες τοϋ λόγου »
(« les mots brillants »)

Strabon d’Apamée

Dormez, mon bel Ami, ainsi Endymion
Dormait sous les baisers splendides de Séléné ;
Sur son sommeil limpide, la douce éternité
Faisait mourir d’extase le coeur des papillons !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 2 septembre 2008

JonMark DeSys est l’un des plus beaux et brillants jeunes acteurs américains. J’ai le privilège de le compter parmi mes amis. Il parle admirablement bien le français.

Glose :

Endymion et Séléné : dans la mythologie grecque, Endymion (en grec ancien Ἐνδυμίων / Endymíôn) est un roi d'Elide (ou un simple berger selon d'autres versions), amant de Séléné, (en grec ancien Σελήνη / Selếnê), fille des Titans Hypérion et Théia, sœur d'Hélios (le Soleil) et d'Eos (l'Aurore), déesse de la lune ou d’Artémis, avec laquelle Séléné est souvent confondue à partir du Ve siècle av. J.-C.

Il est le fils d'Ethlios, premier souverain d'Elide et de Calyce. D'autres versions en font un fils de Zeus. Il a trois fils : Etolos, Péon et Epéios. Il choisit son héritier parmi ces trois en les soumettant à une course à pied qu'Épéios remporte. Il passe aussi pour être le père de Narcisse.

Selon certaines traditions, Séléné obtint pour lui qu'il conserve sa beauté dans un sommeil éternel au fond d’une grotte du mont Latmos en Carie.

Strabon d’Apamée (58 av. J.-C. – entre 21 et 25 ap. J.-C.) : géographe grec. Si ses Mémoires historiques sont perdus, sa Géographie fut en grande partie conservée. Peu connue à son époque, ignorée au Moyen Âge, elle fut rééditée à la Renaissance. Strabon y pose les problèmes de l’origine des peuples, de leurs migrations, de la fondation des empires.

VISION EXTATIQUE

A Kevin


La solennelle Nubie sous le soleil de feu,
Toi, jeune pharaon vêtu de lin vierge,
Les clapotis des eaux venaient verdir les berges
Et rendre plus splendide l’éclat de tes cheveux !

Fondant d’émotion, je retenais ta main
Contre mon cœur blessé de songes aériens !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 2 septembre 2008

Glose :

Nubie (n.f.) : la Nubie est aujourd'hui une région du nord du Soudan et de l'extrémité sud de l’Egypte, longeant le Nil. Dans l'antiquité, la Nubie était un royaume indépendant.
Les habitants de la Nubie parlaient des dialectes apparentés au groupe linguistique dit chamito-sémitique, plus connu aujourd'hui sous l'appellation coushitique.

Le birgid, un dialecte particulier, était parlé jusqu'au début des années 1970 au nord du Nyala au Soudan, dans le Darfur. L'ancien nubien était utilisé dans la plupart des textes religieux entre le VIIIe et le IXe siècle.