vendredi 31 octobre 2008

CES HEURES DOUCES COMME DES FRUITS

CES HEURES DOUCES COMME DES FRUITS
(rondeau)

A Marie-France

« Там была страна детства »

(« C’était le pays de notre enfance »)

Oleg Liagatchev

Mets ta tête nue sur l’âme de l’été,
Les allées violettes sont pleines de soleil,
Le temps a le goût de grains de groseilles,
Mets ta tête nue sur l’âme de l’été.

Les allées violettes sont pleines de soleil,
Deux jeunes écureuils font rire les branches,
Ta robe écarlate frissonne sur tes hanches,
Les allées violettes sont pleines de soleil.

Le temps a le goût de grains de groseilles,
L’hermine des pélouses est triste comme un vers
De Blake ou de Keats et chaude comme la mer,
Le temps a le goût de grains de groseille.

Deux jeunes écureuils font rire les branches,
Dis, dis-moi, soeur, m’aimes-tu encor ?
Une tendre mésange répand son chant d’or,
Deux jeunes écureuils font rire les branches.

Envoi

Pour autant, mon Prince, qu’il m’en souvienne,
Tu vivais en Ecosse, pays des lys blancs,
Un peu de ta peine coule dans mon sang,
Pour autant, mon Prince, qu’il m’en souvienne !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 30 octobre 2008

Glose :

Oleg Liagatchev ( né en 1939 à Léningrad, URSS) : peintre, poète, essayiste, romancier et critique d’art russe.

Groseille (n.f.) : du francique °krusil. Fruit du groseillier. Groseilles rouges. Groseilles blanches. Petites baies en grappes, de saveur acide. Egrapper, égrener des groseilles. Groseille à maquereau : grosse baie solitaire, verte, jaune ou rouge, employée dans une sauce accompagnant les maquereaux. Groseille noire : cassis. Couleur (adj. Invariable) : Des gants groseille.

William Blake (1757-1827) : peintre et poète pré-romantique britannique. Bien que considéré comme peintre, il n'a en fait guère peint de tableaux à l'huile, préférant l’aquarelle, , le dessin, la gravure, la lithographie et surtout la poésie. Il est l'auteur d'une œuvre inspirée de visions bibliques à caractère prophétique. Son style halluciné est très moderne et à part parmi ses pairs bien que ses thèmes soient très classiques.

John Keats (1795-1821) : un des plus grands poètes anglais. Issu d'un milieu modeste, il perdit son père à l'âge de 10 ans. Il étudia très tôt la littérature antique et contemporaine. Peu après la mort de sa mère (1810), il commença un apprentissage auprès d'un chirurgien. En 1814, il délaissa les études chirurgicales pour se tourner vers la vie littéraire. Il rencontra alors très rapidement des artistes renommés de son temps tels que Leigh Hunt, Percy B. Shelley, Benjamin Robert Haydon. Leight Hunt l'aida d'ailleurs à publier, en 1816, son premier poème, Lines in Imitation of Spencer, dans un magazine.

En 1817, il fit publier un premier recueil, intitulé Poems, qui ne parvint pas à toucher le public. Délaissé par son frère George, parti s'installer aux Amériques, il tenta d'aider son frère Tom à sortir du piège de l'alcool. Ce dernier finit cependant par mourir en 1818. Ce fut durant cette période que Keats travailla à sa première grande œuvre, Endymion, qui parut en 1818. Ce fut également durant cette période qu'il ressentit les premiers signes de sa maladie, la tuberculose.

En 1820, il fit publier Hyperion. La même année parurent différentes ballades et odes, telles que Lamia, Isabella, Ode To A Nightingale, Ode On A Grecian Urn, Ode To Psyche.

Sa maladie commença alors à s'aggraver sérieusement et, sur le conseil de ses médecins, il quitta le Royaume-Uni pour l'Italie, accompagné de son dernier ami, Joseph Severn. Après avoir séjourné à Naples, il s'installe à Rome, où il rendit son dernier soupir. Il fit inscrire comme épitaphe « Here lies one whose name was written in water » (littéralement « Ici repose celui dont le nom était écrit dans l'eau »). Il était fiancé à Fanny Brawne, restée au pays.

mercredi 29 octobre 2008

BULGARIE

BULGARIE

« Vel dic, quid referat intrà
Naturae fines viventis, jugera centum, an
Mille aret »

(« Or, dites-moi, je vous prie qu’importe à l’homme,
Dont la Nature a borné les besoins, d’avoir cent arpens de terre,
Ou d’en avoir mille ? »)

Horace


Ô mon pays de cyclamens blancs,
Ö mon pays de lilas roses,
Mon pays de sereine innocence !

Ruche heureuse des saisons de miel,
Rose quiétude des vallées, ruisseaux turquins,
Collines baies, cachemire des champs,
Cantilènes des vieilles montagnes porracées,
Que t’est-il arrivé, ô mon pays ?

D’où sont descendus ces loups féroces
Dans la calme, dans la maternelle chaleur de tes bergeries ?
D’où ont surgi ces meutes forcenées de chacals
Plus barbares et plus sanguinaires que les satrapes
Dont parle, en tremblant de dégoût, l’histoire,
Pour lacérer la fécondité de tes fleuves,
Pour arracher tes bois séculaires,
Pour remplir de sang les sources translucides
De tes entrailles ?

Ô Seigneur, mon Ami,
Maître de la divine charité,
J’ai vu, j’ai vu, Seigneur,
J’ai vu
Des hommes placides s’endormir désespérés
Dans des lits de fer
Rouillés de larmes !

J’ai vu, oui, j’ai vu, Seigneur, mon Ami,
Des femmes assommées, courbaturées,
Fouettées par la fatigue,
Tisser de leurs doigts
Noircis par l’affliction,
De leurs mains devenues cendres,
De leurs doigts durcis par les morsures du chagrin,
Des pitoyables linceuls
Pour leurs enfants bestialement assassinés
Et jetés face à la poussière ocre
Des routes recouvertes de ronces !

Oui, j’ai vu, ô frères aimés de mon cœur,
J’ai vu
Des enfants creuser de leurs ongles bleuis,
De leurs dents saignantes,
De leur brune salive salée
La terre méprisée, la terre inculte,
Le tchernozem abandonné depuis des années
Pour y enfouir en cachette leur pères suicidés.

Ô maisons ruinées, chambres vides à jamais,
Tables sinistrement tristes,
Assiettes quittées à la hâte,
Couteaux ébréchés par le crime !

J’ai vu, ô femmes bulgares, mes sœurs crucifiées,
J’ai vu avec aversion, j’ai vu avec épouvante,
Le cœur hachuré,
Toute cette infamie abominable

Et mes yeux sont morts de pitié
Avec les caravanes funéraires de la nuit !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 29 octobre 2008

J’ai dit ailleurs ce que le néocapitalisme sauvage, le néolibéralisme américain a fait comme ravage dans mon pays. Avec la bénédiction d’une série de sinistres ambassadeurs à l’âme de herse, obscures et sanguinaires laquais de maîtres sans foi ni loi, parachutés comme des hyènes par Washington pour semer le chaos et détruire tout ce que le communisme avait laissé comme prospérité, des meutes exécrables de bandits se sont saisis des biens des gens laborieux, plongeant le peuple tout entier dans une misère inouïe et dans le désespoir au visage de mort. Aussi, tant que je serai vivant, maudirai-je ces vils missionnaires de l’enfer et leurs seigneurs carnivores, monstres gluants dont l’humanité, si elle veut survivre, doit se débarrasser par le feu et le sang ! Comme Horace que je cite en exergue, je fustigerai le despotisme sanguinaire de l’argent.

Glose :

Horace – Quintus Horatius Flaccus (65 av. J.-C. – 8 av. J.-C.) :
Romain, un des plus illustres poètes de tous les temps. Horace était fils d'affranchi. Son père exerçait le métier de coactor, c'est-à-dire caissier des ventes aux enchères. Ce père modèle, qui avait des ambitions pour son fils, allait même jusqu’à s’installer à Rome afin de lui assurer la meilleure éducation possible. Vers dix-huit ans, il l’envoya à Athènes, tel un fils de haute lignée, pour y couronner son cursus par l’étude du grec et de la philosophie.

Après l'assassinat de Jules César en 44 av. J.-C., Horace s’enrôla dans l'armée des Libérateurs, et se fit si bien remarquer de Brutus que celui-ci lui confia le commandement d’une légion (il avait vingt et un ans). Lors de la première bataille de Philippes, les troupes de Brutus s’emparèrent du camp d’Octave (le futur empereur Auguste), lequel échappa de peu à la capture. Mais lors du second combat, Octave et Marc Antoine furent vainqueurs. Quand une amnistie fut déclarée pour les vaincus, Horace retourna en Italie où il apprit la mort de son père et la confiscation de ses propriétés. Réduit à la pauvreté, il trouva une place de scribe auprès d'un questeur, ce qui ne voulait pas dire qu’il avait renoncé à la lutte contre l’autocratie. Seulement, selon ses propres termes Hic stilus ueluti ensis, il troqua le glaive pour le calame, et se lança, d’abord sous forme d’épodes et de satires, dans une poésie de combat dont les violentes attaques anti-octaviennes furent savamment voilées sous une surface politiquement correcte.

Il se lia très tôt d’amitié avec Virgile qui le présenta à Mécène, confident d’Octave, protecteur des arts et des lettres, poète à ses heures et, s’il faut en croire Vipsanius Agrippa, adepte d’une sorte de « double écriture » (cacozelia latens) fondée sur une subtile dialectique entre le sens patent et le sens latent, permettant de tout dire en paraissant ne rien dire du tout. Mécène le prit sous sa protection, l'introduisit dans les cercles politiques et littéraires et lui offrit une propriété près de Tibur (aujourd'hui Tivoli) pour lui permettre de se ressourcer loin de l'agitation de la capitale. En 17 av. J.-C., sa réputation littéraire était si bien établie que ce fut à lui que revint l’honneur de composer le « Chant Séculaire » (Carmen Saeculare) qu’allaient interpréter solennellement, à l’occasion des Jeux séculaires, des chœurs mixtes d’enfants choisis parmi l’élite de la noblesse romaine.

Horace l’avait annoncé, sa mort allait suivre de très peu celle de son protecteur. Deux mois suffirent.

Les oeuvres d’Horace se regroupent en deux recueils, l'un de dix pièces et l'autre de huit (en hexamètres). Ce genre était typiquement romain, créé par Lucilius au deuxième siècle av. J.-C., et particulièrement propice à l’autoportrait : c’est sans doute là qu’Horace s’y dépeignit le mieux. Il s’agissait de « causeries » (sermones) où étaient de mise la liberté de ton et la polémique, qu’elle fût à propos de questions sociales, éthiques, littéraires, ou encore politiques. Mais ce qui était permis à Lucilius sous la République ne l’était évidemment plus à Horace sous un Régime despotique.

Epodes (publiées en 29 av. J.-C.)

Les Epodes sont au nombre de dix-sept, soit au total 625 vers, dont quatre probablement apocryphes (I, 5-6 et XVI, 15-16). Horace ne les appelait pas épodes, mais iambes, se plaçant ainsi tout droit dans la lignée de Catulle, ce qu’il se garda bien de proclamer tant Catulle était maudit de César et des césariens. Il préféra, c’était moins risqué, se revendiquer d’Archiloque, inventeur du genre en Grèce, et qui s’en était servi comme d’une arme redoutable contre ses ennemis, tant privés que publics. Le ton y était celui de l’invective ; le style était âpre et tendu ; le vinaigre italique se relèva çà et là d’un ail meurtrier ; l’érotisme le plus cru pouvait y côtoyer les accents les plus patriotiques. Comme leur nom l’indique (au moins en l’un de ses sens), les Epodes sont écrites en distiques (un vers long + un vers court) de type iambique ; la pièce 17, toute en sénaires iambiques, fait exception.

Odes (publiées en 22 av. J.-C.)

Ce sont quatre livres contenant 38, 20, 30 et 15 pièces respectivement, soit au total 3038 vers, dont six sans doute apocryphes (IV, 6, 21-24 et IV, 8, 15-16). Horace les comparait fièrement aux Pyramides d’Égypte, et c’est en effet le chef-d’œuvre absolu de la lyrique romaine. Ce monument réunit tous les superlatifs, combine toutes les merveilles. Exploit métrique d’abord, avec la mise en œuvre de quatre types de strophes différentes, six variétés de distiques, et trois espèces de vers employés seuls (kata stikhon). Miracle d’équilibre ensuite, dans une harmonieuse architecture qui se déploie selon des proportions numériques aussi complexes qu’impeccables. Prodige de circulation aussi, d’interconnexions, de réseaux, de correspondances, combinaisons et symétries diverses, dont l’ensemble constitue une immense et ultrasensible chambre de résonance. Quant à l’incroyable virtuosité verbale qui tire du choix et de la place de chaque mot le maximum d’énergie possible.

Mais là où Horace se surpassa, là où il mérita le mieux le « laurier delphique » (Odes, III, 30), c’est dans la maîtrise du contenu. En apparence, rien de plus hétéroclite que les Odes, où semblent interférer de manière aléatoire la sphère privée et la sphère publique, les amours et la politique, le monde grec et le monde latin, la mythologie la plus nuageuse et l’actualité la plus brûlante, l’épicurisme poussé jusqu’au sybaritisme, et un stoïcisme aiguisé jusqu’à l’ascétisme et à un renoncement presque monacal avant la lettre. Et pourtant, un chef d’orchestre maîtrise tous ces timbres et tous ces instruments d’une baguette souveraine. Souterraine aussi, car la partition de cette éblouissante symphonie, composée en l’honneur de la liberté humaine face à la tyrannie politique, ne se déchiffre qu’à condition d’accéder au niveau second de l’écriture, fondé principalement sur le contrôle secret de la situation d’énonciation.

Epîtres

Le premier recueil compte 20 pièces (soit 1006 vers, dont sept probablement apocryphes dans la première pièce), le second 2 seulement, mais très longues (270 et 216 vers). S’y ajoute « l'Épître aux Pisons », plus connue sous le nom d'« Art Poétiques » (476 vers). Elles sont écrites en hexamètres, comme les Satires, et, comme elles, ce sont des « causeries » d’allure assez libre. Mais les Epîtres étant fictivement des lettres, elles s’adressent à des personnes bien précises, et le ton y est moins vif, le style plus détendu. Sous cette rassurante surface, Horace poursuit avec persévérance son combat, un combat dont l’ampleur et les péripéties, ici comme dans les Odes, ne se révéleront qu’au lecteur attentif en premier ressort à la situation d’énonciation : il importe de tenir le plus grand compte non seulement du destinataire (ami ou ennemi ?), mais aussi du locuteur, qui n’est pas automatiquement l’auteur…

La première épître du second recueil s’adresse ainsi directement à Auguste : ou comment tirer la queue du lion sans se faire mordre. Florus est le destinataire de la seconde, où Horace a déposé comme son testament spirituel et la quintessence de sa sagesse.

Cyclame ou Cyclamen (n.m.) : du latin cyclamen, lui-même du grec kuklaminos / κυκλάμινος. Plante vivace à souche tubéreuse qui décore avec beaucoup de grâce nos maisons et jardins qui appartient à la famille des Primulacées, particulèrement répandue en Bulgarie et en Turquie.

Turquin (adj.m. et n.m.) : de l’italien turchino, « turc », « de Turquie », d’après le marbre bleu foncé de Maurétanie (auj. Maroc), faussement appelé « pays turc ». Il n'est usité que dans l’expression : Bleu turquin, bleu foncé, peu éclatant et tirant sur l'ardoise. En tant que substantif : Le turquin et les nuances plus hautes des bleus se peuvent encore aviver et augmenter.

Porracé, porracée ou poracé, e (adj.) : du latin porrum, « poireau ». De la couleur verte pâle du poireau.

mardi 28 octobre 2008

AHIDOUS (izli)

AHIDOUS

(izli)

A Ali Khadaoui

« Adday teqqimt ghef iselli, tras smaht aday tekkart »

(« Si tu t’assoies sur une pierre, demande-lui pardon en te levant »)

Sagesse amazighe


Tenez-vous droit, femmes amazighes, tiges ardentes, fleurs rayonnantes de l’aurore,
Levez vos yeux vers la coupole du ciel, hommes amazighes, faucons embrasés du midi, Aigles au vol sidéral, éperviers qui ignorent le poids de l’éther,
Chanteurs de l’éternité, musiciens du temps vêtu des rameaux rouges des néfliers!
Que le cœur surprenne ce que le regard embrumé ne voit pas !

Ô soir éclatant comme la pourpre, bourre lanice à la blancheur de perce-neige,
Pierres meulières des saisons, mains à la vigueur de vagues marines,
Mots pris de tremblements imperceptibles !

Poète amant du désert, nous nous tenons élancés,
Nous nous serrons l’un contre l’autre
Comme la branche du saule se serre contre la branche du saule,
Comme le douce paupière se serre contre la douce paupière,
Et les bouquets des regards enlacent les bouquets de regards.

Ô sourires, arbres lourds de fruits mûrs, vents verts et bleus
Qui appellent les ruisselantes voiles du soir, piété que nul péril ne peut altérer,
Qu’il est doux de devancer les ordres solennels du Destin !

Abandonnons le fardeau de nos cœurs au pied rapide de la nuit,
Pour que demain le lever du jour soit plus léger et plus clair,
Et donne une vie foisonnante à chaque feuille, à chaque brin, à chaque tige d’avoine !

Peupliers au faîte d’argent clair, veilleurs taciturnes de nos routes sinueuses,
Libre est le chant du cœur pur, d’or sonore est la gorge fidèle à la patrie !
Le soc du matin s’enfonce dans la chair limpide de la terre,
Ô larme qui sait retenir le jour dans sa chaleur !

Plus souples que l’herbe sous la fureur des tempêtes,
Plus fines que les lances des guerriers amazighes
Plus élégantes que la mélodie de la brise sont les tailles de nos filles !

Et que dire de leurs visages ? Les étoiles du Cancer jalousent leur beauté,
La lune voile de taffetas sa face de cuivre poli pour ne pas affronter leur splendeur.

Le jasmin fleurit à chaque fenêtre, des papillons jouent avec le tulle des corolles,
Le soleil vient s’abreuver de l’eau transparente des prunelles vierges des enfants,
Au crépuscule lune et soleil se donnent rendez-vous !


Nos femmes sont des puits profonds de dévotion, d’allègres ruisseaux de bonté,
Elles savent essuyer nos fatigues d’un baiser d’organsin,
Elles nous enlacent dans leurs bras radieux
Comme les berges ceignent de leur verdure l’eau franche des rivières!

De bronze brun sont les corps de nos garçons, d’airain robuste leurs muscles de feu,
Plus véloce que la gazelle effarouchée est leur course à travers le désert,
Plus résistants que le roc du Rif leurs bras et leurs jambes !
Ô membres durs et odorants comme du chêne,
Dans le creux de leur main mon cœur a fait son nid !

Nos cœurs sont ardents comme la braise, transparents comme l’eau du diamant !
Nous sommes fils du soleil, l’azur laboure nos visages,
La vérité a forgé de lumière nos artères et nos veines,
Féroces deviennent les amazighes, quand l’ennemi brutal touche à leur terre !

Ô jour, envahis mon poème, emplis tympans et pupilles de beauté,
Bruits légers, sourds ou bien sonnants, mots qui absorbent l’incendie du ciel
Verte fraîcheur du soir, mots à vivre, mots à mourir,
Tissez le tapis bariolé de ces vers,
Frappez de vos marteaux de saphir la mélodie de mon chant élogieux !

Chantons les dons prodigues de nos champs, exaltons en héros notre terre généreuse,
Nous qui adorons la rude sagesse de nos ancêtres, le dur labeur de nos parents,
Ô pays notre, tout ici est à nous, à nous, pays de toujours,
Pays dont les racines poussent dans notre sang, tu appartiens à nos âmes,
Comme l’enfant appartient à sa mère, et l’amande de lait à l’amandier !

Le ciel de mon pays éclate, crépite, brûle, mais il est plus doux à nos cœurs
Que les plus suaves, les plus voluptueux mots d’amour,
Plus bleu et plus natal à nos prunelles que le murmure végétal des rivières,
Que les paroles safranées des jeunes filles!
Il est plus qu’infini le ciel de notre terre, notre ciel tissé de bleuets et de jacinthes !

En juillet, nous naissons au jour, avec des mains blanches posées sur nos visages,
Nos yeux ont tracé des lignes que nulle trahison ne peut franchir !
Le jeune frère ébahi, tend un œillet blanc à l’amie de son frère aîné.
C’est avec l’odeur de lavande que nos maisons apprennent l’art d’accueillir notre retour !

Loyal est le cœur amazigh. Au sud tout est chaleur et parfum d’affection,
Au sud, la grive ne peut mourir de solitude derrière les feuilles des vignes !
Le temps lui-même ne peut s’arrêter de chanter !
Fidèle est la caresse amazighe !
Quand le silence se tait même les morts ne peuvent mourir !

Les montagnes de notre pays jouent à cache-cache avec les nuages,
Les étoiles descendent sur nos cimes pour vêtir leur corps scintillants de neige blanche,
Pour poser sur nos lèvres l’histoire immortelle de l’éternité !

Des grains de sable luisant, des pétales de pommier
Sont les dents de nos tendres aimées,
Ondoyante est leur grâce comme le parfum des blés mûrs,
Leurs sourires sont habillés par tous les fruits de l’automne,
Ô femmes qui savent parler en vérité et en transparence !

Comme les luxuriantes couronnes des arganiers
Sont leurs chevelures abondantes ! Boucles au parfum de violette,
Femmes assises au pied des hautes commanderies des étoiles,
Paupières de corail luisant, cils de surah qui battent
Comme les ailes soyeuses des mésanges, peau d’olivier,
Taille de palmiers a l’assaut des solstices d’été !

Sincère, entière, loyale, juste et simple est la vie amazighe,
Véridique comme la parole des anges,
Limpide et immaculée comme les sources inaltérées de l’Atlas,
Solidaire, aimante et fraternelle est la loi amazighe,
Liée à sa terre en temps de joie comme en temps de peine !

Nos ancêtres sont venus nous rendre visite,
De loin ils sont venus jusqu’à nous,
Ils ont quitté le pays du silence pour venir honorer notre fête,
Cette nuit ils dormiront dans nos maisons et sous nos tentes,
Joue contre joue, épaule contre épaule, tendresse contre tendresse !
Coude contre coude ils ont dansé avec nous aujourd’hui, nos ancêtres,
Ils nous ont apporté des nouvelles de l’empire du silence !

Couvrons de branches de seringua les têtes resplendissantes de nos enfants,
Que la Paix maternelle les porte dans ses bras,
Que nos dieux familiers veillent et accompagnent leurs années !

Beau est notre pays, superbes ses montagnes, splendides ses vallées,
Munificents ses champs fertiles !
Plus cher à nos bouches est le nom de notre pays,
Plus que tout l’or de la terre, que tous les trésors des sept mers !
Dansons ce soir autour des flammes du feu sacré,
Chaque fibre de nos corps palpitant de la vivante gloire de notre pays !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 23 octobre 2008

J’ai écrit ce poème après avoir lu le message de mon ami, le poète et l’érudit Ali Khadaoui. Il a fait entrer dans mon cœur un amour lumineux pour la vaste Tamazgha, la fille préférée des génies du ciel !

Glose :

Ahidous (n.m.) : danse traditionnelle pratiquée par les tribus amazighes (berbères) du Moyen Atlas, au Maroc, dans laquelle hommes et femmes, coude à coude, épaule contre épaule, forment des rondes, souples comme le vent et ondoyant comme les hautes avoines, accompagnées de chants qu’on appelle en tamazight (la langue berbère) izli, izlan.
L'ahidous est le divertissement préféré des Amazighs du Maroc central. Il est le moyen d'expression le plus complet et le plus vivant de leur cœur. On le danse dans les villages à l'occasion de toutes les fêtes, l'été, après les moissons, presque tous les soirs.
Les danseurs se mettent en cercle, en demi-cercle, ou sur deux rangs se faisant face, hommes seuls, femmes seules, ou hommes et femmes alternés, étroitement serrés, épaule contre épaule. La danse est rythmée par le tambourin rustique (bendir) et par le battement des mains. Les mouvements sont collectifs : c'est un piétinement ardent, un fléchissement fiévreux, un tremblement du corps exalté qui se propage, entrecoupé d'ondulations larges imitant le souffle du vent sur les blés, un balancement qui rappelle la grâce des jeunes rameaux printaniers. Les mains des femmes ondulent dans l’air suivant une chorégraphie exquise et touchante par sa pudeur. Cette danse est accomplie avec une telle aisance qu’on croirait que ces hommes et femmes ont le rythme dans le sang. Une légèreté aérienne plie les corps au rythme à cinq temps, une souplesse toute féline court dans chaque fibre, l’enthousiasme gagne chaque muscle, rend les mouvements amples, vivants, harmonieux. Les voix retentissent, tremblent un instant et s’envolent vers le ciel en cris de gratitude, en onomatopées d’extase. C’est la divine démence, la folie céleste des dieux venus danser avec les hommes. Tous semblent ravis de se retrouver ensemble, fiers d’appartenir à la même race, au même peuple qui occupe toute l’Afrique du Nord, de l’Atlantique à la mer Rouge.
Le voyageur est saisi par la gravité des gestes et croit assister à des mystères d’initiation venus de la nuit des temps. Les dieux et les ancêtres semblent prendre part à cette danse qui, à n’en point douter, a une profonde signification religieuse. Les Berbères vivent en compagnie de leurs dieux et de leurs ancêtres. Leurs âmes sont répandues partout, dans chaque parcelle de terre, dans chaque pierre, dans chaque grain de sable. Aussi sont-ils respectueux de la moindre créature qui peuple un pays qu’ils adorent et pour lequel ils sont prêts à sacrifier leur vie.

lundi 27 octobre 2008

AU TEMPS DES BLESSURES BLEUES

A Louis Calaferte

« Quoi que nous fassions, nous serons toujours pauvres !
Nous deux, on reste pauvres jusque dans nos sourires.
Jusque dans nos sourires. C'est ce que les
Pauvres savent faire le moins bien : sourire »

Louis Calaferte

Ô mon frère oublié, ô mon frère de destin,
Doux ami des prairies,
Compagnon des nobles castes des saisons,
Prince des somptueuses rhubarbes des jardins potagers,
Toi qui avait pour religion
Les floraisons printanières des cerisiers, pour vrai pays
L’empire secret des violettes
Et pour temple égyptien,
Les extatiques pyramides du Savoir !

Dis-moi, frère, toi qui vis à présent,
Après tant d’années, les yeux cerclés
De misère fauve et le corps recouvert de cicatrices mauves,
Dans l’opulent royaume des étoiles,
Dis-moi que faire des hiéroglyphes des heures,
Des idéogrammes aux pattes de colombes,
Des alphabets des sorbiers, des syllabaires de mon âme ?

Toi qui as tant aimé l’écriture onciale,
Les rondes et les pleines,
Toi dont les mains rugueuses,
Telles des grives musiciennes,
Captaient le suc ardent des mots purs,
Les émouvantes figures du plaisir,
Les signes algébriques du ciel,
Pour rendre plus fraîches
Les frondaisons suaves des platanes !

Apprends-moi de ta demeure céleste l’art de survivre,
La scansion des oraisons émeraude des bouleaux !
Enseigne-moi la grammaire flamboyante
Du chant de pivoines pourpres
Qui brûle mes paupières et mes lèvres !

Tes poèmes de hautes avoines fiévreuses,
Tes textes, tissage habile de blessures bleues
Et de colères écarlates du matin,
Qui mieux que moi pourrait les aimer !

Nous, deux amoureux vagabonds des lettres
Qui savons nous vêtir de la lumière de l’aube !
Nous, les orfèvres minutieux des fines syllabes d’azur
Qui palpitent dans l’air avec la grâce des alouettes estivales !

Lettres cadméennes d’Hérodote,
Signes phéniciens des guerres puniques !
Mors en or scythe, fibules ornées d’améthystes !
Complots verts et rouges des astrolabes !
Ô frère, tout ce vaste savoir
Que nous avons en héritage commun !

Nous qui écrivions sur nos cœurs écussonnés l’histoire des tribus
Avec du feu noir sur du feu blanc,
Nous qui savions que les paroles d’amour sont des cendres brûlantes,
Cendres qui s’enflamment dès que les dieux de la tendresse
Soufflent dessus !

Nous qui rangions avec nos frères cadets,
Dans des chambres pleines de neige bleue,
Les petits soldats de plomb
Qui ramenaient dans notre mémoire
Les gestes des royaumes disparus.

Nous qui pleurions sur Properce et Cynthia,
Les doigts lourds de leurs rêves impartageables,
En proie à des palpitations telluriques.

Nous qui adorions Alonso Sánchez Coello, le génie méprisé,
Et l’infante Catherine Micaela, fille du roi Philippe II !

Ô Poésie, messagère des âmes, quitte le royaume nocturne,
Précipite-toi sur le tapis fleuri des années,
Va, je te prie, va dire au ménestrel Calaferte
Que mon cœur a planté sur sa tombe
Le rosier blanc de ce poème amoureux !

Athanase Vantchev de Thracy

Rueil-Malmaison, ce dimanche 26 novembre, Anno Domini MMVIII

Glose :

Louis Calaferte (1928-1994) : poète et écrivain français, né à Turin, en Italie. Il émigra avec sa famille, dans la banlieue lyonnaise, au début des années 1930. Il y vécut une enfance marquée par la pauvreté et la xénophobie. La guerre puis la découverte de l'esclavage salarié en usine à l'âge de treize ans le marquèrent à jamais. Requiem des innocents (1952), son premier livre, et C'est la guerre (1993), publié quelques mois avant sa disparition, portent témoignage de ces années noires. « L'homme est une saloperie » : Louis Calaferte ne revint jamais sur ce jugement. La connaissance, alors même qu'il était encore au fond du gouffre, lui apparut comme la seule issue de secours possible. Les six volumes qui composent ses carnets intimes - Le Chemin de Sion (1980), L'Or et le plomb (1981), Lignes intérieures (1985), Le Spectateur immobile (1990), Le Miroir de Janus (1993), Rapports (1996) - attestent de cette quête obstinée du savoir qui ira de pair, bientôt, avec une recherche spirituelle. Louis Calaferte n'aura de cesse de célébrer l'individu pour mieux condamner la « massification », ce mal qui, selon lui, ronge les sociétés occidentales. C'est dans Droit de cité (1992), un pamphlet écrit au vitriol, qu'il exprimera le mieux et le plus clairement une pensée politique qui lui vaudra le qualificatif d’« anarchiste chrétien ».

Hérodote (484/482 – 425 av. J.-C.) : en grec Ἡρόδοτος / Hêródotos est un historien grec. Il a été surnommé « le père de l’histoire » par Cicéron. (Lois, I, 1), mais il aussi celui du reportage. Il est en outre considéré comme l’un des premiers explorateurs. C'est également le premier prosateur dont l'œuvre nous soit restée.

L'unique œuvre que nous connaissons d'Hérodote s'intitule L'Enquête, du grec Ἱστορίαι / Historíai, littéralement « recherches, explorations », de ἵστωρ, « celui qui sait, qui connaît ». C'est l'une des plus longues œuvres de l’Antiquité.

Properce (47 av. J.-C. – 16/15 av. J.-C.) et Cynthia : en latin Sextus Propertius, poète latin. Properce naquit dans une famille plébéienne, mais aisée.Son père, près d'accéder à la classe équestre, murut assez jeune, probablement vers 43 ou 42 av. J.-C. Au moment de la redistribution des terres aux vétérans, en 41 av. J.-C., les domaines de la famille de Properce furent confisqués. Cela ne l'empêcha pas de faire de solides études de droit à Rome, mais il renonça bien vite au barreau pour la poésie avec l'appui non négligeable de Mécène, près duquel il habitait sur l'Esquilin.

Il fréquenta les hommes de lettres de son temps, dont Ovide, et chantea sa passion pour Cynthia (Cynthie), apparentée, selon Apulée, à Hostia, petite-fille du poète Hostius ou, selon de récentes études, à Roscia, petite-fille de l'acteur Quintus Roscius Gallus. Elle fut, en tout cas, une jeune fille d'un milieu cultivé.

Il est l'auteur de quatre livres d'élégies dont il est raisonnable de penser que seul le premier a été publié de son vivant. Les trois autres sont posthumes.

Alonso Sánchez Coello (1531/32 – 1588) : un des plus grands génies de la peinture espagnole de tous les temps, élève de Raphaël (1483-1520) et d’Antonio Moro (1520-1676/78). Philippe II d’Espagne (1527-1598, roi de 1556 à sa mort) le nomma son peintre. Ses principaux ouvrages sont le Martyre de saint Sébastien et le portrait nommé Saint Ignace. Il a exécuté le magnifique portrait de l’infante Catherine Micaela (musée du Prado).

mercredi 22 octobre 2008

SUPPLIQUE

SUPPLIQUE

A Luc

« Mon cœur est une cire qui se liquéfie
Dans mes entrailles. »

Helder Moura Pereira

De toi, mon Seigneur,
Je ne veux que des nuits paisibles,
La fluide élégance de deux cœurs qui s’entrelacent,
Des silences couleur de gentianes bleues !

De toi, mon Maître céleste,
Je ne réclame que le violet profond des étreintes,
Le visage rayonnant du printemps,
Des instants beaux comme l’île de Rhodes
Qui flotte, rose écarlate,
Sur l’exquis balancement des eaux grecques !

De toi, Fils de la Miséricorde,
Je ne désire comme don que
Le souffle ardent d’une bouche innocente,
Le sang pur d’un jeune dieu
Au corps svelte et infiniment délectable
Qui bat dans mon sang.

De toi, mon Ami divin,
Je ne demande
Que la transparente plénitude
D’un poème !

Paris, le 23 octobre 2008

Glose :

Supplique (n.f.) : du latin supplicare, « supplier ». Demande par laquelle on sollicite une grâce, une faveur d’un supérieur. Synonyme : requête. Ici, ce supérieur est le Christ.

Luc : prénom, du latin lux, lucis, « la lumière ». Le saint patron des Luc est l’auteur du troisième Evangile, celui qui nous renseigne le plus sur l’enfance du Christ, la Vierge Marie, la vie quotidienne des disciples. Grec, médecin d’Antioche (Syrie), il fut converti par saint Paul, auquel il servit peut-être de secrétaire. Il est également auteur des Actes des apôtres qui raconte les premiers temps de l’évangélisation.

A l’étranger : Luca (Italie), Lucio (Espagne), Luke, Lucke, Lucky (Grande-Bretagne, Etats-Unis), Lucius (Allemagne). Dérivés : Lucas, Lukas.

Helder Moura Pereira (né en 1949) : poète portugais, un de mes préférés, chantre du quotidien, du presque rien, avec un style d’une extrême fluidité et une langue presque parlée. Traducteur, entre autres, de Borges, Hemingway et D.H. Lauwrence.

Rhodes : Ródos / Ρόδος est une île grecque, la plus grande île du Dodécanèse (les douze îles), entre la mer Egée et la Méditerranée. Elle est située au sud-est de la mer Egée, à 17,7 km de la Turquie, entre la Grèce et l’île de Chypre. La population est estimée à quelque 100 000 habitants. Rhodes est aussi le nom de la ville principale, peuplée de 50 000 à 60 000 habitants. Mythologie : Apollon est le premier à voir l'île sortir des eaux et la trouve si belle, qu'il décide de la prendre sous sa protection. Quelque temps après, Apollon obtient d'une nymphe locale trois enfants, trois garçons dont les noms sont Kamiros, Ialissos et Lindos, qui créent les trois premières cités de l’île. Les écrits anciens disent que la ville de Lindos a fourni 7 navires aux Achéens qui partaient pour la guerre de Troie.

Le colosse de Rhodes : statue d'Apollon Hélios, en bronze, dont la hauteur dépassait les trente mètres, œuvre du statuaire Chares, grec natif de Lindos, élève du fameux sculpteur et bronzier Lysippe de Sicyone (395-305 av. J.-C.). Selon la légende, il se serait suicidé après avoir réalisé qu'il avait commis une erreur de calcul lors de la construction du colosse, erreur qui fut ensuite corrigée par l'un de ses assistants.

Cette statue était le souvenir de la résistance victorieuse des Rhodiens au roi macédonien Démétrios Ier Poliorcète (305-304 av. J.-C.). Erigée sur l'île de Rhodes vers 292 av. J.-C., cette gigantesque effigie fut renversée en 226 av. J.-C. par un tremblement de terre. Cassée au niveau des genoux, elle s'effondra et tomba en morceaux. La statue brisée resta sur place jusqu'en 654 ap. J.-C. Il ne reste plus aujourd'hui la moindre trace du colosse. C'était la sixième des sept merveilles du monde antique.

mardi 21 octobre 2008

ORTHONYME

ORTHONYME

A ma cousine Eupraxie

« Je dis mes problèmes aux étoiles, à la lune, à la mer, à la terre »

Andich Chedid

« Mon cher Athanase,
Selon Pline l’Ancien,
Le savant Varron raconte
Que sur le mont Tagros
Les cavales sont fécondées par le vent. »

Qu’en dis-tu, mon cousin ? »

« Mon serein Eudoxe,
Varron dit vrai, digne enfant de ma race,
Le souffle du vent printanier
Ne fait-il pas fleurir les arbres,
Ne féconde-t-il pas
De ses adorables baisers leurs calices,
Ne remplit-il pas
De suaves fruits leur soyeuse transparence ? »

Ce sont ce genre de futiles petits billets attendrissants,
Ma chère Eupraxie, que j’échange
Avec notre jeune et ravissant cousin Eudoxe !

Mais pendant que j’écris ces lignes délectables,
Je pense sans cesse à toi !

Je vois le soir violet,
Vêtu de mots délicats
Comme des pétales d’anémones
Descendre
Sur l’imposante maison de nos grands-parents.

Ton visage qui attire, par sa blonde beauté,
Les mains caressantes de la nuit,
La douce fusion des couleurs,
Le geignement léger des peupliers,
Tes mains qui recueillent
Les dernières gouttes de la lumière
Du crépuscule.

Dans mon cœur, ma frêle cousine,
C’est toujours la Thrace,
Le Sud, l’excès de volupté,
Des poèmes d’eau et de feu, d’azur et d’obscurité !

C’est toujours la véranda verte
Et nos doigts aériens
Qui touchaient les syllabes sonores des étoiles !

Ah, Eupraxie,
Nous avons traversé ensemble
Les tempêtes de tant de livres !

Je vois le petit dé d’or à ton doigt de cristal
Broder, en écoutant la brise, l’histoire heureuse
De notre rustique enfance !

Nous sommes devenus, ma cousine,
Ce que nos voix ont laissé de nous-même
Sur les chemins émeraude de notre pays !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 19 octobre 2008

Glose :

Orthonyme (adj.) : mot forgé tardivement à partir du grec ortho / ’ορθό, « correct » et onoma / ’όνομα, nom ». Portant son propre nom : par exemple un personnage de roman ou de poème portant le nom de l'auteur de ce roman ou de ce poème.

Eupraxie : prénom, du grec ’ευπραξία, « bonheur », « succès ».

Andich Chedid (19 ans) : jeune poète amazighe (berbère) du Rif au Maroc dont les vers et les récits m’ont fait aimer ce coin paradisiaque du monde.

Pline l’Ancien (23 -79 ap. J.-C.) : en latin Caius Plinius Secundus est un célèbre écrivain et naturaliste romain, auteur d'une monumentale encyclopédie intitulée Histoire naturelle. Il mourut à Stabies, près de Pompéi, lors de l’éruption du Vésuve. Il adopta son neveu qui prit le nom de Gaius Plinius Caecilius Secundus (Pline le Jeune). L’Histoire naturelle, qui compte 37 volumes, est le seul ouvrage de Pline l'Ancien qui nous soit parvenu. Ce document a longtemps été la référence en matière de connaissances scientifiques et techniques. Pline a compilé le savoir de son époque sur des sujets aussi variés que les sciences naturelles, l’astronomie, l’anthropologie, la psychologie ou la métallurgie.

Varron (116-27 av. J.-C.) : en latin Marcus Terentius Varro, écrivain et savant romain de rang équestre. Dans un premier temps lieutenant dans les guerres civiles romaines et partisan de Pompée contre Jules César, en 49 av. J.-C., il parvint au rang de préteur. Ayant obtenu le pardon de César, il se rallia à lui et devint responsable de l'organisation des premières bibliothèques publiques de Rome. Après la mort de César, Octavien dut le racheter puisque Marc Antoine l'avait déclaré hors-la-loi. Il abandonna alors totalement la carrière militaire pour se consacrer au savoir et à l'écriture. Il est l'auteur de près de 600 volumes, mais seule une cinquantaine nous est parvenue :

Le De re rustica libri III : Économie rurale est un traité d'agriculture en trois volumes, dont nous avons conservé la totalité. Ce sont 3 livres adressés à sa femme Fundania : l'art du cultivateur, les troupeaux, l'économie rurale.
De lingua latina en 25 livres: La langue latine fut longtemps une référence pour les grammairiens latins et nous en avons conservé le quart.
Les Satires Ménippées : poèmes satiriques, dont seuls quelques fragments nous sont parvenus.
Les Epistulae (Lettres) et les Epistolicae quaestiones (Questions épistolaires) ne sont connues que fragmentairement.

Le mont Tagros (Zagros) : montagne en Iran

Eudoxe : prénom, du grec ’ευδόξος, « qui jouit d’une bonne réputation, renommé, célèbre, glorieux.

vendredi 17 octobre 2008

TROIS BOUTONS DE PIVOINES ET UNE VISION

Mon ami, le poète amazighe (berbère du Maroc) a traduit mon poème en tamazight (langue berbère). Je le remercie cordialement!


TROIS BOUTONS DE PIVOINES ET UNE VISION

A Robert Bly

*

De l’autre côté du mur chante une femme,
Mélodie de bonheur dans une ville déserte.

*
Un soudain éboulement dans le rythme du cœur,
Un oiseau qui s’élance de branche en branche
Comme une flèche étincelante,
Comme les mots d’un poème que l’on n’arrive pas
A ordonner.

*
Fragments lisibles sur le palimpseste de l’âme,
Dans leurs nids d’une superbe architecture –
Les hirondelles serrées l’une contre l’autre
Dans une extase amoureuse extrême.

Musique angélique de Monteverdi,
Aquarelles sublimes de Fausto Zonaro,
Tu fermes les yeux,
Un peu de lumière noire après la grande lumière,
Puis une lumière pure !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 2 juillet 2008

Glose :

Robert Bly (né en 1926) : poète américain d’origine norvégienne.

Palimpseste (n.m.) : du grec palimpsêstos. Parchemin manuscrit dont on a effacé la première écriture pour pouvoir écrire un nouveau texte.

Claudio Monteverdi (1567-1643) : Claudio Monteverdi est né en mai 1567 à Crémone, ville qui verra plus tard passer les plus grands luthiers. Il reçut dans sa ville natale l'enseignement du Maître de chapelle Antonio Ingegneri. Sa connaissance de la viole lui permit d'entrer en 1590 dans l'orchestre de Vincent de Gonzague, duc de Mantoue. En 1599, au cours d'un voyage dans les Flandres, Monteverdi fit connaissance avec la chanson française et composa dans ce style des Scherzi musicali dans lesquels il montra une étonnante sûreté d'écriture employant des harmonies audacieuses pour l'époque (accord de septième de dominante), et ménageant savamment des surprises dans les entrées des voix.En 1602, il fut appelé à diriger la chapelle du duc de Mantoue, et se consacra uniquement à la composition pour son protecteur auprès duquel il demeura jusqu'en 1613. Pendant cette période, Monteverdi ne s'enrichit pas pécuniairement (« Si j'ai eu en effet quelque chose, ce sont mille cinq cents vers à mettre en musique ») mais composa ces premiers chefs d'oeuvres : Orfeo (1607), Arianna (1608) dont il ne reste plus que le lamento et Il Ballo delle Ingrate (1608). Congédié alors, Monteverdi se retira dans sa ville natale.C'est alors que la riche République de Venise l'appela : devenu Maître de chapelle de Saint-Marc de Venise (1613), il obtint enfin une grande considération de ces employeurs et surtout du public le plus cultivé du monde de l'époque, les Vénitiens.Dans cette atmosphère favorable (que peu de grands compositeurs connaîtront), il composa des Madrigaux (6e, 7e et 8e livres) ; des Madrigali guerrieri e amorosi (1638), drames musicaux où figurent les deux éléments fondamentaux du drame musical, le récitatif et le chant soliste ; de la musique religieuse dont les Vespro della beata Vergine, une messe à quatre voix, etc. Il mourut à Venise en 1643.

Fausto Zonaro (1854-1929) : peintre italien. Issu d'une famille modeste, mais soutenu dans ses études artistiques par son père, il se révéla un élève brillant. Après une période comme peintre de paysages et de portraits, il se rendit à Constantinople. Il y arriva en 1891 après avoir débuté une carrière prometteuse mais peu rentable en Italie. Zonaro devint peintre officiel du sultan Abdulhamid II jusqu'à la chute de ce dernier en 1909. Il peignit dans la capitale ottomane des scènes pittoresques de marchés, de places publiques, de personnages dans leurs activités quotidiennes. C'est grâce à un tableau militaire qu'il fut remarqué par le sultan. Zonaro reçut une aide précieuse de son épouse Elisa, première femme photographe européenne qui captait des scènes que son mari reproduisait en peinture. Elisa avait même réussi à s'introduire dans les harems. Elle en rapporta des photographies de modèles qui servirent à Fausto. Il exposa à Constantinople, à Rome, à Florence, à Paris... Zonaro enseigna à l'Ecole des Beaux-Arts de Constantinople. Il dut quitter la Turquie avec sa femme en 1911 pour retourner en Italie. Il connut alors une troisième période picturale très riche, avec des portraits, des vues d'Italie et de la Côte d'Azur.




EN TAMAZIGHT (langue berbère = langue des Berbères du Maroc) :




KRADE TWDJIWIN N ILDJIGN D YAN USEKSW

*
Seg déart ugadir ar ttirir temghart
Turart n thli g tmazirt yuran(ur izdighn)

*
G yat tayt irgaga uzizy n wul,
Yan ugdéidé ittaylaln g ucttuhé s waydé
Zund yant tukté tasflallayt
Zund iwaliwn n yat tmdyazt s ur nghiy
Ad tnem.

*

Tiguriwin ittughran khf uhitéur n yiman
G isugtéaf nsent mi ihla lbni
Irudayn izdin yan taman n waydé
G yat tayri yajguln bahra ihérran
Irir n tanirin n Monteverdi,
Tadla n wunugh ihyyan n Fausto Zonaro,
Teqqnt aln,
Mihé n usid ungal déart usid axatar ,
S yan usid iséfan !

N’KOB, ass n 04 ktobr 2958.

Iga-as asughel s tmazight:
M’hamed Alilouch (Igider n Nqub)
Anir2007ali@yahoo.fr
www.alilouch.on.ma / www.alilouch.un.ma

CES MOTS QUI VOYAGENT EN MOI

Mon ami, le poète berbère M'hamed Alilouch, a traduit mon poème "Ces mots qui voyagent en moi" en tamazight (langue berbère). Qu'il en soit remercié!


CES MOTS QUI VOYAGENT EN MOI

A Tomas Tranströmer

« Dicite, semidei, sylvarum numin, Panes
Et si qua adventu es, nympha fugata meo… »

(« Dites-moi, Pans, gardiens des forêts,
Et vous, nymphes, enfuies soudain à mon approche… »

Jacopo Sannazaro


Ces mots
Qui voyagent en moi sans que nulle frayeur
Gêne la caressante fluidité des mouvements,
Et qu’une brise humide, tombée
De la fraîcheur des hauts arbres,
Peut assembler d’une main de fée
En musique apaisante.

C’est alors que, tremblant, saisi de vertige,
J’ose espérer, rêver, attendre plus
Qu’à aucun autre moment,
Un miracle lancé en avant de lui-même.

J’ose désirer, comme la sève obscure qui nourrit
Par sa verve l’éclosion des fleurs,
L’épanouissement discret
Des premières notes d’une mélodie chargée de beauté.

Ces mots, perméables à l’âme de chaque chose,
Qui voguent, tels des petites barques frêles
Emplies de lumière,
Sur la soyeuse surface du silence
En attente du souffle sacré d’un dieuéloquent.

Ils viennent, je le sais à présent,
De très loin, de l’illimité,
Et vont, sans se hâter,
Par d’imperceptibles, par de gracieuses avancées,
Vers l’illimité.

Ils traversent mon souffle,
Se jouent de mon émotion,
Frappent de leurs minuscules marteaux d’or
Blanc, rouge, jaune,
Ma poitrine haletante.

Ils bouleversent le frêle équilibre du sang,
Tintent contre le cristal de la mémoire agitée,
Tressent des cottes de maille invulnérables
Pour me protéger du sourire du néant.

Ces mots qui, comme les feuilles en automne,
S’éparpillent sur le sol inquiet
Et que, les doigts incandescents
D’un poète pur,
Messager des divinités bienveillantes,
Réussissent à rassembler, par brassées flamboyantes,
En strophes
Lourdes de promesses et de sens.

Mots qui, à la demande d’une âme innocente,
Peuvent éclairer de leurs hésitants lampions
La rude obscurité d’une très longue nuit.

Athanase Vantchev de Thracy
Paris, ce vendredi 13 juin, l’An de Grâce MMVIII
Glose :
Tomas Tranströmer (né en 1931) : poète suédois qui vit aujourd’hui sur une île en Suède, à l’écart du monde et des médias. Il est psychologue de profession. Tomas Tranströmer a rédigé une quinzaine de recueils en cinquante ans d’écriture. Il est considéré comme le poète contemporain suédois le plus renommé. Il a reçu de très nombreux prix et il est traduit en de très nombreuses langues.

Le poète a été victime en 1990 d’une attaque cérébrale qui le laissa en partie aphasique et hémiplégique. Il a néanmoins publié encore trois recueils depuis lors dont les 45 haïku de La Grande Énigme (Le Castor Astral, 2004). En France, le Castor Astral et Jacques Outin, son traducteur, s’attachent depuis de nombreuses années déjà à faire connaître son œuvre poétique qui est de toute première importance.

Jacopo Sannazaro (1456-1530) : poète italien de la Renaissance.


TAMAZIGHT (langue des Berbères du Maroc) :


IWALIWN DDEGH DIGI ITTAWIN IGHF

I Tomas Tranströmer

“Iniyiwat-I, Pans Imatarn n Taganin , d kennimti,
Tiàrrimin, Tidda d iruln s tsga nw…”

Jacopo Sannazaro

Iwaliwn ddegh
Iwaliwn ddegh digi ittawin ighf ur tlli tawda
Ar isnyumu urzzum tayri n imuddan
D yat tatéfi n iwri, tdér
S tihli n isekla ixatarn,
Tghi ad tmun s yan ufus n tamddunt
S lgha ifstan
** ** **
Aynnagh allig , da trgigi , aghnts tmlellay,
Ghigh ad nurzgh , ad wurggh, qqelgh uggar
Seg matta wakud yadén,
Yat Tartlli d izwarn awd ighf nnes
** ** **
Ghigh ad irigh , zund iwri illasn issiwghn
S uydda mi issen I werzzum n ildjign
Lferh d inkkern
S inyatn imzwura n lgha itkarn s thli.
** ** **
Iwaliwn ddegh , iddan s yiman n matta tghawsa,
Innejdan , zund ighrruba imzyan ihrcen
Itkarn s wasidd,
Afella n wudm aleggwagh n ifsti
Ar ttqqeln s wunfus iàzzan n kkuc ifran(isawrn)
** ** **
Da d tteddun , isinght dghi
Seg uàraq , ar tar
Ddun , ur nnemrarn
S tar isin , s thli ighudan
Ar tartyira.
** ** **
Da tbbin unfus inw,
Ar ttehdéarn s ifratn inw
Ar katn s iduddzn nsn imzyan n wurgh
Amllal, azeggwagh , awragh,
Idmarn inw ittedzan
** ** **
Ar tberramn anyuddu n idammen,
Ar sghuyyun I tmnida n tsktayt icqqan,
Ar zttéan timlsa ittarin
Ad i-arin I tatsa ur illin
** ** **
Iwaliwn a , zund ifrawn n tardrar,
Bdéan afella n wakal ikersn
Dda , s idéudan ihrcen
N yan umdyaz iséfan( ahurriy)
Amazan (arqqas) n tmssin n tayri
Ghint ad smunt, s irbitn irghan
S tgwuriwin
Izzayn s idéawaln(lqul) d lmàani.
** ** **
Iwaliwn nna, ran yiman issurfn,
Ghiyn ad ssiddin s isufa iglugln
Tillas illasn n yidé aghzzaf.


Traduit en Tamazight (langue des Berbères du Maroc) par
Iga-as asughel s tmazight:
M’hamed Alilouch (Igider n Nqub)
www.alilouch.on.ma / www.alilouch.un.ma

The Death of the Old Peasant

Mon ami, l'éminent poète britannique Norton Hodges a traduit en anglais mon poème "La Mort du vieux paysan".

The Death of the Old Peasant

To all who labour for our nourishment

'...Every part of the house
had already fallen into a doze'

Manuel Gusmão

You were ploughing the field
in the cheerful company of jackdaws,
covered in salty streams of sweat,
your movements more harmonious,
more eloquent even than any of Homer's
most beautiful verses!

Sometimes you sang,
knowing that is the shortest route to love.

The discreet beauty of your soul
knew no bounds!

Suddenly, the sky began to spin
and you fell down into a furrow,
your face radiant,
close to the smiling face of the earth!
Your earth!

Finally you had come to the place all things come to at their end!

Now the gentle air casts on you
the damask taffeta of its breath.

Watermelons cover your body
with their sensual red shroud!

Tonight your words will sparkle
on the dress of a sky violet as bellflowers!

Tomorrow, white poppies
will pour pure brightness
onto
your forgotten tomb!

Note: This was how our neighbour Marin, an honest and decent Bulgarian peasant, died one August day, alone with the earth, the sky and the watermelons he used to grow. He had already lost his wife and his only son and lived alone in his small house in the midst of a luxurious garden.

He had a tender affection for me and I often went over to admire the beauty of the flowers, which he called 'my girls' and which he wouldn't permit anyone but himself to pick.

Sometimes at night in Paris, I see again his lined face etched by the sun. He comes to me in dreams and says, as if he were still alive, 'Child, would you like to taste one of my watermelons?'

Today, no one remembers this delightful man. His house is now a ruin. His garden only flourishes in my memory. One summer I went back to the field where he died. Grass and brambles had grown wild and invaded the land he loved so much. I was overcome by a feeling of sadness and poignancy and I shed a few tears. Lord, is Marin now ploughing the gardens of Paradise?


translated from the French of Athanase Vantchev de Thracy by Norton Hodges

mercredi 15 octobre 2008

LA MORT DU VIEUX PAYSAN

LA MORT DU VIEUX PAYSAN

A tous ceux qui nous nourrissent

« « …Dans toutes ses branches
La maison s’était déjà assoupie »

Manuel Gusmão

Tu labourais le champ
En la joyeuse compagnie des choucas,
Couvert de ruisseaux salés de sueur,
Et tes mouvements harmonieux
Etaient plus éloquents
Que les plus belles strophes d’Homère !

Tu chantais parfois,
Allant par la voie la plus courte à l’amour.
Aussi n’avait-elle point de bord
La discrète beauté de ton âme !

Soudain, le ciel tourne et tu tombes
Dans le sillon, radieux,
Ta face sur la face souriante de la terre !
De ta terre !

Enfin, tu es là où finit toute chose !

L’air doux jette sur toi
Le taffetas damassé de son souffle.

Les pastèques recouvrent ton corps
Du rouge linceul de leur volupté !

Cette nuit,
Tes paroles scintilleront
Sur sa robe
De campanules violettes !

Demain, quelques coquelicots blancs
Déverseront leur pur éclat
Sur
Ta tombe anonyme !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 15 octobre 2008

C’est ainsi que mourut notre voisin Marin, ce brave paysan bulgare, un jour du mois d’août, seul avec la terre, le ciel et ses pastèques. Il avait perdu sa femme et son fils unique et vivait isolé dans sa petite maison entourée d’un jardin luxuriant. Il m’aimait d’un amour tendre. J’allais souvent admirer la beauté de ses fleurs qu’il appelait « mes filles ». Il ne permettait à personne de les cueillir.

Parfois, la nuit, à Paris, je vois son visage buriné par le soleil. Il vient à moi dans mes rêves et me dit, comme quand il était vivant : « Petit, veux-tu goûter à mes pastèques ? » Aujourd’hui, personne ne se rappelle de cet être délicieux. Sa maison est tombée en ruine. Son jardin ne vit que dans ma mémoire. Je suis retourné un été dans le champ où il était mort. Des herbes folles et des ronces avaient envahi cette terre qu’il aimait tant. Frappé par une tristesse poignante, j’ai versé quelques larmes ! Seigneur, laboure-t-il à présent les jardins du paradis ?

Glose :

Manuel Gusmão (né en 1945) : critique, professeur des Universités, directeur de revue, poète portugais. Il se mit à écrire tardivement des poèmes, mais en quelques recueils, il s’est affirmé comme une des voix les plus originales de la poésie portugaise de ces dernières années.

lundi 13 octobre 2008

INSIMULABLE CLARTE

INSIMULABLE CLARTE

A Stoyan Bakardjiev

« Amor é uma luz que não deixa escurecer a vida »

(« L’amour est une lumière qui ne permet pas à la vie de sombrer »)

Camilo Castelo Branco

I.

Tu ne contemples plus la ville limpide,
Les cerceaux lumineux des hirondelles
Dont les nids d’une élégance sereinement attique,
Servent d’ornements somptueux
Aux ocres murs de ta toute modeste maison.

Tu n’entends plus la musique des platanes
Aux feuilles si tendres qu’elles laissent transparaître
Les épiphanies des printemps,
Ni sens les immaculées, les incorruptibles vibrations
De l’émotion et de l’antique mémoire
De l’éternel ciel thrace.

Tes bras vigoureux à la piété filiale incomparable,
Ne portent plus, tel un vase sacré de cristal pleine de myrrhe,
Serré contre ton souffle,
Le corps à jamais transi de ta très vieille mère !

II.

Il est bien loin le temps où, enfant,
Tu jouais au ballon avec l’insouciance d’une mésange
Dans cette rue embellie
Par les mains rêveuses des paveurs !

Toi, Ami aimé,
Ami de mon âme, que je vois penché,
Au milieu de la nuit,
Sur le livre volumineux
Que les Anges de la transparence
T’avaient prié de traduire en bulgare.

III.

Ah, mon Ami, il est si triste de savoir
Que ta chaude voix où on entendait couler
La douloureuse anxiété des nuits,
N’habite plus la maison,
Que les lilas que tu aimais tant,
Que tu avais plantés en chantant
Sont toujours là
A attendre la délicate mélodie de tes pas !

Toi, vivant au fond même du cœur de la mort !

IV.

Le soir tombe dans l’âme
Avec la douceur vertigineuse de l’été diaphane !

Ainsi descend des cimes la neige,
Devenue fleuve sous la tendresse de la brise,
Vers les étreintes vibrantes des vagues de la mer !

V.

Une femme vêtue de noir, seule, à genoux,
Prie à l’intention de tous les siens endormis dans la paix,
Devant l’icône de la Sainte Mère de notre Dieu et Seigneur
Dans la petite chapelle où règne déjà
La prudence de l’air nocturne.
Mes mains tâche de saisir la chaleur safranée
De ses mots, serrant fort le cierge
Dont les gouttes de cire brûlent la peau.

V.

Quelque part une jeune voix se lève
Et appelle le chœur des étoiles.

Je sors, je marche le corps empli de larmes,
La nuit vient de naître sur mon visage !

Je sais, c’est le dernier tournant de ma vie !
Je sanglote ton nom
Devenu enfin toi-même !

J’embrasse ton visage ouvert à mon affection
Comme une saison immortelle !

Paris, le 13 octobre 2008

Stoyan Bakardjiev était le plus brillant traducteur bulgare. Il avait consacré toute sa vie à la traduction des plus grands poètes du monde. Mon ami, le poète Radko Radkov et moi lui rendions de temps en temps des visites à Pazardjik, ville magique au coeur de la Thrace située à quelque quarante kilomètres de Plovdiv. Pendant des années, cet être merveilleux, cet immense érudit, soigna avec une incroyable tendresse filiale sa vieille mère paralysée. Nos rencontres étaient des fêtes de l’âme. La dernière fois que je l’ai vu, il m’a dit, souriant, calme, serein : « Athanase, ma cigale, nous ne nous verrons plus dans ce monde. Je t’attendrai au paradis des poètes sous un pommier en fleur ! ». J’éclatai soudain en pleurs ! Tout mon corps fut pris d’un violent tremblement. J’étais frappé en plein visage par une tristesse suffocante. En chemin vers Sofia, je n’ai pas arrêté de pleurer ! Je ne l’ai plus revu. Il est mort deux mois plus tard.

Ce soir, j’ai cherché dans Internet une note sur lui. Pas un mot ! Pas un mot sur cet homme qui a donné tant de joie à des milliers de Bulgares. Mon cœur a de nouveau pleuré. Se peut-il que personne de l’Union des traducteurs bulgares n’ait pensé à publier un article sur lui ?

Ami, que ce poème te dise tout l’amour que je te portais, que je te porte, que je porterai jusqu’à la tombe.

Camilo Castelo Branco (1825-1890) : un des plus grands poètes et écrivains classiques portugais. La vie agitée de Camilo, comme on l'appelle affectueusement, a été aussi riche en événements et aussi tragique que celle de ses personnages : fils naturel d'un père noble et d'une mère paysanne, il resta très tôt orphelin. Marié à seize ans avec Joaquina Pereira, il connut d'autres passions tumultueuses, dont l'une le mena en prison : celle pour Ana Plácido qui devait devenir sa compagne. Fait vicomte de Correia-Botelho en 1885, pensionné par le gouvernement, il connut cependant une fin de vie des plus pénibles : perclus de douleurs et devenu aveugle, il finit par se suicider.

À travers son œuvre très féconde (262 volumes), Castelo Branco s'est intéressé à presque tous les genres : poésie, théâtre, roman, historique, histoire, biographie, critique littéraire, traduction. On y retrouve le tempérament et la vie de l'auteur : la passion fatale s'y lie au sarcasme, le lyrisme à l’ironie, la morale au fanatisme et au cynisme, la tendresse au blasphème.

Camilo Castelo Branco, cherchant les sources nationales, écrivit qu'il avait « déserté les drapeaux des maîtres français » [pour retourner à la description des usages et coutumes portugais. Il traduisit Chateaubriant, et essayera d'écrire une version portugaise de La Comédie humaine.
Cet écrivain à l'imagination vive, au style communicatif, naturel et coloré, au vocabulaire riche et nuancé, est resté un maître incontestable de la langue portugaise. Amour de perdition, publié en 1862, est, d'après le grand Miguel de Unamuno, le plus grand roman d'amour de la Péninsule Ibérique. Écrit en 1840, lorsque Camilo était en prison pour ses amours avec une femme mariée, il relate la passion clandestine de deux jeunes gens, Simão et Teresa, passion à laquelle s'ajoute l'amour de Mariana, une fille du peuple qui s'éprend de Simão, tout en continuant à lui servir de messagère auprès de Teresa.

dimanche 12 octobre 2008

LE CHRIST DU MONTPARNASSE ( traduit en russe)

Mon ami, le poète russe Victor Martynov, a traduit mon poème "Le Christ du Montparnasse". Quel privilège d'être adapté en russe par un si grand poète! Qu'il en soit remercié!


Атанас Ванчев де Траси


Христос с Монпарнаса

(Размышления перед картиной Мориса Скуезека)

«Ты попросил у меня последний снежок, упавший с неба,
Снежок этого мира под названием Млечный путь.»

Кеньи Миязава



В душной тишине мастерской
Он прислушался
К собственной душе!

И тотчас понял,
Что человек обманывается
Всякий раз, как только вообразит себя
Хозяином своей судьбы!

Он встал, подошёл к листу серой бумаги
И, наполнив одиночество воображаемыми образами,
Воплотил в жизнь своё сокровенное видение.

В центре рисунка он расположил крест,
И рукой, исполненной веры,
От которой вздрагивало его измождённое тело,
Набросал обнажённую фигуру Христа,
Позабытую, заброшенную,
Оставленную в жестокой власти
Этой траурной ночи.

Вокруг поруганного Спасителя,
Где воздух заряжался вечностью,
Он нарисовал сбившуюся в круг,
Движимую пороком,
Растерянную толпу проституток.

Одни, совсем обнажённые,
Судорожно задыхались,
Подобные блуждающим, измученным призракам,
В водовороте своего гнетущего изгнания,
Другие, едва прикрытые
Одеждой, возбуждающей похоть,
Кружили, растерянные,
В плену удушающего сознания собственной отверженности.

Затем, точно в бреду, он набросал
Отвратительное сборище сутенёров,
Занятых своим тёмным делом.

Похабные клиенты,
Торгующиеся о цене на плоть,
Раздвинули отвратительную бездну этого хаоса,
Неподвижный хоровод теней!

Обессиленный скорбью,
Он уселся перед временем,
Которое напрасно кричало о своей невиновности
И своей глубине!

Долго вслушивался в невыразимое,
В то, что ухо отказывается воспринимать,
Не в силах излечить раны, нанесённые смертью!
И, чтобы не сломаться от горя,
Долго вглядывался в Распятого!

Он ощутил, как внутри, внезапно.
Вспыхнула
Та нежность,
Которая охватывает нас,
Когда замерев перед лицом невидимого,
Мы задумываемся о том, чего больше нет!

И, отвернувшись от непоправимого,
Дрожа от холода,
Он поставил подпись сострадания
Под картиной!

Париж, 23 июля 2008 года


Примечания.

Морис ле Скуезек (1881-1940): французский художник, бретонец по происхождению, родился в Сарте, скончался в Дуарменезе. Он был поочерёдно учеником лоцмана (молодой моряк, изучающий судовождение) на крупных парусниках, солдатом, путешественником, авантюристом. Он оставил картины, отличающиеся большой выразительностью. Его «Христос с Монпарнаса» глубоко поразил меня. Я почувствовал огромную веру, которая направляла руку художника, чьё сердце переполняло сострадание.

Кеньи Миязава (1896-1933): японский поэт и автор сказок для детей. Выходец из состоятельной семьи торговцев, в 18 лет он открыл для себя Сутру Лотоса и сделался ярым поклонником буддистской школы Ниширена. Он был также активным общественным деятелем. Миязава умер от туберкулёза в возрасте 37 лет. Его творчество характеризуется созданием нового поэтического словаря, примешивающего к простому и ритмичному языку ономатопею, слова из диалекта района Ивата, откуда он был родом, или научные и специфические термины из словаря буддистов. Этот стиль характерен как для его поэзии, так и для его сказок.

Сутра Лотоса или Сутра Белого лотоса Несравненной Дармы является очень распространённой сутрой в буддизме махаяна. Она составляет основу буддистских школ Тьендай или Тьянтай и Ниширен. Впервые её текст появился спустя много веков после смерти Будды.

Суттами или сутрами называют произведения, в которых воспроизводятся слова и различные поучения Будды. Они группируются в так называемые сутта-питаки, корзины сутр.

Дарма является внутренней методикой, которая позволяет прекратить любые страдания и их причины.

Зенники-маро, прозванный Ниширен, является основателем буддизма ниширен, называемого также «школой лотоса». Родившийся в 1222 году в рыбацком городке Коминато, в нынешней префектуре Шиба в Японии, он в 12 лет ушёл в буддийский храм Сешои, чтобы учиться там, под руководством мастера Дозен-бо . Получив монашеский сан Тендай в 16 лет, он взял себе имя Зесо-бо Ренчо. В то время его мечтой было стать самым учёным в Японии.

Основанная в 805 году монахом Саико школа Тендай явилась формой, которую приняла в Японии китайская школа Тьянтай, махаянического буддизма, основанная священником Зиви (538-597) из династии Сюи. С момента своего появления она является важной составляющей японского буддизма.

Махаяна – это санскритский термин, означающий «большую повозку». Буддизм Махаяна появляется в начале христианской эры в империи Кушан и на Севере Индии, откуда он быстро распространяется по бассейну Тарима (китайская река, протяжённостью 2030 километров) и в Китае, перед тем, как распространиться по всему Дальнему Востоку. Вайраяна, его тантрическая форма, появляется в Индии перед IV веком, проникает в Тибет между VII и VIII веками, затем в Монголию и, через Китай, где он оставляет мало следов, в Корею и в Японию в VIII веке.

Империя Кушан была государством, которое, в период своего расцвета, около 105-250 г.г., простиралось от Таджикистана до Каспийского моря и до Афганистана и на юг до долины Ганга. Империя была создана Кушанами, племенем Юези, современным народом Ксиньян в Китае, возможно родственным туркменам. Кушаны поддерживали дипломатические контакты с Римом, с персидской империей сасанидов, с Китаем и, на протяжении нескольких веков, находились в центре связей между Востоком и Западом.

samedi 11 octobre 2008

DIVISION EUCLIDIENNE

DIVISION EUCLIDIENNE

A Gauvain

« Tu as habité
le pays des enfants tristes »

José Agostinho Baptista

Dividende, diviseur, quotient, reste !
Dividende, diviseur, quotient et…
Plus de reste !...

Ah, mon tendre Gauvain,
Ils étaient bien plus faciles les calculs arithmétiques
Que les tourments de la vie,
Que les boursouflures de la féroce vanité humaine!

En frottant les nombres comme des silex,
Tu étais heureux d’obtenir les étincelles de la connaissance,
Pareil en cela aux veux lettrés hébraïques
Entrechoquant avec une ferveur infatigable
Les mots mystérieux de la Thora !

A présent, mon Ami,
Tu essaies d’apprivoiser
Le temps vide d’occupation
Ou, après avoir parcouru quelques livres obscurs,
De dessiner en blason, comme lesbrillants érudits scolastiques,
Une somme de savoir,
De t’inscrire dans la mémoire de la langue.

Dehors, le vent qui t’attend au coin de la rue,
Connaît le sens secrets des paroles qui t’habitent.

Il y a longtemps que le jour est venu,
Sa grâce est pour toi un secret,
Une beauté qui vient de loin,
Légère, tranquille, libre, discrète !

Là, dans les rues fleuries
Par les mains voluptueuses des femmes,
Tout l’été est ton corps,
Tout le matin, les prunelles de tes yeux,
Tous les ruisseaux de la France,
De ce pays qui brûlent nos cœur,
Le chant diaphane de ton amour !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 12 octobre 2008


Glose :

Gauvain : prénom, variante du prénom Kevin, du celtique gwen ou kwen, « blanc », « pur ». Le saint patron des Gauvain ou Kevin est un ermite de Cornouailles du VIe siècle, qui fut mystérieusement transporté en Bretagne du Nord où il accomplit de nombreux miracles.

José Agostinho Baptista (né 1948) : poète portugais, traducteur de nombreux écrivains américains. « Un puissant sens du tragique parcourt sa poésie, mais sans violence ni hurlements, tant l’harmonie de la versification paraît dompter la douleur et les larmes ».

Thorah (n.f.) : ce mot en hébreu signifie « loi ». La Thora est le texte fondateur du judaïsme. Son essence spirituelle est la reconnaissance d'un Dieu unique. Rédigée en hébreu, elle est également appelée loi mosaïque (de Moïse), ou, comme elle se compose de cinq livres, Pentateuque (du grec ancien Pentateukhos « cinq livres »); en hébreu, Hamisha Houmshei Torah. Les cinq livres décrivent les débuts de l'humanité de la création du monde à la mort de Moïse. Ce sont :

Genèse - Bereshit : « Au commencement » ou « En-tête », de la création du monde à la mort de Joseph en Égypte

Exode - Shemot : « Noms », de l'arrivée des enfants d'Israël en Egypte à la construction du Tabernacle du Désert

Lévitique - Vayyiqra : « Il appela », de la construction du Tabernacle aux premiers mois après le départ d'Égypte. Il énonce principalement des règles de pureté en matière sacerdotale, alimentaire, conjugale, sociale, etc.

Nombres - Bamidbar : « Dans le désert », couvrant la période d'errance des Hébreux dans le désert

Deutéronome - Devarim : « Paroles », rappel par Moïse des lois énoncées dans les quatre livres précédents, s'achevant avec sa bénédiction et sa mort

(Les titres hébreux des Livres sont les premiers mots du premier verset)

La Torah fut, selon la tradition, dictée à Moïse par Dieu au pied du mont Sinaï.

Les commentateurs de la Torah comparent les mots à des silex. Au fur et à mesure qu’on les frotte les uns aux autres, ils produisent des étincelles qui révèlent les multiples sens cachés du texte.

La théorie des étincelles : au moment de la création, les Vases Divins se sont briséscar l'Univers ne pouvait supporter le flot de la Lumière Divine. Des débris de la lumière, les Etincelles de Sainteté, sont tombés dans la matière, constituant une sorte de noyau sacré et infini au sein du monde fini. Le monde est devenu un champ clos où s'affrontent la connaissance et l'oubli de Dieu. Comparé à nos rythmes, la connaissance, c'est le jour, l'oubli c'est la nuit, c'est l'ombre. Mais les ténèbres ne sont jamais totales, la nuit est remplie d'étincelles, d’éclairs.Même lorsque Dieu semble absent, il se trouve toujours en l'homme, en la matière, une étincelle susceptible de raviver la connaissance.
Mon ami, le poète amazighe (berbère) du Maroc, M'hamed Alilouch, a eu la bonté de traduire mon poème "Trois soupirs" en tamazight (la langue berbère du Maroc). Les Marocains sont, dans leur quasi totalité, d'origine berbère. Ils sont des Imazighen (des Berbères) islamisés. Si la langue arabe est devenue la langue officielle du pays, la tamazight, la langue berbère, est vivante et parlée par des millions de Marocains.



TROIS SOUPIRS


Que vous dire de plus clair que ces mots :
Le temps est doux dans l’ordre exquis des pruniers,
Reposons-nous, le dos appuyé contre leur écorce soyeuse.

*

La femme à l’éventail d’ivoire dénoue ses cheveux
Sous la pluie des pétales. Elle chante.
Elle se tait.Que veulent dire ses paroles ?
Que signifie son silence luxueux ?

*

La sourde mélodie des faux-bourdons,
Au-dessus, le chant élégiaque des abeilles,
Ma maison, pleine d’amis qui rient et qui m’aiment.

A t h a n a s e V a n t c h e v d e T h r a c y


****************************************************************


KRAT TIKHAT


Mayed awen-ttinigh g iwaliwen izeddigen khs widdegh:
Akud ighudan immummey imkinna mmummin isekla n lkhukh,
Swunfuwatagh nejjijey tidiwwa i yiqba-nnsen islulfen!

*

Tamghart ikerrten azzar-nnes s tseksit n wagher
Ddaw tagut ikkaten s ifrawen n iledjigen, ar tettirir, tseggru-as ifesti,
Mayed nn-ran iwaliwen-nnes? Mayed inumek ifesti-nnes alamghan?

*

Lgha s ifesti n igeldan n tizwa,
Seg ufella, ar ttiriren azneffu n tizwa,
Tigemmi-nu tetkar s imeddukkal i-ittirin ar ittessan.


Iga-as asughel s tmazight (traduit en tamazight) par
M’hamed Alilouch (Igider n Nqub)


www.alilouch.on.ma /www.alilouch.un.ma


Amawal (lexique) :

Agher : ivoire

Namek : signifier

Alamghan : luxueux

Azneffu : élégie


Voila, mon ami poète A t h a n a s e V a n t c h e v d e T h r a c y , la traduction de votre superbe poème. Je souhaite que vous compreniez quelques mots en tamazight, ma belle langue maternelle.

En attendant un autre poème à traduire.

JE NE PEUX AJOURNER MON ÄME

JE NE PEUX AJOURNER MON ÂME

A Zoé

« Teque, quibus princeps, et facundissima calles, Aggredior : precibus descende clientis, et audi. »

(« C’est toi /Calliope/ que j’invoque, toi, la première,
la plus éloquente des neuf muses :
descends, exauce les voeux de celle qui se voue à ton culte. »)

Sulpicia II


C’est ainsi tous les jours !

Le matin monte de tes lèvres
Jusqu’au vol ludique des moineaux.

Des voix d’hommes et de femmes
S’unissent à la jeune lumière
Sur les cimes des antiques peupliers.

Âme, en vain tu cherches à savoir
Si nos baisers peuvent rendre plus profond
Le sens de la vie, l’existence des fleurs,
Plus précise la volonté de la brise.

L’ourlet d’or de la robe de l’air
Reste suspendu avec précaution
Sur les battements de nos cœurs
Attentifs à l’inaudible,
Sur nos mots légers pris, soudain,

D’un tremblement imperceptible.

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, ce samedi 11 octobre, Anno Gratiae MMVIII

Zoé : prénom féminin (rarement masculin). D’origine grecque, ce prénom signifie « vie », « la vie ».

Sulpicia : c’est le nom de deux poétesses de l’Empire romain :

Sulpicia I : elle vécut à l’époque d’Auguste (petit-neveu et fils adoptif de César, 63 av. J.-C. – 14 ap. J.-C.) et fut, peut-être, la fille de Servius Sulpicius Rufus (né vers 105 - mort en 43 av. J.-C.), célèbre juriste, orateur et poète, ami de Cicéron (106 – 43 av. J.-C.). Ses vers furent préservés dans les manuscrits avec ceux de Tibulle (54-19 av. J.-C.) et d’Ausone (309-394 ap. J.-C.). Il s’agit de six poèmes élégiaques adressés à son amant Cerinthus.

Sulpicia II : elle vécut sous le règne de Domitien (fils de Vespasien et Domitille, empereur de 81 à 96 ap. J.-C.). Martial (40-104 ap. J.-C.) fit son éloge disant que dans ses écrits « elle enseigne l'amour pudique, l'amour vertueux, ses jeux, ses délices et son badinage » et vante sa fidélité à un certain Calenus.

On conserve d'elle très peu de textes, une satire contre Domitien de 70 hexamètres, provenant d’un manuscrit trouvé en 1493 à l’abbaye de Bobbio en Italie, et perdu depuis. Sous forme d’un appel à la muse Calliope, elle proteste contre le bannissement des philosophes hors de Rome, selon un décret de Domitien en date de 94, et espère que Calenus sera épargné.

mercredi 8 octobre 2008

L'ARCHER ASSYRIEN

L’ARCHER ASSYRIEN

A Kevin

« L’air est bleu de tourterelles
le ciel le vent se sont tus »

Joë Bousquet

La rose embrasse la rose sous le sourire de l’air
Et tu viens vers moi, resplendissant de joie,
Mon Prince assyrien, insigne de ma foi,
Emblème du temps sans fin, mon monogramme solaire !

Je prie le dieu Assur trônant de l’Esharra,
En écoutant chanter parmi les flèches ta voix!

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 8 octobre 2008

Glose :

Assyrien, ne (adj.) : habitant d’Assyrie. Assyrie (n.f.) : ancien empire du nord de la Mésopotamie, dont la capitale fut d'abord la ville d’Assur, puis, en 879 av. J.-C., Kalkhu, et en 745, Ninive sur le Tigre. L'Assyrie contrôlait des territoires qui s'étendaient sur quatre pays actuels : Syrie, Turquie, Irak, Iran.

La divinité principale de l’Assyrie était Assur, dieu éponyme de la ville à partir de laquelle s’est formé le royaume, et où se trouvait son grand temple, l’Esharra. Dans la théologie assyrienne, Assur est le véritable maître du royaume, et le roi n’est que son vicaire et son grand prêtre. C’est le dieu qui lui ordonne ce qu’il doit faire, et le souverain doit lui rendre des comptes, comme en témoignent les rapports de campagnes qui lui sont parfois adressés par des rois. Assur prend une dimension de plus en plus importante au fur et à mesure que son royaume grandit jusqu’à devenir une sorte de « divinité impérialiste ». Sur le modèle de ce qui se passait à Babylone pour Mardouk, le clergé d’Assur fit de lui le Roi des Dieux. C’est à la théologie assyrienne que les juifs empruntèrent non seulement la plupart de leurs visions du monde, mais un grand nombre de mythes et de textes.


Joë Bousquet (1897-1950) : poète français. Gravement blessé au printemps 1918, à 21 ans (atteint à la colonne vertébrale par une balle allemande), il fut paralysé à hauteur des pectoraux, perdit l'usage de ses membres inférieurs et resta alité toute sa vie à Carcassonne, au 53 rue de Verdun, dans une chambre dont les volets furent fermés en permanence. Avec ses amis François-Paul Alibert, Ferdinand Alquié, Claude-Louis Estève et René Nelli, il fonda en 1928 la revue Chantiers. Bousquet fut en relation épistolaire avec de nombreux écrivains et artistes dont Paul Eluard, Louis Aragon, Jean Paulhan, Max Ernst, Arp, etc. Une rue à Carcassonne porte aujourd’hui son nom. C’est à la théologie assyrienne que les juifs empruntèrent la plupart de leur vision du monde.


Monogramme (n.m.) : du grec monogrammos / μονόγραμμος, « qui n’est formé que d’un seul trait, de simples contours ». Chiffre composé de la lettre initiale ou de la réunion de plusieurs lettres (initiales et autres) d’un nom, entrelacées en un seul caractère. Monogramme brodé sur un mouchoir. Monogramme du Christ : chrisme. Marque ou signature abrégée : sigle. Artiste qui signe d’un monogramme (monogrammiste).

mardi 7 octobre 2008

LES NERFS CRAMOISI DES JOURS (en RUSSE)

Le grand poète moscovite Victor Martynov a traduit en russe mon poème "Les nerfs cramoisi des jours". Qu'il en soit remercié!

Athanase Vantchev de Thracy

Атанас Ванчев де Траси


Багровые нервы дней

Фабрицию Купшу


«А что если смерть – всего лишь слово?»

Рене Кревель


I.

Эти светлые голоса,
Что разносятся в полдень, с изяществом белизны,
По глубокому ковру тишины
И серебристый пушок на листьях тополей!..

Эти зачарованные голоса, что растекаются, точно кровь,
По странице, на которой рождается,
Разворачивая шёлк слогов, поэма!

II.

Затем, вдалеке, опьянённое лазурью и светом,
Певучее племя цикад
Пронзительно грянет вдруг
Свой душистый стрёкот,
Ликует, сотрясает вершины эвкалиптов
И тормошит лучезарный покой дня.

Именно тогда густой мёд желанья
Овладевает непорочными душами подростков
И кусает сияющий мрамор их тел!

Растроганное этим гимном вездесущим богам,
Солнце замедляет свой жгучий шаг,
Чтобы омыть свой лик
В золотистой поросли тростника, где,
Откликаясь на каждое дуновение воздуха,
Мириады насекомых настороженно
Прислушиваются к росту травянистых стебельков.


Птичьи гнёзда,
Убаюканные жарой,
Поднимаются к небу
По мере того, как растут деревья.

III.

Ах, мой друг,
Каждое мгновение что-то в нас
Утекает в погребальные урны
Неутомимых часов!

Все эти безымянные годы,
Все эти слова,
Все эти улыбки,
Всё это, однажды вечером
Банальный камень
Придавит своей окончательной тяжестью!

IV.

Поэма, умоляю тебя,
Оставайся рядом со мной,
Как обещание могилы,
Вечно цветущей и никогда не забываемой!

Поэма,
Скажи мне, заставь меня поверить,
Что божественное постоянство наших снов
Всегда будет наполнять своей тайной сутью
Спокойную очевидность обычных слов,
Что мы навсегда останемся,
Счастливыми
И такими непосредственными!

Athanase Vantchev de Thracy

Traduit en russe par Victor Martynov, poète moscovite

Примечание:

Рене Кревель (1900 – 1935) – французский писатель и поэт сюрреалист. Родившийся в парижской буржуазной семье, Рене Кревель окончил лицей Жансон-де-Сайи, затем учился в Сорбонне на факультете литературы и права. Его отец покончил с собой, когда ему было 14 лет. Это событие наложило тяжёлый отпечаток на всю его жизнь.

Во время военной службы он вошёл в литературные круги того времени. Там он встретился с Роже Витраком (1899 – 1952) и Максом Моризом (1900 – 1966) и примкнул к сюрреалистам.

В конце 1922 года он увлёк группу опытами гипнотического сна и практикой спиритизма. Кревель произвёл большое впечатление на Бретона уровнем своего красноречия, до такой степени, что тот долго сожалел потом, что эти сеансы не могли быть зафиксированы: «Мы получили бы неоценимый документ, нечто вроде чувственного спектра Кревеля.»

Исключённый из движения в октябре 1925 года, Рене Кревель предпочёл следовать за Тристаном Цара (1896 – 1963) и движением дадаистов. В 1929 году высылка Льва Троцкого (1879 – 1940) вернула его к сюрреалистам. Приверженец Андре Бретона, он попытался сблизить сюрреализм с коммунизмом. Вступив в коммунистическую партию Франции в 1927 году, он был исключён из неё в 1933.

Он отдал много сил организации международного Конгресса писателей в защиту культуры в 1935 году, куда вошла группа сюрреалистов во главе с Бретоном. Однако, вследствие размолвки между Бретоном и русским писателем Ильёй Эренбургом (1891 – 1963), советская делегация добилась того, чтобы французский поэт был исключён из Конгресса. Рене Кревель, не представлявший себе Конгресса без сюрреалистов, обескураженный, с отвращением покинул Конгресс. Вдобавок ко всему он узнал, что страдает туберкулёзом почек. На следующую ночь он отравился газом.

LES JOURS CRAMOISIS DES JOURS (en RUSSE)

Mon ami, le grand poète moscovite Victor Martynov, a traduit mon poème "Les nerfs cramoisis des jours" en russe. Qu'il en soit remercié!

Атанас Ванчев де Траси


Багровые нервы дней

Фабрицию Купшу

«А что если смерть – всего лишь слово?»

Рене Кревель


I.

Эти светлые голоса,
Что разносятся в полдень, с изяществом белизны,
По глубокому ковру тишины
И серебристый пушок на листьях тополей!..

Эти зачарованные голоса, что растекаются, точно кровь,
По странице, на которой рождается,
Разворачивая шёлк слогов, поэма!

II.

Затем, вдалеке, опьянённое лазурью и светом,
Певучее племя цикад
Пронзительно грянет вдруг
Свой душистый стрёкот,
Ликует, сотрясает вершины эвкалиптов
И тормошит лучезарный покой дня.

Именно тогда густой мёд желанья
Овладевает непорочными душами подростков
И кусает сияющий мрамор их тел!

Растроганное этим гимном вездесущим богам,
Солнце замедляет свой жгучий шаг,
Чтобы омыть свой лик
В золотистой поросли тростника, где,
Откликаясь на каждое дуновение воздуха,
Мириады насекомых настороженно
Прислушиваются к росту травянистых стебельков.


Птичьи гнёзда,
Убаюканные жарой,
Поднимаются к небу
По мере того, как растут деревья.

III.

Ах, мой друг,
Каждое мгновение что-то в нас
Утекает в погребальные урны
Неутомимых часов!

Все эти безымянные годы,
Все эти слова,
Все эти улыбки,
Всё это, однажды вечером
Банальный камень
Придавит своей окончательной тяжестью!

IV.

Поэма, умоляю тебя,
Оставайся рядом со мной,
Как обещание могилы,
Вечно цветущей и никогда не забываемой!

Поэма,
Скажи мне, заставь меня поверить,
Что божественное постоянство наших снов
Всегда будет наполнять своей тайной сутью
Спокойную очевидность обычных слов,
Что мы навсегда останемся,
Счастливыми
И такими непосредственными!

Примечание:

Рене Кревель (1900 – 1935) – французский писатель и поэт сюрреалист. Родившийся в парижской буржуазной семье, Рене Кревель окончил лицей Жансон-де-Сайи, затем учился в Сорбонне на факультете литературы и права. Его отец покончил с собой, когда ему было 14 лет. Это событие наложило тяжёлый отпечаток на всю его жизнь.

Во время военной службы он вошёл в литературные круги того времени. Там он встретился с Роже Витраком (1899 – 1952) и Максом Моризом (1900 – 1966) и примкнул к сюрреалистам.

В конце 1922 года он увлёк группу опытами гипнотического сна и практикой спиритизма. Кревель произвёл большое впечатление на Бретона уровнем своего красноречия, до такой степени, что тот долго сожалел потом, что эти сеансы не могли быть зафиксированы: «Мы получили бы неоценимый документ, нечто вроде чувственного спектра Кревеля.»

Исключённый из движения в октябре 1925 года, Рене Кревель предпочёл следовать за Тристаном Цара (1896 – 1963) и движением дадаистов. В 1929 году высылка Льва Троцкого (1879 – 1940) вернула его к сюрреалистам. Приверженец Андре Бретона, он попытался сблизить сюрреализм с коммунизмом. Вступив в коммунистическую партию Франции в 1927 году, он был исключён из неё в 1933.

Он отдал много сил организации международного Конгресса писателей в защиту культуры в 1935 году, куда вошла группа сюрреалистов во главе с Бретоном. Однако, вследствие размолвки между Бретоном и русским писателем Ильёй Эренбургом (1891 – 1963), советская делегация добилась того, чтобы французский поэт был исключён из Конгресса. Рене Кревель, не представлявший себе Конгресса без сюрреалистов, обескураженный, с отвращением покинул Конгресс. Вдобавок ко всему он узнал, что страдает туберкулёзом почек. На следующую ночь он отравился газом.

vendredi 3 octobre 2008

SIMONETTA VESPUCCI

« Tout les mots s’éclairent
au feu sûr du corps dévêtu,
tous les mots restent nus
dans ton ombre ardente »

Antόnio Ramos Rosa

Cette peau de lis vierge, cette lumière candide,
Le corps d’une élégance qui fait frémir les mots,
Le coquillage qui porte comme un rapide vaisseau
La scintillante Déesse vers les collines virides !

Toi, enfant des vagues, amante limpide des cieux,
Tissée des blancs soupirs de l’air resplendissant,
Pourquoi ce calme chagrin, ces douloureux mouvements,
Ce pur désespoir dans le cristal des yeux ?

Toi, ma Florentine, qui a changé le cœur
Du tendre Julien en ode bienheureuse
Et fit trembler d’extase la main silencieuse

Du peintre amoureux des fastes de la splendeur !
Beauté qui a vaincu la mort, l’oubli, le temps,
Pour devenir le sceau d’un rêve toujours vivant !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 2 octobre 2008

Glose :

Simonetta Cattaneo de Vespucci (née à Gênes en 1453 – morte de tuberculose à Florence le 26 avril 1476) : une des plus belles femmes de la Renaissance. On la surnommait « L’Eternelle », « La belle Simonetta », « La Sans Pareille ». Elle était la femme de Marco Vespucci de Florence. On la soupçonna d’être la maîtresse de Julien Médicis, le jeune frère de Laurent le Magnifique. Elle fut le modèle pour de nombreuses œuvres majeures de la Renaissance ainsi que l’objet de nombreux poèmes.

Après sa mort, Julien de Médicis encouragea les écrivains de son cercle littéraire à écrire des vers pour se souvenir de la femme qu’il a aimée. Simonetta serait passée dans l'histoire comme les autres figures féminines du passé, s'il n'y avait pas eu, parmi beaucoup, deux immenses artistes qui, conquis par elle, l’immortalisèrent : le peintre de la splendeur Sandro Botticelli (1445-1510) et le grand poète, humaniste et dramaturge Angelo Ambrogini dit Poliziano (1454-1494).

La singularité du témoignage de Botticelli est liée au fait que les deux jeunes, Julien et Simonetta, restèrent ses modèles idéaux même lorsqu’ils furent tous les deux morts depuis longtemps. Les tableaux où elle servit de modèle continuent de faire parler d'elle : Le printemps où elle est Flore ; La naissance de Vénus où elle est, bien sûr, Vénus. Botticelli la prit pour modèle on ne sait combien de fois et voulut être enterré dans l’église Ognisanti (Tous les Saints » près de la tombe de Simonetta.

Autre laudateur de Simonetta fut Piero de Cosimo (1462-1522), peintre florentin à peine plus jeune qu’elle, auteur d’un portrait célèbre aujourd’hui conservé au Musée Condé de Chantilly en France. Piero de Cosimo étant trop jeune au décès de Simonetta, il ne peut s’agir que d’un portrait posthume. La jeune femme est représentée le buste nu, ce qui est très rare à la Renaissance. Par contre, la représentation de profil est caractéristique de cette époque. Le front très bombé (les femmes de la Renaissance s’épilaient couramment le front) et le nez retroussé se retrouvent souvent dans l’œuvre de Piero di Cosimo. Le peintre n’a pas cherché à faire un portrait ressemblant de Simonetta, mais une représentation de la beauté idéalisée de celle qu’on appelait alors « l’idole de Florence ».

Antόnio Ramos Rosa (né en 1924) : poète portugais. Né à Algarve, il vit à Lisbonne. Son œuvre pléthorique, témoigne de la vie d’un homme « qui n’as su trouver sa demeure que dans le langage », selon la belle formule de Robert Bréchon.

jeudi 2 octobre 2008

TROIS EPURES

TROIS EPURES


A Didier Quélin

1.

La main ouverte au chant de l’aube,
Les aubépines en fleur embaument l’étroit sentier,
Bleu, plus bleu que la mer
Devient la maison de l’air.

2.

Les abeilles habillent de frêles baisers les lavandes,
Les royaumes du sud sont si chargés de joie
Que le cœur, palpitant d’ardeur, semble s’évanouir
Sous le doux poids des pépiements des mésanges.

3.

Odeur enivrante d’herbe sauvage, de sureaux et d’ortie,
Scintillement pur des eaux riantes du ruisseau,
Des rameaux de saule embrassent des rameaux saule,
Et nous, immortel dans l’éternel recommencement de l’été !


Athanase Vantchev de Thracy


Paris, le 2 octobre 2008

Glose :

Epure (n.m.) : du verbe épurer, « rendre pur, plus pur en éliminant les éléments étrangers », « affiner », « perfectionner ». Représentation linéaire d’une figure à trois dimensions, qui en donne l’élévation, le plan et le profil. Ebauche.

mercredi 1 octobre 2008

SAUDADE

A Svetlomira Binéva


« Et une très ancienne nostalgie de mâts
Se balance dans les pins »

Sophia de Mello Breyner Andresen


Ne dis rien, car tout est dit déjà,
Car dans le vase se sont fanées les fleurs,
Le vent froid a desséché les pleurs
Entre nos cils tremblant hier de joie !

Pourquoi prêter aux choses sans importance
L’intime rigueur, la vie sublime des mots ?
La chair blessée, aspire au bleu repos
Des livres pleins de délicat silence.

Et il ne reste à l’âme que la musique
De cet été rempli de résédas,
Le goût léger du sel sur nos doigts

Et l’élégance des colonnades doriques !
Ne dis rien, laissons la brise hâlée
Errer distraite dans l’ombre des allées !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 1er octobre 2008

J’ai écrit ce poème en pensant à la première femme de mon ami, le génial poète bulgare Radko Radkov et à leur si triste séparation. Jeunes, ils étaient tous les deux d’une beauté angélique. Svetlomira resta fidèle à son premier et unique amour. Après des années, elle accueillit Radko au moment où, malade, il fut abandonné par toutes les femmes qu’il avait aimées d’un amour passionné.

Saudade (n.f.) : mot portugais et galicien, qui exprime une tristesse empreinte de nostalgie. Saudade est le terme portugais et galicien le plus difficile à traduire. La saudade est différente de la nostalgie. Dans la nostalgie, il y a un sentiment mêlé de joie et de tristesse, le souvenir d’un bonheur évanoui, mais aussi la mélancolie d'une existence unique dans le passé et d'un retour en arrière impossible. La saudade exprime un désir intense pour quelque chose que l'on aime et que l'on a perdu, mais qui pourrait revenir dans un avenir incertain. On parle de saudade dans deux cas, d'abord pour marquer le mythe de quelqu’un éloigné de son pays, et qui garde l'espoir d’y revenir un jour; le terme est également employé par les Portugais pour évoquer la nostalgie du passé.

Sophia de Mello Breyner Andresen (1919-2004) : une des plus importantes poétesses portugaises du XXe siècle, distinguée du prix Camões en 1999. Née à Porto d'une famille aristocratique, engagée politiquement à gauche, elle fut de tous les combats qui ont porté la démocratie au Portugal. Poète avant tout, la « grande dame de la littérature portugaise » est aussi l'auteur de nombreux contes, simples et limpides qui, par leur richesse et leur beauté formelle, séduisent les lecteurs de tout âge. Œuvres poétiques : Navigations (1983) ; Malgré les ruines et la mort (1944) ; Méditerranée (2001).

Sophia de Mello Breyner Andresen a hérité du patronyme d'un ancêtre danois débarqué au Portugal par hasard. Elle a suivi des études de philologie classique à la Faculté des Lettres de Lisbonne. Avec un premier recueil de poésies publié à compte d'auteur en 1944, Sophia entama une carrière littéraire encouragée par le grand poète Michel Torga (1907-1995), qui fit d'elle un écrivain national.