mercredi 11 juin 2008

LES JOIES RUSTIQUES DE LA POESIE

A Tiburce

« Après la pluie d’étoiles
Dans la prairie de cendres
Ils se sont tous rassemblés sous la garde
des anges »

Zbigniew Herbert

J’aime les modestes, les humbles syllabes des mots
Qui nagent, ce soir de mai, dans une paix suprême,
Vers un pays tout de lumière
Et qui s’étend au-dedans de nous-même.

Le château
Est plein de propos qui font rire
Et qui, pour dire vrai, devraient faire pleurer.

Mais je suis dehors,
En compagnie du vieux chat
Qui se prend de passion pour moi.

Debout, devant la porte de parade
J’admire, sans bouger,
L’harmonieux mouvement des fusains
Sous l’élégante respiration de l’air
Qui doucement s’assombrit
Au duveteux toucher de la nuit.

Et il me semble, à cet instant,
Que je deviens aussi impondérable
Que les volubilis roses grimpant
Autour des tuteurs en bois clair
Levés vers le ciel à peine mauve.

Un doux chagrin flotte autour de tous ces êtres
Comme une bénédiction inespérée,
Profonde,
Lisible, vibrante,
De l’Ange du crépuscule
Qui a oublié de rejoindre ses amis aériens.

Et je rêve soudain à des mots
Bâtis de sonorités si discrètes,
Si effacées, si pudiques
Qu’ils ne peuvent plus opposer le moindre obstacle
A la clairvoyance du coeur,
A sa dense présence à cet univers pur.

Des mots qui n’osent plus blesser
La joie d’une minute
Taillée dans le cristal de l’amour.

Des mots venus du fond même invisible,
Mais somptueusement réel
D’un temps immémorial
Pour célébrer l’éclosion taciturne
De ce beau jardin printanier.

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, ce mercredi 11 juin, l’An de Grâce MMVIII

Glose :

Tiburce : vieux prénom, du latin tiburtinus, originaire de Tibur, ville de Latium (Italie). La sibylle de Tibur annonçait à Auguste la naissance de Jésus.

Zbigniew Herbert (1924-1998) : figure majeure dans le paysage de la poésie polonaise du XXe siècle. Né en 1924 à Lviv (aujourd’hui Ukraine), il débute tardivement en 1956 au sein d’une génération de poètes plus jeunes. Ce décalage temporaire est dû à la résonance politique de ses poèmes : l’année de la publication de son premier recueil est aussi celle de l’adoucissement relatif du système totalitaire en Pologne, et avec lui du dégrèvement de la censure. Il écrit tout au long de sa vie : le dernier volume de ses poèmes paraît en 1998, quelques mois avant sa mort.

Fusain (n.m.) : du latin populaire fusago, lui-même du latin classique fusus, « fuseau ». Arbuste ornemental (Celastracées), à feuilles sombres et luisantes, appelé aussi « bonnet du prêtre », « bonnet carré » à cause de ses fruits capsulaires rouges. Charbon friable fait avec le bois du fusain dont on se sert comme d’un crayon pour dessiner. Dessin exécuté au fusain.

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