vendredi 9 janvier 2009

QUELLE REPONSE DONNER

QUELLE REPONSE DONNER…


A Ahmed Arabi

« Was aber bleibet, stiften die Dichter »
(“Mais ce qui reste est l’oeuvre des poètes”)

Hölderlin

I.

Mon cher Ahmed, mon enfant kabyle,
Quelle réponse donner
A ta jeunesse affamée de pur savoir ?

Quelle est ta part de lumière divine
Dans la grande lumière des chapelets de vies sacrifiées ?

Comme toi, vieux frère des sentiers de nos montagnes,
J’avance entre l’obscurité de deux temps
Et rêve à la splendide vigueur des jeunes de nos villages,
A la pudique beauté de nos fillesEn pleine effloraison !

Comme le tien, mon cœur frémit
A la vue de nos antiques mureraies,
A l’odeur de l’ancestrale joie de nos vignes !

Comme toi j’essaie de traverser, sans m’y noyer,
Le fleuve boueux de notre modeste existence !

II.

Ah, que te dire ?

Oui, te dire
Que j’aime la vie simple et pure,
Le chant d’or des abeilles,
L’immortalité qui coule
Dans l’incessant bourgeonnement
Des nuits et des jours, des saisons et des années !

Que j’accueille, rayonnant d’espoir taciturne,
Blotti contre le tronc d’un vieux peuplier,
Le pas hésitant, léger et agile,
Le visage à peine sorti de la nuit
De l’innocent soleil du matin,
Le parfum connu de l’aube qui monte
Jusqu’à nos narines nacrées
Des racines occultes de tant de vies anciennes !

III.

Ah, que répondre ?

Répondre
Que j’invoque, dans le calme écoulement de l’hiver,
La divine clarté du printemps
Et cette beauté d’une force admirable
Des champs fertiles de notre pays !

Que
Je crois aux puissances magiques,
Aux attractions irrésistibles
De notre terre mille fois millénaire,

Que
Tout se meut, tout croît, tout mûrit
Suivant un ordre imperturbable,
D’après un ordonnancement fixé à l’avance !

QueLa bonté véritable
Illumine de toutes parts l’âme toute entière!

IV.

Oui, mon enfant kabyle,
Je crois et confesse
Que toutes les choses sublimes
Sont coordonnées
Dans l’invisible sourire des dieux universels !

Que le Verbe primordial,
Une fois envolé de leurs lèvres chantantes,
Frappe en premier lieu
La transparente oreille
Des poètes illuminés !

V.

Je crois, je veux croire, mon jeune ami,
Que tous nous sommes,
Comme l’affirme Platon, l’ami des âmes,
Au-delà de l’essence,
Έπέκεινα τής ουσιάς !
Epékeina tes ousiàs !

Que, comme les grands miniaturistes de Tabriz,
Je perds la vue à ciseler des poèmes
Pendant que la neige recouvre de sa molle blancheur
Les harmonieuses collines
De ma mémoire !

Que des mots d’amour non prononcés
Sont restés sur le bout de la langue
De nos morts !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 9 janvier 2009

Je dédie ce poème à mon ami, le poète kabyle Ahmed Arabi.

Glose :

Mureraie ou mûraie (n.f.) : du latin morum, mora, « mûre ». Plantation de mûriers. Mûre : 1. Fruit du mûrier. Mûre noire, blanche. Fruit noir comestible de la ronce des haies, qui ressemble au fruit du mûrier. Régional : mûron. Confiture, gelée de mûres. Vin de mûres.

Aucun commentaire: