samedi 10 juillet 2010

MOHA ABEHRI

MOHA ABEHRI

Aux habitants de Zawit N Cheikh,
Aux âmes pures des fils des Imazighen

« Il n’y a pas plus exécrable meurtrier que celui qui assassine l’histoire »

Moha Abehri

I.

Zawit N Cheikh,
Zawi N Cheikh,
Ouvre tes bras de soleil, Zawi N Cheikh,
Toi, riche de tant d’heures,
Lève-toi, hâte-toi,
Âme à la duveteuse miséricorde,
Avance-toi dans ce matin tissé d’été ivre,
De vignes sauvages
Et de parfum fou de figuiers !

Viens Zawit N Cheikh,
Tends tes bras de neige vierge,
Accueille sur ta poitrine de thym
Ton fils endormi,
Accueille la lumière pure
Qui est revenue se poser
Dans tes foyers millénaires,
Dans tes âtres où vit à jamais,
Invincible et véridique
La céleste humilité
Des vigoureux Imazighen !

II.

Ô Zawi N Cheikh,

Il était ton pain d’espérance,
Ton pain d’exil, d’illusion, d’indifférence,
Ton pain de larmes et de misère,
Ton pain d’intelligence,
Ton pain de vie,
Ta nourriture de noix, d’olives, de cerises,
Ta boisson de rosée, de figues de barbarie
Mêlées à l’eau de tes yeux et aux puits du ciel !

Lui, l’angélique pitié
Pour un monde sans pitié !

III.

Et toi, Biqcha ma sœur sacrifiée,
Mon orpheline vêtue d’un suaire d’épine,
Approche,
Dis-lui sans mots ta gratitude amoureuse,
Conte-lui les insomnies des petites gens des champs,
Dis-lui la beauté de leurs mains
Qui portent la terre, la liberté
Et la neigeuse dignité de l’Atlas éternel
Dans leurs prunelles !

IV.

Pleure, innocence meurtrière du temps,
Pleure, aube passionnée des montagnes,
Pleurez rites, traditions, cérémonies,
Sentiers lourds du sommeil des étoiles,
Arbres et source frappés
Par la précession des équinoxes !

Qui sur les obscures sentiers de la vie
A brandi l’éclair de la haine
Pour frapper l’homme
Au cœur de sa pure beauté ?

Toi, ami des brins d’herbe,
Confidents des sansonnets,
Précepteur des laborieux bourricots !

Toi, Prince des matins immaculés du Maroc,
Patricien vêtu de la tunique blanche
Des chants et des danses
De Tamazgha ?

On m’est venu dire que tu n’étais plus,
Que mort tu gisais sur un lit de giroflées !
Ô Imazighen, qui parmi vous
A osé appeler Mort la Vie ?

Gloire à toi, foi en la lumière
De son attachement inviolable aux jours fastes !

Merci à toi, vent qui règles ta conduite
D’après le mouvement de nos cœurs !

V.

Plus doux est le départ inattendu,
Plus chaude le chagrin floral
Au milieu de l’été !

Alors Biqcha, ma sœur, pourquoi
Nos cœurs, nos yeux et nos pensées
Se couvrent de poussière
Quand la tristesse rude
Se couche, ténébreuse et nonchalante,
Sur l’aire de nos poitrines !

Kateb Yassine, Nabil Farès,
Vous aigles au regard d’aigle,
Vous qui avez percé de vos yeux tranchants
Les parchemins de l’histoire spoliée, ravagée,
Puis cruellement assassinée
Et abandonnée aux crocs des chacals,
Permettez-nous en ce jour de canicule,
D’appuyer notre vieille douleur lancinante
Contre l’arbre fleuri de vos dits !

Hommes conçus
Dans les entrailles de l’intégrité
Vous qui, comme Moha Abehri,
Avez sabré la putride ingratitude des hommes,
Le coupable, l’obstiné aveuglément
Des citadins profiteurs,
L’odieuse injustice des scribes
Et l’exécrable trahison des poltrons !...



VI.

Abehri,
Mon Ami olympien,
Abehri,
Mon Maître en droiture amazighe,
Toi qui avais le cœur
Aussi grand que le ciel des montagnes
Au mois de mai,
Toi qui as donné libre cours aux odes des alouettes
Qui habitaient ta chair,
A la parole des orphelins,
A l’amour floral
Des femmes libres des espaces libres,
Antiques gardiennes de la pureté amazighe,
Je veux à jamais couvrir ton nom
De roses blanches !

Ah, comme étaient chers à ta solitude lustrale
La fière allure des rivières,
L’éclatante blancheur des cimes de l’Atlas,
Le velours verts des vallées
De ton pays !
Comme tu aimais, Maître moqueur,
Les enfants amazighs au sourire de satin !

Toi, Moha Abehri
Qui venais t’agenouiller devant l’autel
De la langue berbère
Pour boire, en sanglotant de joie,
Son suave lait maternel !

VII.

Et vous Aghbala ait Umalu, Tizi N Isli,
Atlas, Rif et Sous,
Frères Houssa Yaâkoubi d’Ourtane,
Ahmed Oudades,
Jetez dans les ronces les méditations sinueuses
De la grande solitude,
La folle luxuriance de la douleur,
Venez saluer l’aisance souveraine
Avec laque l’égaré se couche
Dans le berceau de sa terre !

VIII.

Abehri,
Abehri,
Moha Abehri,

À si grande distance,
Abehri,
Les mêmes étoiles,
Les mêmes brises vierges,
Le même amour
De la vérité pure
Nous portent
Et
Nous unissent
Pour l’éternité !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 9 et 10 juillet 2010


Glose :

Moha Abehri (1950-2003) : écrivain et journaliste marocain d’expression française, né dans les montagnes de l’Atlas. Voici ce qu’écrit de lui Hassan Aourid du Centre Tarik Ibn Ziyad : « Enfin ton affaire. Tu n’en avais qu’une : tes écrits. Il a fallu t’arracher ton roman « Etre ou ne plus être », séquences de vies de petites gens exilées dans leur peau, quand tu as fait ta première crise. Je voulais une trace, un témoignage. De tous les intellectuels amazighs (berbère – la note est de moi), tu es celui qui tout en empruntant une langue étrangère, est resté authentique. A te lire, on a l’impression de lire le monde amazigh dans le texte. On a l’impression d’écouter un Anechad (chanteur de musique amazighe) clamer des Izlan (chants, poésies et danses de l’Atlas), ou Tamghart raconter des Tinezzra (devinettes). Friand du détail significatif, tu insufflais âme à un monde aux prises des convulsions du changement obérant. Tu réussissais le double exploit de retracer fidèlement des histoires anodines, et de leur imprimer une charge émotionnelle, voire idéologique. On ne sort pas indemne quand on te lit. Ta nouvelle « Odeur de sainteté » demeure un chef-d’œuvre, non pas parce que tu as réussi à décrire le monde de la campagne en but aux turpitudes de la ville, mais parce que tu as pu systématiser dans un texte condensé plusieurs problématiques. »

Zawit N Cheikh : village du Moyen Atlas marocain où est né et où repose à jamais l’une des plus lumineuses figures du Maroc, l’Amazigh Moha Abehri.

Biqcha : héroïne de l’ouvrage de Maha Abehri « Etre ou ne plus être ».

Précession (n.f.) : mouvement conique très lent, effectué par l’axe de rotation de la terre. Ptolémée pensait que la précession des équinoxes se déplaçait à la vitesse d’un degré tos les cent ans, et que vers l’époque du Christ et de César le soleil équinoxial était revenu à sa place d’origine dans les constellations, complétant et recommençant les trente-six mille années ou les trois cents soixante incarnations de cent ans chacune, de l’homme d’Ur de Platon.

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