mercredi 29 juin 2011

LES QUATRE FLEUVES

LES QUATRE FLEUVES


Ami,

Comme il m’est cher
Ton clair visage
Sur le velours indigo de la nuit,
Ton sourire à la fraîcheur d’avril.

Tu veux que je te parle
Des quatre fleuves des Enfers grecs,
Toi, né pour faire renaître les saisons de soleil,
Pour établir sur l’anagramme du poème
Un azur incandescent.

Je te parlerai de Styx,
La nymphe généreuse, fille de l’Océan et de Théthys -
Palla, fils de Créius et d’Eurybie, en devint amoureux
Et la rendit mère de Zélus,
De la Force et de Nicé,
Déesse de l’heureuse Victoire.

La rapide Styx ! Elle présidait à une fontaine d’Arcadie
Dont les eaux silencieuses formaient un ruisseau
Qui disparaissait sous terre,
Et, par la suite, allait couler
Dans les régions infernales.

Là, ce ruisseau devenait un fleuve fangeux
Qui débordait dans d'infects marécages couverts d'une sombre nuit.

Ô Ami, pourquoi vivre comme des déshérités
De la vie éternelle ?
J’aime la rêche clarté du midi,
Les cigognes qui s’en vont à dos du vent,
La nitescence des collines après la pluie d’été,
Les poèmes sublimement ouverts sur l’espérance,
Les flèches christiques de la bonté joyeuse,
Les imprédictibles extases des lèvres qui disent l’humilité.
Ah, il y a trop de jour
Et il y a trop d’azur !

Je te dirai aussi l’histoire d’Achéron,
Fils du Soleil et de la Terre.
Il fut changé en fleuve et précipité dans les Enfers
Pour avoir fourni de l’eau aux Titans qui combattaient Zeus.

Trois petits fleuves de ce nom coulaient jadis en Grèce :
Un en Épire, un autre en Élide, un troisième en Laconie.

L'Achéron dont le nom exprime la Tristesse et l’Affliction,
Tout comme le Styx, était un fleuve
Que les ombres passaient sans retour.

Représenté en vieillard couvert d'un vêtement humide,
Achéron se repose sur une urne noire, d'où sortent
Des ondes écumantes. Son cours est si impétueux
Qu'il entraîne, comme des grains de sable, de gros blocs de rochers.
Le hibou, oiseau lugubre, est un de ses attributs.

C’est à l’aquatique Antioche au cœur Hatay mon Ami,
Que les fidèles de Jésus prirent
Pour la première fois le nom de chrétiens.
C’est écrit, mon Ami, sur la tempe vespérale du Jour.
J’aime la limpide obscurité des bosquets
Où, jour à jour, je rêve.
C’est là que des noms de vrais pays reviennent sur mes lèvres.
Advesperascit et inclina est iam dies,
Il se fait soir, il se fait vêpres,
Et le jour est incliné.
Ami, comment tant d’infini peut-il être mien ?

Quant au Cocyte, aux Enfers, il est un affluent de l'Achéron.
En Épire, non loin du lac Achéruse, il y avait un cours d'eau de ce nom.
C'est sur les bords du Cocyte infernal
Que les ombres des morts privés de sépulture
Etaient condamnées à errer pendant cent ans
Avant de comparaître devant le tribunal suprême
Et de connaître leur sort définitif.
Cocyte, mon Ami, était le fleuve des gémissements.
Il entourait la région du Tartare, et son cours n'était formé
Que par les abondantes larmes des méchants.
On représentait sur son rivage des ifs, des cyprès
Et autres arbres au feuillage sombre.
Dans son voisinage se trouvait une porte posée sur un seuil
Et des gonds d'airain. C’était l’entrée des Enfers.

Ah, cette antique fascination pour les nombres,
Notre culte divin des ancêtres !
Et ces divinations par les vents !
Les choses, mon Ami,
Sont en résonance les unes avec les autres –
Ciel – Terre – Homme – Univers
Où tous les éléments sont corrélés !
Que d’instruments astro-calendériques.
Oh, mon Ami,
Comme j’aime ta voix
Confondue à celle de tes canaris,
Puisse ma chanson recouvrir ton visage
De sa lumière harmonieuse !

Enfin, je te dirai la légende du Phlégéton,
Autre affluent de l'Achéron.
Il roulait des torrents de flammes sulfureuses.
Son long cours, en sens contraire du Cocyte,
Entourait la prison des méchants.

Comme elle est belle l’ésotérique anagramme de l’été
Et doublement flexueuse la ligne radieuse de l’horizon.
Nous, Ami, nés pour renaître,
Engendrés pour faire régner
Des nouveaux azurs !

Nous, les poètes à la vie apatride,
Amis de la plus seule des solitudes,
Nous, à qui le monde a fait perdre
Jusqu’à l’adresse de nos âmes,
Nous, qui savons entendre la voix des dieux
Quand la plus féroce des tristesses
Etablit ses campements en nous
Et qu’il neige sur les landes ventées de notre cœur !

Nous, les célestes, les indomptables seigneurs,
Les humbles patriciens
De la parole absolue !
Nous en qui, face à une fin de journée,
Monte vers Dieu l’immense sentiment de gratitude.

Ô Lumen ad revelationem gentium,
Ô Lumière pour éclairer les nations !
Ô lumière, tu le sais,
L’âme est toujours exactement à ce qu’elle fait !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, juin 2011

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