jeudi 2 août 2012

JOVALDO


ODE À JOVALDO

« Miradme
Miradme detenidamente:
Yo soy vuestra figura en el espejo. »

« Regardez-moi
Regardez-moi bien:
Je suis votre silhouette dans le miroir. »

José Valdivia Dominguez (Jovaldo)

I.

Ne meurs pas, mon frère aimé,
Non, ne meurs pas !

Pose ta tête d’archange sur mon cœur, mon frère,
Pose-la sur mon âme !

Que les battements de mes veines cramoisies
Comme tes paroles vibrantes de foi
Te rendent la matinale vigueur des hautes montagnes du Pérou,
Qu’ils enveloppent de leur velours vert
Ton corps printanier tissé de jacinthes et de primevères
Et de légendes roses comme la face limpide de l’aurore !

II.

Ne meurs pas mon frère aimé,
Non, ne meurs pas !
Ne laisse pas le lierre du chagrin se lier au lierre du chagrin !

Les cris remplis d’espérance
De ceux qui tombent assassinés
Dans les fraternels fossés des sereins sentiers champêtres
Où les attendent la neigeuse blancheur des marguerites
Et les virginales senteurs des herbes folles,
Descellent les nuits ténébreuses
Et rompent la fragile simplicité de l’univers
Flamboyant d’émoi !

III.

Comme toi, mon frère aimé,
Je ne possède pour tout bien
Que ma foi liquide dans la cristalline pureté de ton peuple !
Je t’offre en cadeau solennel la plénitude de ma jeune tendresse,
Ces quelques tiges frémissantes de roses blanches
Cueillies dans un haut jardin luxuriant
De ta patrie martyrisée !

Je mets dans tes cheveux ondoyants
Ces quelques magnolias étoilés,
Une branche fragile de poivrier parfumé
Et des fleurs mauves d’eupatoires !

Ne meurs pas, mon frère aimé,
Non, ne meurs pas !

IV.

Ah, je vous convoque à mon aide,
Sublimes divinités de Rome :
Aius Locutius, dieu amène de la parole,
Aecetia, déesse toujours prompte de l’équité
Promitor, dieux généreux qui fait pousser les plantes
Et la riante Vallonia, déesse des vallées !

Jovaldo, mon compagnon de lyre,
Ouvre encore une fois tes yeux
Beaux comme l’été un jour de grande fête !

Dehors, ami de ma peine féroce, dehors
Le ciel est si bleu qu’on peut en mourir de joie
Et les cimes si hautes et si vertes
Qu’on en suffoque de tristesse !

Ouvre-les, tes yeux d’émeraude
Et regarde,
L’aube amie se lève, ornée de diamants de rosée,
Elle est douce comme le jaune duvet des joyeux canaris !

Pour toi s’épanouissent sur les collines élégantes
Les coquelicots ardents d’El Fronton :
Dans leurs pétales bouillonnent et courent
Le sang vrai, le sang lilial,
Le sang soyeux de ton peuple !

V.

C’est pour toi que les fidèles mésanges
Versent, cachées dans le feuillages des buissons odorants,
L’excès d’amour de leurs petites gorges harmonieuses !

Sont pour toi, mon héros antique,
Les cantiques des rayons du jeune soleil
Qui naît de la mousse des vagues frileuses !

Ouvre, je te prie, tes grandes prunelles de braise,
Réchauffe mon âme nue, mon âme
Qui vient de déchirer les longs voiles de crêpe noire
Qui recouvraient sa cinglante solitude !

Compagnon de mes errances,
Fais que les merveilleuses matinées
De notre misérable enfance reviennent
Pleines d’aisance et de grâce !

VI.

Si tu pars, mon frère aimé, je sais,
Tu habiteras la plus claire des étoiles du ciel du Pérou !

Ô, Jovaldo,
Jovaldo !
Qu’ils soient maudits pour l’éternité,
Maudits trois fois, sept fois, dix mille fois
Tes cruels assassins !

Je pleure, parce que mon cœur d’enfant
N’a pas assez de haine pour noyer
Dans les abîmes méphitiques
Ces démons déchaînés !

Sanglotant, je les livre, Jovaldo,
A la féroce fureur
D’Orcus et de Februus, dieux sanguinaires,
Rois des tortures infernales !

Viens, venge mon frère adoré,
Toi, Endovellicus,
Dieu tutélaire des Hispaniens !  

VII.

Dors un peu mon frère,
Dors un peu dans mes bras !

Laisse ma voix candide te glorifier,
Permets à ma poésie de te vêtir des plus beaux mots
De toutes les langues de la terre !

Ne pars pas
Avant que ton peuple lithique
Ne t’érige une immense cathédrale
De briques d’amour transparents
Et ne l’entoure de vertes prairies
A la floraison inépuisable !

VIII.

Ô chorales somptueuses des fleuves du Pérou,
Voix insondables des montagnes de basalte bleu,
Voix où aime se baigner le grand ciel d’Amérique,
Voix où les étés grandioses font mûrir le pain
Doux aux lèvres des hommes de paix !

Voix câlines où pousse le chanvre d’eau à fleurs roses,
Mélodies qui fleurent si bon le svelte maïs d’or,
Cœurs péruviens où frémit
Sous l’haleine ocre et douce de l’automne le peuplier blanc,
Parole de la foi divine
Où le chagrin des êtres blessés
Se mêle au chagrin des ruisseaux.

Non, ne meurs pas, mon frère aimé,
Non, ne meurs pas,
Laisse ouverte la porte du ciel !

            Athanase Vantchev de Thracy

Paris, juillet 2012

Glose :
José Valdivia Dominguez (Jovaldo) : poète et chanteur péruvien, membre du Parti Communiste du Pérou. Il fut sauvagement assassiné par les sbires incultes du président Alan Garcia à El Fronton le 18 juin 1986. El Frontón est une île située au large de Callao, au Pérou, surtout connue pour avoir servi de prison.
Eupatoire (n.f.) - Agrimonia eupatoria : plante herbacée vivace de la famille des Rosacées. La tige, velue, rougeâtre, non ramifiée était utilisée pour ses propriétés tinctoriales (teinture jaune d'assez bonne qualité). Les fleurs sont jaunes, assemblés en grappes terminales s'élevant jusqu'à 80 cm du sol.
Méphitique (adj.) : du latin mephiticus, dérivé du mot mephitis, « puanteur sulfureuse », probablement inspiré par Mephitis, déesse romaine des exhalaisons pestilentielles. Qui sent mauvais et qui est toxique. Un gaz méphitique. Synonymes : fétide, nauséabond, pestilentiel, puant.

Lithique (adj.) : du grec ancien λιθικός / lithikós , « de pierre, pierreux »,  de λίθος / lithos,  « pierre ».
Basalte (n.m.) : roche volcanique issue d’un magma refroidi rapidement au contact de l'eau ou de l'air. C'est le constituant principal de la couche supérieure de la croûte océanique. Le mot basalte est emprunté du latin basaltes, lui-même probablement dérivé d'un terme éthiopien signifiant « roche noire ».

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