mardi 11 décembre 2012

ODE A ALI AZAYKOU



ODE À ALI AZAYKOU

Mousse et radeaux s’ornent de jade ;
Les oisillons, bleus et menus,
Sur les rameaux perchent ensemble »

            Kiang K’ouei

I.

Ne pleure pas, Igran n Tuinight,
Ne pleure pas, ma frêle colombe
Craintivement blottie
Dans le rose sourire du ciel amazigh !

Garde tes larmes de diamants amères
Pour le diadème d’or et de perce-neige
De ton fils immortel, de la bouture bénie
Jaillie de ta ferme poitrine.
Garde ton sourire de rubis
Pour ton enfant glorieux,    
L’aigle au regard de dague
Que, généreuse, tu as nourri
Du lait herbeux de ton sein rutilant !

II.

Filles rayonnantes de l’Atlas,
Joyeuses hirondelles en robes d’azur,
Et vous, jeunes gens resplendissants,
Beaux faucons à la fierté impériale,
Chantez en ce jour de deuil vénérable,
En cette heure sombre d’adieu poignant
Les poèmes prophétiques d’Ali Azaykou,
Le chantre superbe de votre race héroïque !

Dites ses mots
Et ils allumeront de hauts brasiers de feu
Dans vos gorges pures, répétez-les encore et encore
Pendant que l’automne de jade amazigh
Se glisse dans le cercle intime de vos âmes.

III.

Ali Azaykou,
Il y a dans chaque syllabe de tes vers
Des bouquets sauvages de menthe folle,
Des odorants rameaux de pin gracieux,
Le murmure vagabond des ruisseaux verts
Et le sourire éclatant des grêles marguerites
Blanches des montagnes.
Il y a, Ali Azaykou,
Une musique claire dans les petites gouttes bleues
Des pluies remplies de lumière de tes mots.

Tes mots de silex qui ignorent
Les griffes cruelles de la peur !
Libres comme le chant des sables,
Ils ouvrent leurs puissantes ailes blanches
Et montent vers les nids mousseux
Des aigles, amis des montagnes,
Et les cœurs aimants de ton peuple limpide.

IV.

Toi qui as su rester ferme comme l’acier,
Toi qui as crié haut et fort les tourments de ton ceur
Et lever dans le ciel bleu du Maroc
Les bannières victorieuses de ta race immortelle,
Ecrasée depuis des siècles par le poids de plomb
Du silence honteux des siècles !

Toi, la pure dignité, la tranchante hauteur,
La franche, la candide parole des Berbères !

Toi, timitar et izmuln,
Signe divin et cicatrice saignant et profonde
De l’insondable histoire amazighe !

Tournant ta face vers la beauté des poèmes
De tous les imdiazn de la vaste Tamazgha
Compagnon amène des chants crus et naïfs des rways,
Chaque fois avant d’élever ta voix de titan
Pour dire ton amour infini, tu as regardé
Les cimes cérémonieuses de l’Atlas
Qui percent le sein des cieux
Et les villages envoûtants de ton haut pays !

Tu as lavé, Ali Azaykou, tu as lavé
L’âme de ton peuple du sang antique des blessures,
Tu as nettoyé le visage des tiens
Avec la neige bleue de ton courage,
Tu lui as rendu sa clarté,
Frottant son silence avec des grains rouges de ta colère
Tremblant comme les grappes du sorbier
Sous les tempêtes ravageuses de l’histoire !

V.

Ô terre amazighe, terre confuse, terre grave !
Tu es savoureuse comme un vieux vin féodal
Qui sent le lys blanc
Et l’or liquide de l’aurore !

Ô terre amazighe, terre si noble,
Terre si belle dans la lumière de ton orgueil
Et l’effroi de ta magique pureté !

Terre étincelante,
J’aime l’odeur féerique du temps
Qui sourd de tes herbes enivrantes,
Le temps adolescent
Qui fleurit entre les cils de lin de tes magnifiques enfants,
Le temps qui coule sur les lèvres des femmes amazighes,
Parfaites comme un poème de Pétrarque!

VI.

Non, non, non,
Tu n’es pas seul à présent Ali Azaykou d’Igran n Tuinight,
Toi, le berger des nuages qui, parti une jour à l’aube
De la riante province de Taroudant,
As parcouru les continents
De tous les cœurs du Maroc
Et du monde !

Par toi, Poète,
Prince de la lucidité  amoureuse,
Poussent aujourd’hui dans chaque corps amazigh
Les arbres de la féroce liberté !

Ali du ciel d’azur de Tamazgha,
Ali de toutes les blessures,
Ali de la luxuriante victoire de la vie
Sur les ténèbres,
Dors à présent dans le chaud giron des montagnes
Qui ont porté jadis le doux poids
De tes petits pieds nus
D’enfant élu des dieux !

VII.

Toi, mon Frère du royaume du Verbe,
Tu es devenu pour toujours
La voix immarcescible des coeurs farouches,
Le souffle halluciné, l’haleine rédemptrice des âmes vraies !

Dors à présent, tendre Amant, Chevalier indomptable
De la fascinante langue berbère.

Dorénavant,
Tu parleras avec les pierres de granit,
Tu écouteras les chuchotis du peuple joyeux des esprits !

Douce sera à leurs oreilles ta voix harmonieusement rude
Et, éveillée à la cristalline mélodie de tes poèmes,
Toute la Nature te suppliera ainsi :

« Chante-nous encore, poète des libres espaces,
Chante-nous toujours tes poèmes qui exaltent la beauté,
Donne-nous de ta chaleur inimitable,
Couvre-nous de clairs baisers de tes strophes !

VIII.

Ô mon Ami Ali,
Dès que les ombres sveltes se coucheront sur ta tombe,
La divine nuit amazighe,
Amoureuse des vigoureux battements
De ton cœur immortel, versera sur la terre où tu gis
Tous les boisseaux de son âme abondante pleine d’étoiles !

Les fées des forêts berbères, vêtues de rameaux de jasmin blanc,
Viendront danser autour de toi
Et remplir l’air vivifiant du Haut-Atlas
De leurs mélopées si belles
Que tous les êtres oublieront de respirer !

Et les dieux millénaires de ta terre éternelle
Conteront aux splendides enfants de ton pays
Blottis dans les bras de leurs mères
Les merveilleuses légendes où vivent à jamais
Tous les glorieux héros de leur vaste patrie !


            Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 9 décembre 2012

Glose :
Ali Sidqi Azaykou (1942 - 2004) : il a été appelé également Dda Ali. Écrivain, poète, historien et intellectuel berbère marocain. Un des militants les plus éminents de l’ « amazighité ». Il a grandement influencé les mouvements culturels berbères.
Ali Sidqi Azaykou naît en 1942 au village de Igran n Tuinght dans le Haut Atlas, province  de Taroudant dans le Souss au Maroc. Il commence ses études primaires près de son village natal à Tafingoult et les termine à Marrakech, où il entame ses études secondaires pour entrer ensuite à l’Ecole Nationale des Maîtres (instituteurs).
Son baccalauréat en poche, il enseigne pendant deux ans au collège de Imi n Tanout. En 1968, il passe sa licence d’histoire à l’Université de Rabat et obtient un diplôme d’enseignement secondaire de l’Ecole Normale Supérieure. De 1968 à 1970, Ali Azaykou est professeur d’histoire à l’Institut du Grand Maghreb. En parallèle, de 1969 à 1970, il participe avec Ahmed Boukous et Brahim Akhiat à un programme bénévole de soutien éducatif pour des étudiants berbérophones. Mais ces cours sont rapidement interdits.
En 1970, il s’installe à Paris et fréquente l’Ecole pratique des hautes études et les cours de berbère de Lionel Galand à l’INALCO. Il commence à travailler sur sa thèse de doctorat sous la direction de Jacques Berque. En 1967, Ali Sdiqi Azaykou participe à la création de la première association berbère au Maroc, l’Association marocaine de recherche et d’échange culturel (AMREC). Après avoir obtenu son doctorat à la Sorbonne, il rejoint, en 1972, l’Université de Rabat en qualité de chercheur et professeur d’histoire du Maroc. En 1973 et en 1975 naissent sa fille et son fils qu’ils prénomment Tililia et Ziri, deux prénoms berbères anciens.
Avec Mohamed Chafik et Abdelhamid Zemmouri il fonde, en 1979, l’Association Amazigh. En 1981, la revue Amazigh publie un article devenu célèbre de Ali Azaykou. Il y défend l’importance du fait berbère dans l’histoire du Maroc. Devenant le premier intellectuel à remettre en cause l'historiographie officielle marocaine, il est arrêté et condamné, en 1982, pour « atteinte à la sûreté de l’État », à un an de prison ferme. Libéré, il reprend ses recherches universitaires et obtient, en 1988, son diplôme d’étude approfondie (DEA) en histoire avec mention très bien.
Il écrit ensuite de nombreux poèmes en tamazight (« berbère ») transcrit en arabe qu’il regroupe en un premier recueil publié en 1988 sous le titre de Timitar (« Les signes »), et un deuxième livre de poésies intitulé Izmuln (« Les cicatrices »), publié en 1995. Ali Azaykou publie également une série d’ouvrages sur la place de l’identité berbère dans l’histoire et la culture de l’Afrique du Nord. En 2003, il devient membre du Conseil administratif de l’IRCAM et Professeur au Centre des Études historiques et environnementales. Ali Sidqi Azaykou décède le 10 septembre 2004 à Rabat des suites d'une longue maladie. Il repose dans son village natal d’Igran n Tuinght.
Kiang K’ouei (1115-1235) : musicien et poète chinois.

Imdiazn : pluriel de amdiaz. Ce terme signifie « poète » en langue amazighe.

Rways : pluriel de l’arabe rais. Rais signifie « président » et, par extension de sens, « poète » sans grande envergure. 

Timitar : « Les signes » (titre amazigh du premier recueil du poète).

Izmuln : « Les cicatrices » (titre amazigh du deuxième recueil du poète)

La langue amazighe ou la langue berbère ou le tamazight. L’écriture du tamazight est le tifinagh.

Tamazgha : l’Afrique du Nord et une partie de l’Afrique du Sahel peuplée de Berbères (Iamazighen en tamazight ou langue berbère)

Amazigh, e (adj.) : qui concerne les Berbères : culture amazighe, langue amazighe (langue berbère ou tamazight). Amazighité (n.f.) : spécificité berbère.

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