jeudi 24 novembre 2011

CINQ ILLUMINATIONS DU COEUR

CINQ ILLUMINATIONS DU CŒUR

« Non, par celui* qui a trouvé la tétraktys de notre sagesse,
Source qui contient en elle les racines de la nature éternelle. »


1.

Ô Hikuptah, ma ville immortelle,

La Voie lactée sépare nos cœurs
Comme elle sépare les étoiles Altaïr et Véga.

Le vent léger fuit en faisant chanter les feuilles éveillées
Et lacère ma poitrine de sa douceur.

Non ! Les nuits de tendresse ne se répètent jamais,
Jamais ne fleurissent deux fois les pommiers le même printemps.

Chancelant, je m’appuie sur la faiblesse de mes amis
Et, pour ne pas mourir de tristesse,
Je respire le violet parfum des matthioles.

Ô dieux favorables, faites que les étoiles de Bouvier
Rejoignent les étoiles de la Tisserande
Dans le sourire de la Rivière céleste !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 18 novembre 2011

Glose :

* Celui qui a trouvé… : il s’agit du philosophe grec Pythagore (VIe siècle av. J.-C.).

Tétraktys (n.f.) : image qui figure la structure du monde inventée par Pythagore. La figure classique est celle d’un triangle de quatre lignes (ou étages) tel que 1 + 2 + 3 + 4 = 10 points ou cailloux. 4 est ainsi la racine triangulaire de 10. L’analogie avec les quatre éléments est évidente. Quatre contient tout et la somme des quatre premiers nombres donne 10, ce qui dans le système décimal (universel chez les grecs) est un retour à l’unité. Tout ce qui existe dans ce monde « sublunaire » est analogue au point (= 1), à la ligne (= 2), à la surface (= 3) ou au volume (= 4). Rien d’autre ne peut exister hors de ce triangle primordial, figuré par la tétraktys.


Hikuptah : mot égyptien qui signifie « château du ka (âme) », de Ptah, un des noms de la ville de Memphis dont les Grecs firent Aiguptos qu’ils appliquèrent à tout le pays qui existait depuis des siècles. Ancien Empire (2720 – 2300 av. J.-C.) ; Moyen Empire (2065 – 1785 av. J.-C.) ; Nouvel Empire (1580 – 1085 av. J.-C.).

Altaïr (α Aquilae) est l'étoile la plus brillante de la constellation de l'Aigle.

Véga, également appelée Alpha Lyrae (α Lyrae), est l'étoile la plus brillante de la constellation de la Lyre.

Matthiole (n.f.), appelée encore giroflée de jardin ou violier : plante dont on cultive une espèce sous le nom de giroflée rouge ou giroflée violet.

Bouvier : constellation qui porte le nom de Bouvier depuis longtemps (elle fut compilée sous cette dénomination par Aratus de Soles, puis par Ptolémée. Nous ne savons pas qui ce bouvier représente. Selon une version, il s'agit d'un laboureur qui conduit les sept bœufs (septem triones) de la constellation de la Grande Ourse à l'aide de ses deux chiens Chara et Astérion (de la constellation des Chiens de chasse). Les bœufs seraient liés à l'axe polaire et le Bouvier perpétuerait la rotation des cieux.

Tisserande : constellation de la Tisserande. En Chine, la constellation de l’Aigle (Aquila) est connue comme celle de la Tisserande, et celle de la Lyre (Lyra) comme la constellation du Bouvier. Un des récits les plus anciens de la Chine relate les amours de la Tisserande et du Bouvier, confirme l'existence d'un culte des astres dans la Chine archaïque dont la popularité a traversé les siècles.




2.

Vos rêves flottent comme un fil de soie au vent
Quand les dernières étoiles frôlent votre élégant oreiller.

Le matin d’août approche allègrement de votre fenêtre
Orné d’armoises, d’aristoloches, d’iris et d’arnica,
Et, agile comme une mésange,
La joie prend des formes lumineuses
Qui m’appellent et m’échappent.

Souriez-moi avec délicatesse et douceur,
Fermez vos yeux de pluie verte
Pour entendre les mesures marmoréennes d’un chant antique
Des montagnes de mon sang où se reposent les dieux
Dans une félicité radieuse !

Vous, amour et tristesse doublement impossibles !

Athanase Vantchev de Thracy

Le 19 novembre, Anno Domini MMXI

Glose :

Armoise (n.f.) : plante. Le genre Artemisia (les armoises), famille des Asteracées, regroupe des herbacées, des arbrisseaux et des arbustes aromatiques, densément tomenteux (d‘un rouge qui rappelle la couleur des tomates), pubescents (portant des poils fins plus ou moins espacés) ou glabres.

Aristoloche (n.f.) : plante herbacée (plus particulièrement de type liane) de la famille du genre Aristolochia qui comprend plus de 300 espèces.

Arnica (n.m.) : plante pérenne, herbacée, appartenant à la famille des Asteracées. Il existe quelque 30 espèces qui poussent essentiellement dans les montagnes.



3.


Reviens à moi, vague errante, emporte-moi
Sur l’autre rive du savoir où, magnifiques,
Se dressent encore les temples ancestraux de mon âme.

Ici, vague vagabonde, dès que la clepsydre
Arrête son chant suave, tout s’endort :
Arbres à fleurs aux parfums envoûtants,
Herbes émeraude, mésanges et buissons odorants,
Hommes en larmes et bêtes harassées.

Ici, j’ai peur de mon propre reflet !

Qui peut connaître les sursauts d’effrois
Des exilés solitaires, mes frères en Dieu,
Qui errent, ombres furtives et fluides
Dans la haute obscurité de la nuit voluptueuse ?

La splendeur de la tendresse, personne
Ne la partage avec les muets vigiles de l’infini !

Ici, vague somptueuse, ma seule consolation est
Le mélodieux tintement des gouttes de la pluie
Et l’harmonieuse image
De la chair éblouissante des déesses,
Bouquet de roses pourpres et d’iris blancs.

Ô musique du vent glacial du nord,
La mort est-elle le sublime devoir
De chacun de nous ?

Poésie extatique, sobre ou rêveuse,
Poésie, toccatas et passacailles,
Célestes ressacs entre le pur et l’impur !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, ce dimanche, 20 novembre, L’An de Grâce MMXI

Glose :

Clepsydre (n.f.) : du latin clepsydra, terme emprunté au grec ancien klepsydra / κλεψύδρα. Horloge qui indique la marche du temps par l’écoulement d’une certaine quantité d’eau.
Vigile (n.m.): personne qui surveille un lieu. Les vigiles Urbani, dans la Rome antique, sont les membres des forces de police et les pompiers.


Toccata ou toccate (n.f.) : de l'italien toccare, « toucher ». Pièce musicale pour instruments à clavier : orgue, clavecin, piano.

Passacaille (n.f.) : on emploie aussi le nom italien passacaglia. Genre musical pratiqué aux XVIIe et XVIIIe siècles. Initialement, la passacaille est une danse populaire espagnole qui remonte à la Renaissance.



4.

La haute nuit
Et ce vertigineux Office des ténèbres
De Palestrina.
L’âme peut-elle exalter
Avec un plus déchirant entrain
Dieu !

Frêles flambeaux des astres
Dans les profondeurs de l’air !
L’hésitante lumière des veilleuses
Déverse sa suave beauté
Sur la face tranquille du temps empli de chants !
Vie qui s’ouvre sur d’autres vies
Constamment, irrésistiblement,
Spontanément
Et cela à l’infini.

Dehors, les hymnes ferventes des arbres
Montent vers les cimes des montagnes,
Se répandent sur l’eau fiévreuse des fleuves
Sous les voluptueux baisers de la dense,
De l’intransigeante l’obscurité.

Les feuilles des deux chênes du jardin
Assistent, tantôt impassibles, tantôt inspirées,
À la cérémonie nocturne de la grâce !

Palestrina des cigales et des roses
Face de l’assourdissante vanité
Du silence et des ombres !

Et plus rien n’existe alentours
Que ce fleuve continu d’âmes et de songes
Soumis au divin théorème
De l’impériale liberté de la Foi !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, ce 21 novembre, Anno Christi MMXI

Glose :
Office des Ténèbres est le nom donné aux matines et aux laudes des trois derniers jours de la Semaine Sainte (jeudi, vendredi, samedi). L'office porte le nom de ténèbres puisqu'il est chanté normalement très tôt le matin dans l'obscurité plus ou moins complète.
Giovanni Pierluigi da Palestrina (1525/6 – 1594) : compositeur, organiste, maître de chapelle italien. Palestrina est le nom de sa ville natale, près de Rome, qu’il prendra comme patronyme. Il a passé la plus grande partie de sa vie à Rome. Palestrina fit ses études avec Robin Mallapert et Firmin Lebel.
En 1544-1551, Palestrina a été organiste de l'église principale de sa ville natale, et dans sa dernière année, il devint maestro di cappella à l'église basilique Sainte-Marie-Majeure à Rome.



5.

Aussitôt que le jour déploie le tissu soyeux de l’eau
La chair délicate de l’air s’illumine.

La féline élégance du ruisseau
Coule à travers les poèmes de Tranströmer.

Les sapins sauvages, la rhétorique des neiges,
Les congères altières et les sévices de la grammaire
Des vents scandinaves !

Le sommeil hivernal des herbes généreuses
Et les veilles assidues d’une âme
Qui ne veut qu’aimer !

Tomas Tranströmer,
Savez-vous que, plus enivrants que nos poésies,
Sont les trois cents cépages grecs
Et l’Oremus de l’Espagnol
Pablo Alvarez ?

Thomas des forêts vierges,
Il n’y a pas d’autres réalités
Que celles qui font frémir de joie
Nos mains.
Tout est là :
La pluralité ordonnée des mondes,
Les principes structurés des choses et des êtres.

Ne sommes-nous pas, Ami poète,
Les diadoques des dieux ?

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, ce mercredi 23 novembre, Anno Christi MMXI

Glose :

Tomas Tranströmer (né en 1931) : poète contemporain suédois, le plus renommé et le plus traduit. Il a publié une quinzaine de recueils. Tranströmer a reçu de nombreux prix, dont le Prix Nobel en 2011. Il était ami du grand poète américain Robert Bly.

Oremus : vin appartenant au groupe Vega Sicilia. Vega Sicilia est un vin mythique en Espagne et dans le monde, et pour cause : cette vieille propriété datant de 1864 produit plusieurs vins de grande qualité dont le fameux « Unico », aux élevages extrêmement longs (jusqu’à 8 ans avant la mise en bouteille), qui ravit les plus fins palais.

Fondé par Eloy Lecanda en 1864, la propriété achète ses premiers plants à Bordeaux. Elle produira la première cuvée de Vega Sicilia Valbuena et de Vega Sicilia Unico en 1914 ou 1915, sous l’impulsion de Txomin Garramiola.

Une autre étape pour la propriété a été la création, en 1993, d’un domaine en Hongrie (Tokaj Oremus qui produit les meilleurs tokajs au monde.

Diadoque (n.m.) : du grec ancien diadokhos, « successeur ». Titre porté par le prince héritier de Grèce.

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