lundi 27 octobre 2008

AU TEMPS DES BLESSURES BLEUES

A Louis Calaferte

« Quoi que nous fassions, nous serons toujours pauvres !
Nous deux, on reste pauvres jusque dans nos sourires.
Jusque dans nos sourires. C'est ce que les
Pauvres savent faire le moins bien : sourire »

Louis Calaferte

Ô mon frère oublié, ô mon frère de destin,
Doux ami des prairies,
Compagnon des nobles castes des saisons,
Prince des somptueuses rhubarbes des jardins potagers,
Toi qui avait pour religion
Les floraisons printanières des cerisiers, pour vrai pays
L’empire secret des violettes
Et pour temple égyptien,
Les extatiques pyramides du Savoir !

Dis-moi, frère, toi qui vis à présent,
Après tant d’années, les yeux cerclés
De misère fauve et le corps recouvert de cicatrices mauves,
Dans l’opulent royaume des étoiles,
Dis-moi que faire des hiéroglyphes des heures,
Des idéogrammes aux pattes de colombes,
Des alphabets des sorbiers, des syllabaires de mon âme ?

Toi qui as tant aimé l’écriture onciale,
Les rondes et les pleines,
Toi dont les mains rugueuses,
Telles des grives musiciennes,
Captaient le suc ardent des mots purs,
Les émouvantes figures du plaisir,
Les signes algébriques du ciel,
Pour rendre plus fraîches
Les frondaisons suaves des platanes !

Apprends-moi de ta demeure céleste l’art de survivre,
La scansion des oraisons émeraude des bouleaux !
Enseigne-moi la grammaire flamboyante
Du chant de pivoines pourpres
Qui brûle mes paupières et mes lèvres !

Tes poèmes de hautes avoines fiévreuses,
Tes textes, tissage habile de blessures bleues
Et de colères écarlates du matin,
Qui mieux que moi pourrait les aimer !

Nous, deux amoureux vagabonds des lettres
Qui savons nous vêtir de la lumière de l’aube !
Nous, les orfèvres minutieux des fines syllabes d’azur
Qui palpitent dans l’air avec la grâce des alouettes estivales !

Lettres cadméennes d’Hérodote,
Signes phéniciens des guerres puniques !
Mors en or scythe, fibules ornées d’améthystes !
Complots verts et rouges des astrolabes !
Ô frère, tout ce vaste savoir
Que nous avons en héritage commun !

Nous qui écrivions sur nos cœurs écussonnés l’histoire des tribus
Avec du feu noir sur du feu blanc,
Nous qui savions que les paroles d’amour sont des cendres brûlantes,
Cendres qui s’enflamment dès que les dieux de la tendresse
Soufflent dessus !

Nous qui rangions avec nos frères cadets,
Dans des chambres pleines de neige bleue,
Les petits soldats de plomb
Qui ramenaient dans notre mémoire
Les gestes des royaumes disparus.

Nous qui pleurions sur Properce et Cynthia,
Les doigts lourds de leurs rêves impartageables,
En proie à des palpitations telluriques.

Nous qui adorions Alonso Sánchez Coello, le génie méprisé,
Et l’infante Catherine Micaela, fille du roi Philippe II !

Ô Poésie, messagère des âmes, quitte le royaume nocturne,
Précipite-toi sur le tapis fleuri des années,
Va, je te prie, va dire au ménestrel Calaferte
Que mon cœur a planté sur sa tombe
Le rosier blanc de ce poème amoureux !

Athanase Vantchev de Thracy

Rueil-Malmaison, ce dimanche 26 novembre, Anno Domini MMVIII

Glose :

Louis Calaferte (1928-1994) : poète et écrivain français, né à Turin, en Italie. Il émigra avec sa famille, dans la banlieue lyonnaise, au début des années 1930. Il y vécut une enfance marquée par la pauvreté et la xénophobie. La guerre puis la découverte de l'esclavage salarié en usine à l'âge de treize ans le marquèrent à jamais. Requiem des innocents (1952), son premier livre, et C'est la guerre (1993), publié quelques mois avant sa disparition, portent témoignage de ces années noires. « L'homme est une saloperie » : Louis Calaferte ne revint jamais sur ce jugement. La connaissance, alors même qu'il était encore au fond du gouffre, lui apparut comme la seule issue de secours possible. Les six volumes qui composent ses carnets intimes - Le Chemin de Sion (1980), L'Or et le plomb (1981), Lignes intérieures (1985), Le Spectateur immobile (1990), Le Miroir de Janus (1993), Rapports (1996) - attestent de cette quête obstinée du savoir qui ira de pair, bientôt, avec une recherche spirituelle. Louis Calaferte n'aura de cesse de célébrer l'individu pour mieux condamner la « massification », ce mal qui, selon lui, ronge les sociétés occidentales. C'est dans Droit de cité (1992), un pamphlet écrit au vitriol, qu'il exprimera le mieux et le plus clairement une pensée politique qui lui vaudra le qualificatif d’« anarchiste chrétien ».

Hérodote (484/482 – 425 av. J.-C.) : en grec Ἡρόδοτος / Hêródotos est un historien grec. Il a été surnommé « le père de l’histoire » par Cicéron. (Lois, I, 1), mais il aussi celui du reportage. Il est en outre considéré comme l’un des premiers explorateurs. C'est également le premier prosateur dont l'œuvre nous soit restée.

L'unique œuvre que nous connaissons d'Hérodote s'intitule L'Enquête, du grec Ἱστορίαι / Historíai, littéralement « recherches, explorations », de ἵστωρ, « celui qui sait, qui connaît ». C'est l'une des plus longues œuvres de l’Antiquité.

Properce (47 av. J.-C. – 16/15 av. J.-C.) et Cynthia : en latin Sextus Propertius, poète latin. Properce naquit dans une famille plébéienne, mais aisée.Son père, près d'accéder à la classe équestre, murut assez jeune, probablement vers 43 ou 42 av. J.-C. Au moment de la redistribution des terres aux vétérans, en 41 av. J.-C., les domaines de la famille de Properce furent confisqués. Cela ne l'empêcha pas de faire de solides études de droit à Rome, mais il renonça bien vite au barreau pour la poésie avec l'appui non négligeable de Mécène, près duquel il habitait sur l'Esquilin.

Il fréquenta les hommes de lettres de son temps, dont Ovide, et chantea sa passion pour Cynthia (Cynthie), apparentée, selon Apulée, à Hostia, petite-fille du poète Hostius ou, selon de récentes études, à Roscia, petite-fille de l'acteur Quintus Roscius Gallus. Elle fut, en tout cas, une jeune fille d'un milieu cultivé.

Il est l'auteur de quatre livres d'élégies dont il est raisonnable de penser que seul le premier a été publié de son vivant. Les trois autres sont posthumes.

Alonso Sánchez Coello (1531/32 – 1588) : un des plus grands génies de la peinture espagnole de tous les temps, élève de Raphaël (1483-1520) et d’Antonio Moro (1520-1676/78). Philippe II d’Espagne (1527-1598, roi de 1556 à sa mort) le nomma son peintre. Ses principaux ouvrages sont le Martyre de saint Sébastien et le portrait nommé Saint Ignace. Il a exécuté le magnifique portrait de l’infante Catherine Micaela (musée du Prado).

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