mercredi 29 octobre 2008

BULGARIE

BULGARIE

« Vel dic, quid referat intrà
Naturae fines viventis, jugera centum, an
Mille aret »

(« Or, dites-moi, je vous prie qu’importe à l’homme,
Dont la Nature a borné les besoins, d’avoir cent arpens de terre,
Ou d’en avoir mille ? »)

Horace


Ô mon pays de cyclamens blancs,
Ö mon pays de lilas roses,
Mon pays de sereine innocence !

Ruche heureuse des saisons de miel,
Rose quiétude des vallées, ruisseaux turquins,
Collines baies, cachemire des champs,
Cantilènes des vieilles montagnes porracées,
Que t’est-il arrivé, ô mon pays ?

D’où sont descendus ces loups féroces
Dans la calme, dans la maternelle chaleur de tes bergeries ?
D’où ont surgi ces meutes forcenées de chacals
Plus barbares et plus sanguinaires que les satrapes
Dont parle, en tremblant de dégoût, l’histoire,
Pour lacérer la fécondité de tes fleuves,
Pour arracher tes bois séculaires,
Pour remplir de sang les sources translucides
De tes entrailles ?

Ô Seigneur, mon Ami,
Maître de la divine charité,
J’ai vu, j’ai vu, Seigneur,
J’ai vu
Des hommes placides s’endormir désespérés
Dans des lits de fer
Rouillés de larmes !

J’ai vu, oui, j’ai vu, Seigneur, mon Ami,
Des femmes assommées, courbaturées,
Fouettées par la fatigue,
Tisser de leurs doigts
Noircis par l’affliction,
De leurs mains devenues cendres,
De leurs doigts durcis par les morsures du chagrin,
Des pitoyables linceuls
Pour leurs enfants bestialement assassinés
Et jetés face à la poussière ocre
Des routes recouvertes de ronces !

Oui, j’ai vu, ô frères aimés de mon cœur,
J’ai vu
Des enfants creuser de leurs ongles bleuis,
De leurs dents saignantes,
De leur brune salive salée
La terre méprisée, la terre inculte,
Le tchernozem abandonné depuis des années
Pour y enfouir en cachette leur pères suicidés.

Ô maisons ruinées, chambres vides à jamais,
Tables sinistrement tristes,
Assiettes quittées à la hâte,
Couteaux ébréchés par le crime !

J’ai vu, ô femmes bulgares, mes sœurs crucifiées,
J’ai vu avec aversion, j’ai vu avec épouvante,
Le cœur hachuré,
Toute cette infamie abominable

Et mes yeux sont morts de pitié
Avec les caravanes funéraires de la nuit !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 29 octobre 2008

J’ai dit ailleurs ce que le néocapitalisme sauvage, le néolibéralisme américain a fait comme ravage dans mon pays. Avec la bénédiction d’une série de sinistres ambassadeurs à l’âme de herse, obscures et sanguinaires laquais de maîtres sans foi ni loi, parachutés comme des hyènes par Washington pour semer le chaos et détruire tout ce que le communisme avait laissé comme prospérité, des meutes exécrables de bandits se sont saisis des biens des gens laborieux, plongeant le peuple tout entier dans une misère inouïe et dans le désespoir au visage de mort. Aussi, tant que je serai vivant, maudirai-je ces vils missionnaires de l’enfer et leurs seigneurs carnivores, monstres gluants dont l’humanité, si elle veut survivre, doit se débarrasser par le feu et le sang ! Comme Horace que je cite en exergue, je fustigerai le despotisme sanguinaire de l’argent.

Glose :

Horace – Quintus Horatius Flaccus (65 av. J.-C. – 8 av. J.-C.) :
Romain, un des plus illustres poètes de tous les temps. Horace était fils d'affranchi. Son père exerçait le métier de coactor, c'est-à-dire caissier des ventes aux enchères. Ce père modèle, qui avait des ambitions pour son fils, allait même jusqu’à s’installer à Rome afin de lui assurer la meilleure éducation possible. Vers dix-huit ans, il l’envoya à Athènes, tel un fils de haute lignée, pour y couronner son cursus par l’étude du grec et de la philosophie.

Après l'assassinat de Jules César en 44 av. J.-C., Horace s’enrôla dans l'armée des Libérateurs, et se fit si bien remarquer de Brutus que celui-ci lui confia le commandement d’une légion (il avait vingt et un ans). Lors de la première bataille de Philippes, les troupes de Brutus s’emparèrent du camp d’Octave (le futur empereur Auguste), lequel échappa de peu à la capture. Mais lors du second combat, Octave et Marc Antoine furent vainqueurs. Quand une amnistie fut déclarée pour les vaincus, Horace retourna en Italie où il apprit la mort de son père et la confiscation de ses propriétés. Réduit à la pauvreté, il trouva une place de scribe auprès d'un questeur, ce qui ne voulait pas dire qu’il avait renoncé à la lutte contre l’autocratie. Seulement, selon ses propres termes Hic stilus ueluti ensis, il troqua le glaive pour le calame, et se lança, d’abord sous forme d’épodes et de satires, dans une poésie de combat dont les violentes attaques anti-octaviennes furent savamment voilées sous une surface politiquement correcte.

Il se lia très tôt d’amitié avec Virgile qui le présenta à Mécène, confident d’Octave, protecteur des arts et des lettres, poète à ses heures et, s’il faut en croire Vipsanius Agrippa, adepte d’une sorte de « double écriture » (cacozelia latens) fondée sur une subtile dialectique entre le sens patent et le sens latent, permettant de tout dire en paraissant ne rien dire du tout. Mécène le prit sous sa protection, l'introduisit dans les cercles politiques et littéraires et lui offrit une propriété près de Tibur (aujourd'hui Tivoli) pour lui permettre de se ressourcer loin de l'agitation de la capitale. En 17 av. J.-C., sa réputation littéraire était si bien établie que ce fut à lui que revint l’honneur de composer le « Chant Séculaire » (Carmen Saeculare) qu’allaient interpréter solennellement, à l’occasion des Jeux séculaires, des chœurs mixtes d’enfants choisis parmi l’élite de la noblesse romaine.

Horace l’avait annoncé, sa mort allait suivre de très peu celle de son protecteur. Deux mois suffirent.

Les oeuvres d’Horace se regroupent en deux recueils, l'un de dix pièces et l'autre de huit (en hexamètres). Ce genre était typiquement romain, créé par Lucilius au deuxième siècle av. J.-C., et particulièrement propice à l’autoportrait : c’est sans doute là qu’Horace s’y dépeignit le mieux. Il s’agissait de « causeries » (sermones) où étaient de mise la liberté de ton et la polémique, qu’elle fût à propos de questions sociales, éthiques, littéraires, ou encore politiques. Mais ce qui était permis à Lucilius sous la République ne l’était évidemment plus à Horace sous un Régime despotique.

Epodes (publiées en 29 av. J.-C.)

Les Epodes sont au nombre de dix-sept, soit au total 625 vers, dont quatre probablement apocryphes (I, 5-6 et XVI, 15-16). Horace ne les appelait pas épodes, mais iambes, se plaçant ainsi tout droit dans la lignée de Catulle, ce qu’il se garda bien de proclamer tant Catulle était maudit de César et des césariens. Il préféra, c’était moins risqué, se revendiquer d’Archiloque, inventeur du genre en Grèce, et qui s’en était servi comme d’une arme redoutable contre ses ennemis, tant privés que publics. Le ton y était celui de l’invective ; le style était âpre et tendu ; le vinaigre italique se relèva çà et là d’un ail meurtrier ; l’érotisme le plus cru pouvait y côtoyer les accents les plus patriotiques. Comme leur nom l’indique (au moins en l’un de ses sens), les Epodes sont écrites en distiques (un vers long + un vers court) de type iambique ; la pièce 17, toute en sénaires iambiques, fait exception.

Odes (publiées en 22 av. J.-C.)

Ce sont quatre livres contenant 38, 20, 30 et 15 pièces respectivement, soit au total 3038 vers, dont six sans doute apocryphes (IV, 6, 21-24 et IV, 8, 15-16). Horace les comparait fièrement aux Pyramides d’Égypte, et c’est en effet le chef-d’œuvre absolu de la lyrique romaine. Ce monument réunit tous les superlatifs, combine toutes les merveilles. Exploit métrique d’abord, avec la mise en œuvre de quatre types de strophes différentes, six variétés de distiques, et trois espèces de vers employés seuls (kata stikhon). Miracle d’équilibre ensuite, dans une harmonieuse architecture qui se déploie selon des proportions numériques aussi complexes qu’impeccables. Prodige de circulation aussi, d’interconnexions, de réseaux, de correspondances, combinaisons et symétries diverses, dont l’ensemble constitue une immense et ultrasensible chambre de résonance. Quant à l’incroyable virtuosité verbale qui tire du choix et de la place de chaque mot le maximum d’énergie possible.

Mais là où Horace se surpassa, là où il mérita le mieux le « laurier delphique » (Odes, III, 30), c’est dans la maîtrise du contenu. En apparence, rien de plus hétéroclite que les Odes, où semblent interférer de manière aléatoire la sphère privée et la sphère publique, les amours et la politique, le monde grec et le monde latin, la mythologie la plus nuageuse et l’actualité la plus brûlante, l’épicurisme poussé jusqu’au sybaritisme, et un stoïcisme aiguisé jusqu’à l’ascétisme et à un renoncement presque monacal avant la lettre. Et pourtant, un chef d’orchestre maîtrise tous ces timbres et tous ces instruments d’une baguette souveraine. Souterraine aussi, car la partition de cette éblouissante symphonie, composée en l’honneur de la liberté humaine face à la tyrannie politique, ne se déchiffre qu’à condition d’accéder au niveau second de l’écriture, fondé principalement sur le contrôle secret de la situation d’énonciation.

Epîtres

Le premier recueil compte 20 pièces (soit 1006 vers, dont sept probablement apocryphes dans la première pièce), le second 2 seulement, mais très longues (270 et 216 vers). S’y ajoute « l'Épître aux Pisons », plus connue sous le nom d'« Art Poétiques » (476 vers). Elles sont écrites en hexamètres, comme les Satires, et, comme elles, ce sont des « causeries » d’allure assez libre. Mais les Epîtres étant fictivement des lettres, elles s’adressent à des personnes bien précises, et le ton y est moins vif, le style plus détendu. Sous cette rassurante surface, Horace poursuit avec persévérance son combat, un combat dont l’ampleur et les péripéties, ici comme dans les Odes, ne se révéleront qu’au lecteur attentif en premier ressort à la situation d’énonciation : il importe de tenir le plus grand compte non seulement du destinataire (ami ou ennemi ?), mais aussi du locuteur, qui n’est pas automatiquement l’auteur…

La première épître du second recueil s’adresse ainsi directement à Auguste : ou comment tirer la queue du lion sans se faire mordre. Florus est le destinataire de la seconde, où Horace a déposé comme son testament spirituel et la quintessence de sa sagesse.

Cyclame ou Cyclamen (n.m.) : du latin cyclamen, lui-même du grec kuklaminos / κυκλάμινος. Plante vivace à souche tubéreuse qui décore avec beaucoup de grâce nos maisons et jardins qui appartient à la famille des Primulacées, particulèrement répandue en Bulgarie et en Turquie.

Turquin (adj.m. et n.m.) : de l’italien turchino, « turc », « de Turquie », d’après le marbre bleu foncé de Maurétanie (auj. Maroc), faussement appelé « pays turc ». Il n'est usité que dans l’expression : Bleu turquin, bleu foncé, peu éclatant et tirant sur l'ardoise. En tant que substantif : Le turquin et les nuances plus hautes des bleus se peuvent encore aviver et augmenter.

Porracé, porracée ou poracé, e (adj.) : du latin porrum, « poireau ». De la couleur verte pâle du poireau.

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