mercredi 23 juillet 2008

LE CHRIST DU MONTPARNASSE

(Rêverie sur un tableau de Maurice Le Scouëzec)

« Tu m’as demandé un dernier bol de neige tombée du ciel,
Un bol de ce monde appelé Voie lactée »

Kenji Miyazava

Il se pencha,
Dans l’étouffant silence de son atelier,
Sur son âme !

Et il sut sur le champ
Que l’homme s’abusait
Chaque fois qu’il pensait
Être le maître de son destin !

Il se leva alors, s’approcha du papier gris,
Et, inondant sa solitude de rêves,
Donna vie à son intime vision.

Il planta la Croix au milieu du dessin,
Et, de la main de la foi
Qui faisait tressaillir son corps décharné,
Esquissa le corps nu du Christ,
Oublié, ignoré,
Abandonné à la fureur
De la nuit en deuil.

Autour du Sauveur outragé
Où l’air se chargeait d’éternité,
Il dessina, serré dans un cercle
Mû par le vice,
La foule égarée des prostituées.

Les unes, toutes nues,
Prises d’un halètement violent,
Errant comme des fantômes abîmés
Dans l’entonnoir de leur oppressant exil,
Les autres, couvertes à peine
D’un vêture appelant la concupiscente,
Tournoyaient hagardes,
En proies de leur asphyxiante déréliction.

Puis il esquissa, fébrile, halluciné,
La troupe hideuse des maquereaux
Vaquant à leur sombre office.

Des clients obscènes,
Marchandant le salaire de la chair,
Vinrent gonfler l’abîme ignoble de ce chaos,
L’immobile circulation de ces ombres !

Excédé par l’affliction,
Il s’assit en face du temps
Qui, en vain, clamait son innocence
Et sa profondeur !

Et il écouta longtemps l’inavouable
Que l’ouïe refuse d’entendre,
Incapable de soigner les blessures de la mort !
Et pour ne pas défaillir de chagrin,
Il contempla longtemps le Crucifié !

Et il sentit jaillir en lui,
Brusquement,
Cette tendresse
Qui se saisit de nous
Quand, dressé devant l’invisible,
Nous pensons à tout ce qui n’est plus !

Et, détournant sa face de l’irrévocable,
Tremblant de froid,
Il mit la signature de sa miséricorde
En bas du tableau !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 23 juillet 2008

Glose :

Maurice Le Scouëzec (1881-1940) : artiste peintre français d’origine bretonne né dans la Sarthe, décédé à Douarmenez. Il fut tour à tour pilotin (jeune marin qui étudie le pilotage) sur les grands voiliers, soldat, globe-trotter, aventurier. Il laissa des tableaux d’une grande intensité. Son « Christ du Montparnasse » m’a profondément bouleversé. J’ai senti la grande foi qui a guidée la main de l’artiste au cœur débordant de miséricorde.

Kenji Miyazava宮沢 賢治 (1896-1933) : poète japonais et auteur de contes pour enfants. Issu d’une famille aisée de commerçants, il découvrit, à 18 ans, le Sûtra du Lotus et devint un fervent adepte de l’école bouddhique Nichiren. Il fut également un très actif militant social. Miyazava mourut d’une tuberculose à l’âge de 37 ans. Son écriture est caractérisée par la création d'un vocabulaire poétique nouveau, mêlant à une langue simple et rythmique, des onomatopées, des mots du dialecte de la région d’Iwate dont il était originaire, ou encore des termes scientifiques ou bouddhiques. Ce style particulier se retrouve dans sa poésie comme dans ses contes en prose.

Le Soutra du Lotus ou Soutra sur le Lotus Blanc du Dharma Sublime est un soutra très populaire dans le bouddhisme mahâyâna. Il est le fondement des écoles bouddhiste Tendaï ou Tiantai et Nichiren. Le texte apparaît pour la première fois plusieurs siècles après la mort du Bouddha.

Les souttas ou soutras sont les écrits dans lesquels sont retranscrits les paroles du Bouddha et ses différents enseignements. Ils sont regroupés dans ce que l'on appelle le soutta-pitaka, la corbeille des soutras.

Le Dharma est la méthode intérieure qui peut faire cesser toute les souffrances et leur causes.

Zennichi-maro (善日麿) dit Nichiren (日蓮) est le fondateur du bouddhisme Nichiren appelé aussi « école du lotus ». Né le 16 février 1222 dans le village de pêcheurs de Kominato, dans l'actuelle préfecture de Chiba au Japon, à l'âge de 12 ans, il entre au temple bouddhiste Seichôji pour y étudier sous la direction du maître Dosen-bo. Ordonné moine Tendaï à l'âge de 16 ans, il prend le nom de Zesho-bo Renchô. Son vœu d'alors est de devenir la personne la plus sage du Japon.

Créé en 805 par le moine Saichô, l'école Tendai est la forme qu'a prise au Japon l'école chinoise Tiantai du bouddhisme mahâyânique, fondée par le religieux Zhivi (538-597) de la dynastie Sui. Elle constitue depuis son apparition une composante importante et influente du bouddhisme japonais.

Mahāyāna est un terme sanscrit qui signifie « grand véhicule ». Le bouddhisme mahāyāna apparaît vers le début de l’ère chrétienne dans l'Empire kouchan et dans le Nord de l’Inde, d’où il se répand rapidement au bassin du Tarim (fleuve chinois long de 2030 km) et en Chine, avant de se diffuser dans le reste de l’Extrême-Orient. Le Vajrayâna, sa forme tantrique, apparaît en Inde avant le IVe siècle, pénètre au Tibet entre le VIIe et le VIIIe siècle, puis en Mongolie, et, via la Chine où il laisse peu de traces, en Corée et au Japon à partir du VIIIe siècle.

L’Empire kouchan fut un État qui, à son apogée, vers 105-250, s’étendait du Tadjikistan à la mer Caspienne et à l’Afghanistan et, vers le sud, à la vallée du Gange. L’empire a été créé par les Kouchan, une tribu des Yuezhi, un peuple de l’actuel Xinjiang en Chine, possiblement apparenté aux Tokhariens. Les Kouchan ont eu des contacts diplomatiques avec Rome, l’Empire perse des Sassanides et la Chine, et, pendant plusieurs siècles, furent au centre des échanges entre l’Orient et l’Occident.

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